Nous allons découvrir
La vie et l’œuvre
de Jean-
Ingres
Jean-
Il sera l’aîné de cinq enfants
Son père est peintre, miniaturiste et sculpteur
« J’ai été élevé dans le crayon rouge. Mon père me destinait à la peinture tout en
m’enseignant la musique comme passe-
Après une instruction limitée il rentre en 1791, à 14 ans, à l’Académie de Toulouse où il a comme professeur le peintre Roques qui sera à l’origine de son admiration pour Raphaël
Il excelle aussi dans la musique et sera second violon à l’Orchestre du Capitole de Toulouse
A la fin de ses études ses maîtres lui délivrent un certificat élogieux ce qui lui permet d’entrer dans l’atelier de David à Paris
C’est un élève grave et studieux
En 1800 il échoue une première fois au Concours de Rome mais l’année suivante son « Achille recevant les ambassadeurs d’Agamemnon » lui vaut le premier Grand Prix
Mais la situation politique et financière l’oblige à différer son dépar pour Rome
En attendant une pension lui est accordée ainsi qu’un atelier dans l’ancien couvent des Capucines où il a d’éminents voisins (Gros, Girodet et son ami Granet)
En 1803 malgré son jeune âge (23 ans) il réalise pour la ville de Liège un portrait de Napoléon
L’année suivante il reçoit la commande de peindre « Napoléon sur le trône impérial »
Il réalise des portraits (la famille Forestier) mais il voulait être peintre d’histoire « Maudits portraits ! Ils m’empêchent toujours de marcher aux grandes choses, je ne peux les souffrir »
En septembre 1806 il part pour la Villa Medicis à Rome en pasant à Florence et en visitant à Rome la Chapelle Sixtine
Il peint la « Grande Baigneuse », dite « Baigneuse de Valpinçon »
A Rome il devient l’ami de Charles Marcotte d’Argenteuil, chargé des Eaux-
En 1810, son temps de pensionnat achevé, il décide de rester à Rome
Il épouse Madeleine Chapelle, une modiste de Guéret, qui ressemblait à une femme mariée dont il était épris mais qui lui fit rencontrer sa cousine et ce sera une union heureuse
En mai 1815 c’est la chute de Napoléon et la perte de la clientèle des fonctionnaires français à Rome et pour vivre dessine des portraits des étrangers de passage
Il s’installe en 1820 à Florence où il demeure quatre ans. Il accepte la première commande officielle du nouveau régime français « Le vœu de Louis XIII »
Fin 1824 il rentre à Paris où il reçoit la Légion d’Honneur, entre à l’Institut et ouvre un atelier
En 1832 il fait le portrait de Louis François Bertin, le fondateur du Journal des Débats
En 1834 il essuie un échec avec « Le Martyre de Saint Symphorien » ce qui l’incite à poser sa candidature à la direction de l’Académie de France à Rome qu’il obtient.
De 1835 à 1841, Ingres dirige très activement la Villa Medicis, transforme bâtiments et jardins, crée une bibliothèque et reçoit d’illustres visiteurs : Thier, Viollet le Duc, Gounod, Liszt, Lacordaire, Sainte Beuve …
Il laisse à son successeur une Villa Medicis prospère
Son retour à Paris en 1841 est triomphal. Ses admirateurs lui offrent un banquet
de 426 couverts. Louis-
Il exécute de magnifiques portraits : « La comtesse d’Haussonville », « La princesse de Broglie », « Madame Moitessier assise »
Baudelaire « M. Ingres, le seul homme en France qui fasse vraiment des portraits »
En juillet 1849 son épouse Madeleine meurt. Ingres est désespéré
En 1852 il se remarie avec Delphine Ramel, une parente de son ami Marcotte (elle a 43 ans, lui 72)
En février 1854, Napoléon III et Eugénie lui rendent visite dans son atelier
Une rétrospective de son œuvre est présentée lors de l’Exposition Universelle de 1855 à Paris
Le 8 janvier 1867 il réunit à dîner quelques amis mais il prend froid en les reconduisant. Il meurt à 86 ans le 14 janvier 1867
Torse d’homme 1800
Les élèves de David s’exerçaient à l’étude précise de l’anatomie
En étudiant les modèles vivants
En copiant des œuvres de l’art classique
Il fallait acquérir la maîtrise de la figure humaine, réelle et idéalisée
Croyance traditionnelle en la supériorité de la peinture qui représente de grands hommes accomplissant de nobles actions
L’histoire et la mythologie nous ont transmis le souvenir de ces nobles actions
Cette œuvre appartient à la catégorie des études de figure qui étaient des exercices d’atelier auxquels on décernait des prix
Cette œuvre exécutée en décembre 1800 remporta le « Prix du Torse » à l’Ecole des
Beaux-
Œuvre d’un jeune artiste de 20 ans qui imprime sa manière personnelle à un travail réalisé en vue d’une distinction académique
Fusion du réalisme scrupuleux et de l’idéalisation classique
Le sujet semble à la fois :
Un jeune héros digne de la race d’Achille
Un modèle d’atelier en chair et en os
Beauté classique de la tête par le profil grec statique et le regard fier qui sont animés par le désordre de la chevelure
Mais les aspects réalistes restent soumis à un dessin formel d’une grande sensibilité
Les surfaces et les contours qui décrivent la peau, les muscles et les nerfs ont un rythme fluide
Ce rythme lie les concavités et les convexités du bras droit et de la poitrine
La torsion élégante du corps annonce la souplesse du trait qui caractérisera Ingres
L’artiste meuble de souples arabesques linéaires les surfaces les plus dénuées de profondeur car la posture comprime les deux vues de face et de profil contre un plan sans relief
La puissante et claire lumière d’atelier donne une impression de bi-
L’épaisse ombre à droite écrase le corps du modèle qui se fond avec l’arrière-
La lumière brillante à gauche crée un contour net et tranchant qui devient presque une silhouette lumineuse apposée au fond sombre
Ce nu semble un relief de camée resserré dans un étroit espace dont les limites sont définies par les mains fortement modelées et la partie inférieure du support
Jeu entre la masse sculpturale et le dessin linéaire de surface
La chaleur de la chair très colorée est tempérée par des tons de gris argenté
Ce gris argenté crée une impression de fraîcheur et de sensualité glacée
Les ambassadeurs d’Agamemnon dans la tente d’Achille 1801
Tout élève de l’atelier de David avait l’ambition de remporter le Premier Grand Prix de Rome
Il pourrait ainsi poursuivre ses études à la Villa Medicis et étudier les antiques dont on ne connaissait à Paris que des répliques ou des gravures
Le 29 septembre 1801 Ingres remporta le prix en illustrant le sujet choisi par l’Académie : Les Ambassadeurs d’Agamemnon essayant de persuader Achille de retourner au combat
Ingres interprète cette scène de l’Illiade en créant un contraste entre les thèmes de la paix et de la guerre
Cette opposition divise le tableau en deux parties égales
A gauche, le grand guerrier Achille, temporairement retiré de la bataille et accompagné de son ami Patrocle
Derrière lui, dans un espace délimité par un montant et un linteau se tient une jeune fille qui pourrait être Briséis
Achille, la lyre à la main, les armes rejetées en arrière, s’adonne à la musique et à la poésie en chantant les grandes actions des héros
A droite, les délégués d’Agamemnon, conduits par Ulysse, exhortent le jeune homme à reprendre l’épée et le bouclier qu’on aperçoit à gauche
Au milieu du tableau, dans le lointain, on voit un groupe de soldats grecs qui se reposent des ardeurs de la guerre
Le tableau d’Ingres respecte les modèles de composition de David, son maître
Les personnages d’une clarté et d’une immobilité de statue sont disposés à l’intérieur d’un espace peu profond ressemblant à une scène
Plusieurs personnages font allusion aux statues classiques
Le personnage d’Ulysse est basé sur la statue antique du général athénien Phocion
Celui de Patrocle évoque un autre marbre classique : celui de Ganymède
Mais Ingres exprime sa grande connaissance de l’anatomie vivante
Son Patrocle exprime une pose comparable prise par un modèle étudié par l’artiste
Le groupe d’ambassadeurs témoigne d’observations réalistes : les mains et les avant-
Par rapport aux guerriers nus des Sabins de David, Ingres marque sa préférence pour des proportions d’une souplesse élongée et pour des contours d’une précision déliée
Achille aux longues jambes montre de la vivacité pour faire face à ses visiteurs : ses pieds et ses mains sont infléchis comme avant un saut
Moins raide, la figure de Patrocle contribue à cette souplesse et fait contraste avec l’anatomie plus robuste des guerriers de droite
Ingres est attiré par l’embellissement décoratif
Les draperies qui glissent sur la cuisse d’Achille ou qui s’enroulent mollement autour du torse de Patrocle annoncent les complexités linéaires des châles des premiers portraits d’Ingres
Les couleurs révèlent une certaine préciosité : tons élégants gris-
Le style d’Ingres apparaît dans la contraction de l’espace
Le plan du sol est en pente brusque et les personnages du premier plan en perdent presque leur pesanteur
Penchant d’Ingres à comprimer les compositions dans des structures qui approchent
la bi-
Attirance d’Ingres pour les illustrations d’Homère par l’artiste anglais John Flaxman
Autoportrait à l’âge de 24 ans 1804 et 1850
Cette toile a subi de nombreuses transformations
Ingres avait tendance à revenir sur ses œuvres à plusieurs années d’écart
La première version représentait le peindre au travail devant le chevalet en train d’effacer une toile qui en réalité apparaissait blanche
Sur la seconde version la toile représentait une ébauche pour un portrait de son ami François Gilibert
Amis depuis l’enfance passée à Montauban, Inges est Gilibert étaient liés par une profonde afininté. Gilibert avait un vague intérêt pour son activité d’avocat et s’amusait à faire de l’art
Ils vécurent ensemble à Paris entre 1799 et 1806
Gilibert mourut en 1850
L’amitié avait un rôle important dans la vie d’Ingres
Cette troisième version confère à l’œuvre une plus grande force car elle supprime
le contexte narratif et en fait une image symbolique : Ingres ne se présente plus
dans l’acte d’accomplir une action mais concentré sur lui-
Ingres fait référence à un autoportrait de Raphaël dont il aimait se considérer comme l’héritier et le successeur
Jean-
Gilibert est son ami d’enfance qui l’avait rejoint à Paris et partageait les passions du groupe d’artistes qui l’entourait alors
Equilibre entre le traitement réaliste et l’idéalisation du modèle
Volontaire refus d’une posture anatomiquement vraie au profit d’une position du corps retenue pour sa beauté plastique et sa participation au dynamisme de la composition
Soint apporté au regard fixant le spectateur
Goût pour les accessoires et la description sensuelle des vêtements
Ingres a représenté son ami montalbanais assis, ou plutôt appuyé sur un meuble difficile à identifier
Cette position favorise le dynamisme de la mise en scène tout en assurant une stabilité apaisante
Il a placé les deux mains de son modèle devant lui, au niveau des cuisses, l’une
gantée de rouge tenant une badine et l’autre nue repliée sur elle-
Tout est peint en frottis, traité comme une esquisse
Seul le visage apparaît patiemment travaillé, la minceur des traits et leur finesse paraissant bien fragiles en comparaison de la masse sombre du vêtement
Monsieur Philibert Rivière 1805
Monsieur Rivière était fonctionnaire à la cour de l’Empereur. Il se fit peindre par
un jeune peintre, Ingres, lui, sa femme (née Marie-
Ingres devait tenir compte de l’opulence distinguée du modèle et de ce qui l’environnait
Il voulait une image élégante, confortable et mondaine. Il étudia les aristocratiques portraits de son maître David, notamment « M. Meyer » qui date de 1795
Au premier regard le mur d’un gris mat, le rose sourd du dessus de la table, les blancs, les beiges et les noirs du costume imposent à l’ensemble un ton austère
Mais cette réserve apparente est ébranlée par une profusion de détails rappelant les détails luxueux du portrait de Bonaparte de 1804
La sévérité du linge immaculé de M. Rivière est combattue par l’éclat de métal précieux des boutons d’argent, de la breloque et de l’anneau d’or
La géométrique sécheresse du fauteuil d’acajou est transformée par la bordure dorée du coussin, la volute au bas du dossier et la tête de lion dorée à droite dont le pendant au premier plan est dissimulé par la main calme du modèle toute duplication qui créerait un effet monotone
Ingres aménage un riche dessin de surface dans un espace restreint : le dossier et le siège du fauteuil sont placés tout contre la bordure du cadre et on remarque la superposition verticale des genoux du modèle
La gravure d’après la « Vierge à la chaise » de Raphaël est jetée comme par hasard parmi les élégantes reliures dorées sur la table
Cette gravure est une copie rapportée d’Italie par le premier maître d’Ingres, Joseph Roques, qui le premier suscita chez le jeune artiste une inébranlable vénération pour Raphaël
Ingres intégrera cette gravure dans d’autres œuvres
Lorenzo Bartolini 1805
En 1805 Ingres et le sculpteur Lorenzo Bartolini, sortis de l’atelier de Davis, partageaient une double cellule dans le couvent des Capucines
Ils sont unis par leur intérêt pour les peintres italiens de la Renaissance
Ce portrait montre la maturité acquise depuis l’époque de l’enseignement de David, dans la pose, inédite par rapport à la représentation des portraits de l’époque, et dans l’abandon de la touche rapide en faveur d’une perfection limpide et nette
La pose de Bartolini qui tient dans sa main une tête antique de Jupiter est par son élégance aristocratique un rappel de la représentation des portraits de la Renaissance
Madame Philibert Rivière 1805
Larges rythmes créés par la façon dont le corps sensuel arqué en avant s’accolle au mouvement du châle indien qui monte et descend de presque toute la hauteur de la toile
A l’intérieur de ces larges rythmes une grande vivacité malgré l’expression calme de Madame Rivière
Les boucles noires forment comme un nid de serpents
Ces volutes sont reprises dans l’ornement folliacé du sofa, en bas à droite
Ces volutes se prolongent dans les entrelacs de feuilles et de fleurs sur la broderie du châle
A l’ocre pâle du châle font écho la frange qui borde ses pans et les mouvements de la robe et du voile de gaze blanche
Les variations linéaires des bijoux (fines bagues, bracelets et collier) s’accordent au motif elliptique qui s’étend au format ovale du tableau
Mais cette fébrile activité semble statique car :
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Les critiques de l’époque ont reproché l’amincissement du bras droit mais plus tard d’autres ont considéré que ce tableau préfigurait Cézanne et certains Picasso dans la façon dont sont rejetés les traditionnels procédés de perspective
Les coussins semblent avoir été gonflés pour éliminer le moindre creux et fournir un confortable support à Mme Rivière dans la pose qu’elle a été obligée de prendre pour s’inclure dans ce réseau d’arabesques de surface
Le triomphe de ce portrait allait être bénéfique à la future carrière d’Ingres qui allait réaliser une longue suite de portraits de femmes
Ambiance de féminité voluptueuse
Fraîcheur de la palette avec ses gris, beiges, ocres et ses bleus un peu froids qui tempèrent le rose de la chair
Réalisme presque photographique et élaboration de lignes abstraites
Surface peinte sans trace de pinceau, immaculée, lisse comme l’émail
Mademoiselle Rivière 1805
Jeune fille de 15 ans d’une candeur juvénile
Elle mourut l’année de son portrait
Pureté et innocence étrangères à l’atmosphère artificielle et sensuelle des portraits de femmes accomplies peints par Ingres
Cette pureté, qui surprit les critiques du Salon de 1806 habitués à une palette plus sombre, résulte de :
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La clarté ciselée de la tête, centrée au-
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Les sinuosités du boa évoquent le châle de la mère
La rigidité sculpturale du modèle est atténuée par l’ondulation des plis multiples qui rappellent le mouvement de la robe de Mme Rivière
Les coutures de la manche et celles du boa créent avec les lacets du gant au-
Sérénité limpide du paysage du fond aussi frais que la jeune adolescente
La palette de gris pâles et de bleus s’harmonise avec les modulations blanches et
jaune-
Le modèle semble découpé et appliqué sur le paysage ainsi que dans un bas-
Le cou pareil à celui d’un cygne donne l’impression d’être plaqué sur le fond du ciel
Le large cours de la rivière lointaine avec ses reflets argentés se fond presque avec la ceinture de satin du premier plan
Ce tableau introduit le dialogue entre le portrait et le paysage qu’Ingres devait poursuivre dans ses portraits d’Italie
Madame Aymon dite la Belle Zélie 1806
En fait l’identité du modèle de ce portrait n’est pas connue comme est incompréhensible le surnom « La Belle Zélie »
Dans l’atelier de David était chantée une chanson dont le refrain était « Te bien aimer, ô ma chère Zélie »
Ingres a été séduit par cette jeune femme belle et sensuelle, avec ses accroche-
Portrait clair et coloré dans une gamme de rouge et de brun-
Le portrait ovale et la simplicité de la composition suggérent une commande dans l’esprit des portraits alors à la mode
Ingres modernise la représentation du corps humain par le jeu du châle et le discret contraposto donné au buste du modèle ce qui crée une animation dans la posture de la jeune femme qui n’en paraît que plus vivante et accessible
La famille Forestier 1806
Ingres fut un musicien amateur doué et enthousiaste
C’est sur ce penchant que se forgea l’expression « violon d’Ingres » qui est « une occupation secondaire dans laquelle on excelle »
« Mon père me fit apprendre à jouer du violon et avec assez d’intelligence pour avoir été admis comme violon au grand théatre de Toulouse »
Dans ce tableau Julie Forestier, la fiancée d’Ingres en 1806 est représentée les doigts sur le clavier.
Cette jeune artiste-
Julie ne se maria jamais et écrivit un roman ou l’héroïne confie à sa mère qui lui
conseille de s’adonner à la musique « Mon piano, n’y étais-
Napoléon sur son trône 1806
Vision de l’Empereur empreinte d’une grandeur terrifiante comme hors du monde
Impression d’autorité immuable qui contraste avec la cascade d’ascensions et de chutes qui caractérise cette période de notre histoire
L’empereur du haut de son trône semble régner depuis toujours
Il est isolé de notre royaume terrestre par une marche recouverte d’un tapis à l’aigle impérial puis par un coussin de velours pour ses pieds
La symétrie rigide de sa pose lui donne une noblesse hiératique qui évoque les divinités des civilisations classique et chrétienne
Toute la panoplie de l’histoire occidentale s’étale sur cette peinture comme dans une vitrine de musée :
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Ingres restitue l’imperturbabilité majestueuse du Jupiter de Phidias (qu’il reprendra en 1811 dans son « Jupiter et Thétis »)
Il reprend la distante omnipotence de l’image du dieu chrétien « Dieu le Père » de Van Eyck, panneau du triptyque de Gand qui fut exposé au Louvre de 1799 à 1816
Les critiques de l’époque considérèrent ce tableau comme rétrograde car il ramenait l’art à son berceau médiéval
On reprochait l’attitude froidement symétrique
On suggérait à Ingres d’étudier les portrais de Véronèse et du Titien pour assouplir son style et réchauffer ses couleurs
Ingres éblouit l’œil avec les étalages denses d’un velours cramoisi, doré et orné de bijoux
L’hermine blanche lui donne la splendeur somptueuse du « Dieu le Père » de Van Eyck
Le visage brossé comme une icône médiévale transforme le modèle en chair et en os en une image obsédante, sans âge, de puissance incontestée et inaccessible
Vingt ans plus tard Ingres tentera de communiquer à son portrait de « Charles X, dans son costume de couronnement » la foi ancestrale au droit divin des rois que l’histoire moderne a détruite
Baigneuse 1807
Au lieu de se réjouir de la vue sans voile de la nudité féminine, le spectateur se sent dans la situation désagréable du voyeur
Vue de dos mais à une distance qui donne l’impression qu’on pourrait presque la toucher,
la baigneuse regarde anxieusement par-
Combinaison de l’extrême volupté dans la proximité de la chair nue et de la pudeur inattendue du geste de recul
Contour incisif tracé sur un paysage de feuillage, un lac et un ciel bleu opaque
Ce contour évoque le pur tracé du dessin des vases grecs qui fascinait tant Ingres
Ce dessin linéaire abstrait prend vie avec la palpabilité de la chair
La surface lisse, irréelle, du front et des joues est rehaussée par les détails des rides du cou et les mèches folles que l’on aperçoit sous les tresses
Le galbe parfait du bras et du dos est rompu par la soudaine apparition des doigts crispés qui s’enfoncent dans la chair souple
Le turban noué est décrit avec une précision photographique (turban qui a son origine dans la « Fornarina » de Raphaël)
Le manque de relief est atténué par la légère inclinaison qui nous permet de voir le début de l’arcade sourcillière droite
Etonnantes déformations anatomiques :
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La liberté qu’Ingres prend avec l’anatomie est souvent masquée dans ses portraits par la superposition des vêtements et des bijoux
Madame Antonai Duvaucey de Nittis 1807
Premier portrait de femme peint par Ingres à Rome
Mme Duvaucey est la maîtresse napolitaine de Charles Alquier, homme d’Etat français envoyé à Rome pour essayer de contracter une alliance avec le Pape
Le modèle est placé dans une ambiance de luxe féminin qui contraste avec la mâle ordonnance du décor extérieur qu’Ingres choisissait souvent en Italie pour ses modèles masculins
A cette maîtresse jeune et belle Ingres donne comme une enceinte protectrice le réconfortant mouvement circulaire du châle et la bordure du dossier du fauteuil
Cette bordure délimite à la fois en largeur et en profondeur l’espace peu profond où se tient le modèle
Clarté et franchise du regard de la jeune femme apposé sur un austère fond plat
La clarté de ce regard atténue l’étalage de la parure (l’éventail, les bagues, le châle de soie, le fin collier et les bracelets en poil d’éléphant)
La pureté abstraite de la tête est subtilement contrecarrée par une mèche de cheveux qui dérange l’ordre géométrique parfait de la lisse chevelure et par le peigne à droite
Forme en arc-
La pointe de l’éventail qui aurait apportée une note d’acuité incisive parmi ces courbes fluides est dissimulée
De même la pointe aigüe de la plus longue boucle du collier se cache derrière la bordure courbe du corsage décolleté assez bas
Les couleurs participent à l’harmonie des formes
L’or et le rose du fauteuil sont intervertis dans le rouge et le jaune pâle du châle
La chaleur de ces nuances contraste avec le noir d’encre de la chevelure et de la robe de velours
Les critiques se plaignirent de son aspect froid et sans ombre
Des anomalies dans l’anatomie :
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Dans le bras gauche les saillies de l’épaule et du coude sont soigneusement emmitouflées dans le drapé du châle : ainsi sont préservées les arabesques de surface
40 ans après ce portrait de 1807, soit en 1847, Mme Duvaucey, âgée et dans le dénuement sollicita l’aide d’Ingres pour vendre ce témoin de sa jeunesse prodigue. Ingres s’entremit avec prévenance pour l’aider
Le Casino de Raphaël à Rome 1807
Ingres, Prix de Rome, a rempli un carnet de dessins de monuments italiens et de vues d’Italie
Pendant son premier séjour en Italie il fut l’ami intime de François-
Son maître, David, dessina de nombreuses scènes de Rome lorsqu’il étudia dans cette ville de 1775 à 1780
Un casino est une petite résidence de campagne
Du Casino de Raphaël rasé en 1848 il nous reste ce souvenir vu de la Villa Medicis où Ingres était logé comme pensionnaire de l’Académie de France
Dans ce minuscule tondo (16 cm de diamètre), les vestiges du passé historique de Rome sont répartis dans des plans fuyants qui apparaissent en horizontales depuis la géométrie des jardins de la villa Medicis jusqu’aux arcs sereins des pins parasols
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Même les traînées de nuages répondent au rythme horizontal du sommet des arbres
Couleurs froides de gris, de bleus et de verts
La lumière tombe d’une direction plus précise qu’à l’habitude chez Ingres (longue ombre de Venus au premier plan)
Après son premier séjour romain Ingres n’a pas fait de paysages
François-
Le premier portrait important qu’Ingres peignit à Rome est celui de son ami intime
le paysagiste Granet (1775-
Le modèle se détache à la façon d’un héros sur un fond de ruines romaines
Ingres a placé Granet devant une vue spectaculaire du Quirinal
L’harmonie entre la figure et le paysage est recherchée dans les termes tourmentés d’un romantisme naissant
L’orage menaçant qui assombrit le ciel a sa résonance dans la posture byronnienne de Granet
Des inventions viriles éloignées de l’élégance cloîtrée dans laquelle Ingres place d’ordinaire ses modèles :
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Dimension dominante de la figure à mi-
Une vue en profondeur s’agence à travers les harmonies architecturales cubiques de plans nettement définis (les murs, les fenêtres, les arcades, les toits brillants sous le ciel gris bleu)
On observe dans le paysage des tonalités qui reprennent le riche brun foncé du manteau, le noir intense de la chevelure bouclée, la blancheur empesée du col et de la chemise et le dos jaune du portefeuille
Derrière le modelé méticuleux du visage de Granet, rouge et verni comme une pomme de cire, le panorama romain s’écrase dans un ensemble de plans serrés
L’artiste occupe un espace peu profond devant le parapet
Le minuscule aqueduc à gauche, couronné par un pin parasol, délimite l’horizon lointain
Fusion d’une présence humaine imposante et d’un paysage magnifique dans les limites d’un ordre artistique rigoureux
Madame Guillaume Guillon-
Elle est l’épouse du directeur de l’Académie de France à Rome
Elle est représentée devant l’institution que dirige son époux
L’attitude nonchalante de l’enfant saisi dans un moment d’ennui, et armé d’une branche d’arbre que l’on devine propice à des jeux guerriers contraste avec la puissance matronesque de la figure maternelle
Portrait de Victor Dourlen 1808
Victor Dourlen (1780-
En bas du portrait une jolie estampille en forme de lyre antique
La vue de la Trinité des Monts et de l’obélisque au fond à droite est homogène avec le dessin et indiscutablement de la main d’Ingres
L’authenticité des paysages romains qui constituent les fonds de portrait dessinés à l’époque a parfois été mise en doute
Oublié aujourd’hui Dourlen a laissé un Dies Irae composé à Rome et plus tard un Traité d’harmonie
La baigneuse de Valpinçon 1808
Ainsi nommée d’après le collectionneur qui l’acheta
Le premier grand nu de femme peint par Ingres crée un monde d’immobilité
Réincarnation de l’idéal de perfection classique
Position de la tête qui laisse à peine deviner le profil gracieux
Courbes du dos et des bras à la perfection marmoréenne
Jambes et pieds délicatement croisés
Tableau inspiré par l’une des Trois Grâces de Raphael à la villa Farnesina et par les marbres de Canova
Tension créée par le passage de la froideur à la sensualité, de l’abstraction au réalisme
Anatomie abstraite : les articulations anguleuses et les saillies osseuses sont remplacées par des contours coulants et arrondis qui définissent la longueur du bras, la jonction de la cuisse et de la taille, la courbe de l’épaule
Détails d’un réalisme pointilleux : les mèches de cheveux sur l’oreille, la précision avec laquelle les draperies, les draps et les vêtements sont décrits
La chute de la draperie à gauche se répercute dans le renflement progressif du rideau blanc qui se continue au premier plan dans les plis verticaux des draps
Le mouvement sinueux du turban rayé de rose est repris dans le tissu bouffant qui adoucit l’angle du coude gauche avant de s’enrouler autour des jambes
Le petit jet d’eau dans la baignoire rapproche le bord du drap blanc et le coin de la draperie brodée
Les formes du modèle et de l’environnement semblent dépourvues de pesanteur
Le seul pied visible du divan repose sur une pointe
La masse de la colonne de marbre à gauche est cachée par la draperie
Ingres était satisfait de ce tableau qu’il reprit dans plusieurs compositions dont «Le Bain Turc »
Bonaparte en Premier Consul 1804
L’accession de Napoléon au pouvoir fut accompagnée d’une énorme production artistique qui glorifiait son personnage, ses conquêtes et ses actes de bienveillance
Reportage documentaire des scènes de bataille de Gros
Ce premier portait de Napoléon par Ingres fut commandé le 17 juillet 1803. Il était destiné à la ville de Liège et commémorait un don de Napoléon
Le Premier Consul avait offert une subvention pour la reconstruction d’un faubourg de Liège, Amercoeur, fortement détruit en 1794 par les bombardements autrichiens
Ingres n’eut droit qu’à une seule séance de pose au Palais de Saint-
Le portrait d’Ingres, destiné à une ville flamande, semble faire revivre le style des primitifs flamands alors redécouvert par les collectionneurs lassés de la virtuosité de la tradition picturale baroque
Intense réalisme d’Ingres : les descriptions sont si méticuleuses que les objets semblent juxtaposés plus que fondus
Eblouissant velours rouge et or du costume
On remarque la texture de :
Du papier blanc sur lequel est inscrit le décret de reconstruction
Les deux plumes d’oie sur la table
Le chatoiement des bas de soie avec leurs plis
Les franges dorées dont les brins pourraient être comptés
Les diamants sur la poignée de l’épée
Ce réalisme évoque Van Eyck
Curieuse raideur de la pose officielle, digne, de Napoléon avec la main glissée dans l’habit
Le tableau mesure près de 2,50 m mais la très minutieuse observation du moindre détail réduit fortement l’échelle
Comme dans les œuvres de plusieurs primitifs flamands le plancher glisse et les objets paraissent dépourvus de poids à la surface du tableau
Le faubourg d’Amercoeur, nouvellement reconstruit, est ébauché dans une lumière diffuse et nacrée totalement différente de celle du premier plan
Les couleurs froides assourdies et le sens de l’ordre géométrique annoncent les paysages de Corot des années 1820
Polarité entre les styles picturaux nordique et méditerranéen