Le Juif en vert - 1914


Chagall écrit dans son journal : "Vitebsk est un monde à part, une ville ennuyeuse, habitée par des bourgeois bossus et maigres, des juifs verts"

A Paris c'est en imagination qu'il représentait les personnages typiques de Vitebsk. Maintenant il les présente dans toute leur corporalité


De vieux mendiants, des prêtres juifs itinérants franchissent le seuil de la maison paternelle, pieuse et hospitalière

Le Juif vert n'était pas un rabbin, c'était un de ces juifs errants imprégnés de la parole sacrée, qui proclamait la parole de Dieu

"Il est venu, s'est assis sur une chaise et s'est endormi aussitôt"

Peinte par Chagall sa fatigue est devenue celle de tout un peuple en butte à la servitude et à la discrimination


Il le peint résigné, plongé humblement dans ses pensées, avec le visage vert inspiré qu'éclaire l'or de sa barbe

Il semble assis comme sur un banc, sur un mur de pierre dans lequel sont gravés en écriture hébraïque les textes sacrés

Le visage vert doré rayonne comme la face du prophète Jérémie mais sa casquette russe à visière usée le ramène à la pauvreté du moment


La veste est décolorée par le temps

La main droite établit la liaison avec le visage plongé dans la méditation

La main gauche blanche comme le marbre semble répéter les mots de l'inscription gravée

Ces deux mains évoquent par la couleur irréelle l'aura de méditation qui remplit ce juif pieux

Chagall à propos de ce tableau "Je pars d'un choc spirituel initial, concret, donc d'une chose précise, et je m'achemine vers quelque chose de plus abstrait"

Au-dessus de Vitebsk - 1914


Cette toile aurait pu n'être qu'une vue réaliste de Vitebsk sous la neige

Qui est le mystérieux personnage surgissant derrière l'église ?

La culture juive, particulièrement le yiddish désigne le mendiant qui va de maison en maison comme celui qui "marche par-dessus la ville"

En butte aux persécutions et aux pogroms, les juifs d'Europe orientale se reconnaissent dans la figure du mendiant baluchon sur l'épaule

Mais c'est peut-être aussi le prophète Elie que les récits décrivent comme un visiteur impromptu capable de se présenter sous divers déguisements et que Chagall imaginait sous l'aspect d'un vieillard avec un sac sur le dos, une canne à la main et, vissée sur la tête, une casquette russe

Le Juif en prière ou Le rabbin de Vitebsk - 1914


En arrivant en France en 1911 Chagall semblait se détacher de l'emprise du judaïsme pour s'ouvrir au monde et se mettre au goût du jour


Il s'était éloigné depuis longtemps de la religion

Il était trop individualiste pour se laisser diriger par qui que ce soit et peu porter à la soumission pour se plier à la rigueur rituelle

La peinture était devenue sa religion

De retour en Russie et obligé de rester à Vitebsk quand la guerre éclate il se plonge à nouveau dans cet univers dont il s'était éloigné


Il retrouve les coutumes qui avaient nourri son enfance

Chagall redevient vivement juif parmi les autres juifs. Il le restera toute sa vie


La Révolution put permettre aux hommes de se sentir moins obligés par les autres d'être juifs. Mais l'espérance révolutionnaire s'assombrit rapidement. Chagall sortit de la Révolution et de la Russie dès qu'il le put.


Arrivant à Paris en septembre 1923 il entrait dans une nouvelle vie

Ce tableau est le portrait d'un vagabond dont le visage marqué par la fatigue et la misère résume la condition des juifs d'Europe centrale

Ce visage a une valeur d'archétype parce qu'il est encadré par le châle de prière qui devient sous le pinceau de Chagall une forme géométrique quasi abstraite

Attaché sur le front de l'homme le cube des tephillin (petite boîte en cuir contenant des fragments des Ecritures sur parchemin)

L'ensemble du tableau est traité dans le blanc et le noir du châle traditionnel

Chagall exécutera plusieurs versions de ce tableau où il est parvenu à fixer les traits immémoriaux du Juif en prière tel qu'il s'est transmis de génération en génération


Jour de fête ou le Rabbin au citron - 1914


Ce tableau est inspiré par la fête du Soukhot (ou des Tabernacles) qui célèbre la traversée du désert par le peuple juif

Le rabbin revêtu du "tallit", long châle de prière, tient dans ses mains suivant les prescriptions du Lévitique les deux attributs propres à la cérémonie : le cedrat (sorte de gros citron non comestible) et la palme

Il est en arrêt dans un décor géométrique vide à l'extrémité d'une pièce dans laquelle il s'apprête à pénétrer en montant trois marches

Son regard est tourné vers cette pièce qui n'est qu'à peine indiquée. Il tient en équilibre sur sa main un citron, en fait un cedrat

En plaçant l'entrée d'une construction durable face au personnage Chagall s'éloigne de la coutume qui veut que pour la fête des Tabernacles soient édifiées des cahutes provisoires en branchages où les hommes doivent prendre leurs repas

Cette fête est dédiée au souvenir de la précarité de la vie pendant l'errance dans le désert. Quand il peignit ce tableau Chagall était depuis peu en exil

Campé dans un espace dépouillé et géométrique, le rabbin flanqué de ses attributs rappelle les scènes de la vie de Saint François peintes par Giotto que Chagall admirait

Jour de Fête est à rapprocher du Juif en prière, du Juif vert et du Juif rouge, tous peints en 1914

Mais à la différence de ces tableaux caractérisés par la gravité, ici la scène est plus distanciée


Juché sur sa tête, le double miniature du rabbin apparaît comme une réplique ironique. Ce petit personnage appartient à la légende kabbalistique du golem

Le Juif rouge - 1915


De retour en Russie à Vitebsk, Chagall qui avait souffert d'être éloigné de son shtetl s'était replongé dans ce monde aux antipodes du milieu qu'il avait fréquenté à Paris

Le vieil homme dont la figure se détache sur un décor de shtetl sans perspective est un de ces personnages qui joue un rôle important dans la culture yiddish

Des hommes errants plus ou moins mendiants et pas forcément plus justes que d'autres mais détachés de tous les biens matériels et porteurs d'une certaine sagesse : quand ils passent devant l'épicerie de sa mère Chagall échangeait quelques mots avec eux et invitaient certains à poser pour lui contre un peu de nourriture

Ce tableau dont la couleur se réduit à l'opposition du rouge et du vert est proche de l'expressionnisme qui devient alors la nouvelle vague

Au-dessus des toits il a fait une coupole de texte hébreu composé de plusieurs citations de la Bible.

En russe, les mots "rouge" et "beau" sont identiques : une fille rouge est une belle fille et la Place Rouge est belle

Les amoureux en bleu - 1914


Chagall illustre son amour pour Bella en portraits doubles très stylisés dans lesquels il représente le couple tendrement uni

Il représente les amoureux en rose, bleu et vert : variation sur un même thème graphiquement simple

Il exprime un souci décoratif dont il n'avait pas jusqu'alors donné de preuves

Style étonnant par la simplicité et la manière d'affiche

Il n'avait jamais fait de si délicats portraits, lui qui se montrait réaliste en peignant les membres de sa famille ou les juifs de passage

Cette manière fut une parenthèse

Mais cette immense tendresse est une image juste du couple Bella-Marct

L'Anniversaire - 1915


En pleine guerre il y avait de quoi désespérer du monde mais la culture de Chagall lui a appris qu'il y a toujours place pour la joie.

Le hassidisme dont le violon est joyeux, contrairement à celui des tsiganes, enseigne à lutter contre la mélancolie

Il a retrouvé Bella qui l'a attendu

Dans la chambre du jeune homme qu'elle a décoré de fleurs et de foulards bariolés, elle lui souhaite son anniversaire

Il l'embrasse, il est léger, il flotte et elle-même semble s'élever au-dessus du sol dans la maison rouge, blanc et bleu

La peinture ne saurait être que ce lieu hors du temps où les fiancés se laissent aller à leur bonheur


L'Anniversaire est le premier tableau qui représente le couple d'amoureux volant

L'invraisemblable position des personnages est une illustration du transport amoureux

Peint dans le logement qu'il louait à un gendarme le tableau fourmille de détails réalistes : les châles de Bella qu'il avait accrochés au mur, l'église qu'il pouvait apercevoir de sa fenêtre, le gâteau d'anniversaire posé sur la table


Chagall épouse Bella à Vitebsk le 25 juillet 1915

Les parents de la mariée ne se réjouissaient pas de cette union, Chagall n'étant pas le bienvenu, lui, le fils d'un ouvrier

Bella se remémore ces journées heureuses avec Chagall "Soudain tu me soulèves du sol ,et toi-même, tu me prends dans ton élan comme si la petite chambre était trop étroite pour toi, tu bondis, tu t'étires de tout ton long et tu voles jusqu'au plafond. Ta tête est retournée et tu me retournes aussi la mienne"

N'importe où hors du monde - 1915


Chagall n'était pas revenu à Vitebsk pour y rester mais juste pour revoir Bella et sa famille

Mais la guerre l'obligeait à rester à Vitebsk et à y faire le peintre alors que sa peinture était mal considérée

Cette vie de village lui pesait avec trop de codes, de règles, de rituels

Heureusement il y avait Bella aussi intelligente que belle. Elle voulait faire du theâtre

L'art et l'amour exigeaient de plus larges horizons

"N'importe où hors du monde..."  : le soupir romantique de Baudelaire est repris dans ce tableau où la tête de l'artiste n'est pas coupée à la base mais en plein visage

S'il n'était plus chez lui à Vitebsk, s'il ne pouvait revenir à Paris il n'y avait d'issue qu'hors du monde, dans le monde transcendant de l'imagination, de l'art et de l'amour

Fenêtre à la campagne - 1915


Le 25 juillet 1915 à 28 ans Chagall avait épousé Bella et avait passé avec elle un mois d'été heureux dans une maison de campagne à Tsaolkla


La maison donnait à l'arrière sur un bosquet de bouleaux, visible de la fenêtre de la cuisine

Chagall aimait ces perspectives dans l'encadrement d'une fenêtre


Contraste poétique entre l'intimité préservée de l'intérieur de la maison et le spectacle de la nature libre

Le tableau montre sur presque toute la surface l'encadrement de la fenêtre

Dans la moitié inférieur le rideau simple est replié sur le cordon qui le soutient

Sur le rebord intérieur de la fenêtre se trouvent les ustensiles de cuisine de la maison : la cruche, deux assiettes retournées sur lesquelles sont posées deux pommes, une tasse et un sucrier; témoins paisibles de la vie domestique


A droite pend une étoffe orientale. C'est un châle précieux que Bella offrit un jour à son peintre

Deux têtes de profil : Bella et Marc contemplent la verte prairie, la haie fleurie et les bouleaux élancés

Communion  de pensée devant le merveilleux qui cogne à la vitre


Le fractionnement des plans des cubistes se retrouve dans les plis du rideau ainsi que sur la prairie et la frondaison

La croisée rigide de la fenêtre agit comme un repoussoir derrière lequel se produit le miracle de la nature libre


Depuis son retour en Russie la fenêtre ne s'ouvre plus sur la nostalgie mais sur un "ici et maintenant"

La manière de voir de Chagall est plus réaliste : consistance des objets posés sur la fenêtre, dessin clair de l'arabesque du rideau, accentuation des contours

Le poète allongé - 1915


Oeuvre de sérénité et d'apaisement ce tableau a été exécuté lors du voyage de noces avec Bella dans la campagne proche de Vitebsk

L'artiste peint ce qu'il voit : bois, sapin, solitude, le cheval, le cochon et le ciel lilas

Le monde lui apparaît avec la simplicité et l'évidence du bonheur : chaque élément semble convoqué par le peintre  pour composer un vocabulaire illustré des joies de la campagne

Ainsi travaille le poète qui reconstruit le monde en mots et qui laisse aller sa rêverie horizontale

Cette position horizontale coïncide avec la base du tableau dont le format carré symbolise la simplicité et l'équilibre

Si Chagall peint ce qu'il voit la réalité appartient aussi à l'imagination vagabonde du poète auquel le peintre s'identifie

Le miroir - 1915


Un tableau est comme un miroir ou reflet de la réalité

Les miroirs sont nombreux dans la peinture classique : ils expriment le retour que la peinture fait sur elle-même

Ce que reflète le miroir de Chagall ne se trouve pas dans le tableau : le miroir fonctionne comme une fenêtre ou un tableau dans le tableau


Le Miroir est une œuvre singulière dans la production de Chagall

Loin du tumulte coloré de la palette chagallienne, la toile se compose de deux aplats vert et violet sur lesquels le cadre ouvragé du miroir se détache avec force, recréant un tableau dans le tableau

L'étrange colonne de la lampe semble dialoguer avec la moulure de l'encadrement comme si par un changement d'échelle les objets prenaient une dimension architecturale

Cette dimension architecturale est accentuée par le minuscule personnage endormi au pied de la glace. Ce petit personnage endormi accentue le caractère irréaliste et construit

Au-dessus de la ville - 1914-1918


Marc emporte Bella dans l'air au-dessus de Vitebsk

Est-ce l'image de l'amour qui les entraîne dans un espace d'éternité ou l'expression du désir de s'échapper de Vitebsk, où le monde est trop petit pour ceux qui ont goûté aux perspectives ouvertes par l'esprit moderne ?

Cette image est universelle et appartient à tous ceux qui connaissent l'amour

La petite ville n'échappe pas à une imagerie populaire conventionnelle

Marc et Bella ne flottent pas : ils sont en mouvement dans la direction du bras tendu par la jeune femme dont la robe est tenue par le mouvement le long de ses jambes allongées

La robe paraît animée d'un geste de natation

Il s'agit d'une envolée vers quelque ailleurs


Chagall ne se lasse pas de représenter sa ville natale

"C'est ma ville, mon tombeau"

C'est comme enfant du pays qu'il sera nommé commissaire aux Beaux-Arts par Lounatcharsky en 1918

Vitebsk est un contre poids réaliste face à son imagination vagabonde

Les palissades de bois au profil crénelé rythment l'horizontalité du paysage à laquelle fait écho le couple planant dans les airs

L'Apparition - Autoportrait avec muse  1917-1918


Chagall était devenu le peintre des allégories illustrant le mystère de l'amour

Ici, variation sur le thème de l'Annonciation

L'ange fait irruption dans la pièce qui lui sert d'atelier. Le peintre à son chevalet ne semble pas surpris par l'énorme être ailé qui atterrit près de lui et dont le visage a les traits de Bella

La lumière est irréelle : une subtile variation de bleu, de blanc et de gris

La lumière dessine un X sur les deux diagonales du tableau

L'ange Bella lui annonce l'œuvre à venir

L'ange fertilise la toile comme dans l'Annonciation l'ange sème en la Vierge la graine divine

L'œuvre est l'enfant de l'artiste et naît de sa relation avec sa muse

L'artiste est un homme inspiré, l'art n'est pas une affaire purement terrestre

Chagall au moment de la Révolution faisait de l'art une affaire bien peu matérialiste

L'artiste est un homme marqué du sceau divin de l'amour qui, à sa manière, chante la louange de Dieu

Avec ce tableau commence une série de représentations du peintre en ange ou inspiré par un ange

Par les couleurs, par les diagonales et par la fragmentation de la scène en éclats cette œuvre a un caractère futuriste

Il y a inversion de personnages : la Vierge est le peintre et l'archange Gabriel sa femme Bella

Il y a un double détournement de l'image classique de l'Annonciation par l'inversion des personnages et par la sécularisation du thème religieux en romance sentimentale dont Bella est l'inspiratrice

Double portrait au verre de vin - 1917-1918


En 1917-1918 en pleine tourmente révolutionnaire Chagall a trouvé le temps et l'inspiration pour réaliser

L'Apparition

Au-dessus de la ville

La promenade

Double portrait au verre de vin


L'apolitisme de ces œuvres contredit un climat de terreur

Dans ce tableau c'est à la fête de ses noces que Chagall, enivré, convie le spectateur

Tout est festif : le mouvement de la danse a indécemment ouvert le décolleté de la virginale robe de la mariée

Un sein se laisse deviner dans l'échancrure de la robe


Les bas violets de Bella s'accordent à la tunique du petit ange qui surplombe la composition et qui incarne la petite Ida

Chagall a écrit qu'il avait eu très tôt "la passion du violet"

L'aura de l'ange répond à la blouse verte de Chagall

La veste rouge du peintre renvoie à la couleur du vin qu'il brandit

Vitebsk est représentée avec sa cathédrale et ses principaux bâtiments dans un panorama qui rappelle à Paris l'île de la Cité vue de la passerelle des Arts

Maintenant que Chagall est de retour à Vitebsk a-t-il la nostalgie de Paris ?


Bella est peut-être un ange dans l'ivresse de Chagall mais c'est une forte femme sur laquelle il s'appuie, lui si peu habitué aux choses pratiques

Elle est là en robe de mariée, un bouquet à la main, solidement plantée sur ses pieds

Droite, digne, d'une belle prestance, elle porte son mari sur ses épaules comme peut le faire selon la coutume un homme solide au cours de la fête du mariage

Marc, déhanché, le cou désarticulé, un sourire béat et crispé, il est l'image d'une douce ivresse


Il s'élève dans un ciel coupé en deux verticalement, avec un côté ombre et un côté lumière, au-dessus de leur ville

L'ange qui les surplombe et les bénit semble souffler une nuée blanche qui les enveloppe d'un côté

Cette nuée s'oppose au sombre étagement de plans colorés qui se trouve à droite comme si la tour que forme le couple s'interposait entre lumière et ténèbres

Un astre rond et doré brille dans la traînée blanche


L'eau du fleuve est sombre et a la couleur des ténèbres

Seule la blanche Bella, toute pureté, est lumière

Elle marche sur l'eau et ses pieds se confondent avec les bateaux qui y naviguent

Son cavalier lui bouche à moitié la vue d'une main posée sur l'œil


Sensation d'une agréable légèreté telle que la procurent un verre de vin ou l'air qui agite un éventail

Les portes du cimetière - 1917


Il s'agit de l'entrée du cimetière juif de Vitebsk

Chaque pilier porte une date et ces deux dates sont celles de la naissance et de la mort du grand père du peintre

Plus qu'un cimetière juif laissant voir le fouillis de ses tombes, Chagall peint l'idée même de la Résurrection

Sur le fronton et le linteau un texte d'Ezéchiel "J'ouvrirai vos tombeaux et je vous ferai remonter de vos tombeaux … Je mettrai mon souffle en vous pour vous redonner vie"

Les deux piliers rappellent les rouleaux de la Torah

Un grand mouvement ascendant traverse le ciel, créant une atmosphère solennelle

Des facettes prismatiques sont associées dans une sorte de tourmente surnaturelle

L'arbre symbole de vie et de liberté évoque la Résurrection

Ezéchiel est le grand prophète de la restauration de Jérusalem et Chagall peignit ce tableau en 1917, année au cours de laquelle Lord Balfour annonça que les juifs devaient trouver une patrie dans la Palestine qui était alors sous mandat britannique

Ce tableau n’est donc pas qu'une vision post-cubique du cimetière juif de Vitebsk

En 1931 il fit avec Bella un émouvant voyage en Palestine et garda toujours une conscience très vive de sa judaïté

Mais il choisit de rester dans la diaspora malgré les appels reçus

Il donna des preuves de sa sympathie pour Israël en intervenant pour la décoration du parlement et la synagogue de l'hôpital de l'Hassadah

La maison grise - 1917


Durant l'été 1917 Chagall séjourne de  nouveau à Vitebsk

Il peint sa ville natale dans un souci de vérité

Il oppose le centre noble de la ville dominée par les clochers baroques du monastère à une isba aux murs de guingois

En 1917 le monde de Chagall appartient aux pauvres maisons en bois de la périphérie, non au Vitebsk de la pierre de taille

Chagall n'est pas animé par un souci de revendication sociale et la politique n'était pas son fort mais il était sensible à l'injustice de la société


Sur la barrière des graffitis soulignent le réalisme de la toile alors qu'un ciel tourmenté menace

Au premier plan les rondins entassés les uns sur les autres forment un mur sur lequel s'appuie un bonhomme

Ils sont traités dans une forme géométrique quasi abstraite car Chagall ne résiste pas à la tentation d'infléchir le paysage dans le sens de sa fantaisie. Il peint peu de paysages qui ne soient pas réinventés en décors fantastiques

Ici pas de personnages étranges, pas d'anges, rien qu'un petit bonhomme en coin

Traitement rare de la couleur, quasiment monochrome

La blancheur dominante du ciel s'élève en imposantes volutes

La maison bleue - 1917


Après le séjour parisien Chagall semble réapprendre son pays en le décrivant le plus exactement possible


Il fera la même chose à partir de 1924 et de son installation définitive en France et se familiarisera avec son nouveau pays en l'évoquant dans des œuvres sages et appliquées


Dés septembre 1915 Chagall repartit pour Saint Petersbourg où, pour éviter l'incorporation, il travaillait dans un bureau dirigé par le frère de Bella


Dans le  centre culturel de la Russie il fit la connaissance de poète Maïakovski et de Pasternak

Il eut le sentiment d'appartenir à une élite sociale et cela lui donne un élan  nouveau


L'été 1917 il passe deux mois de vacances à Vitebsk où il crée des paysages

Cette maison bleue est une image du bonheur


La ville de Vitebsk avec son couvent au bord du fleuve voit son architecture presque effacée par la couleur tendre qui baigne l'ensemble du tableau


La toile montre au premier plan une maison russe en bois, construite avec des troncs, située sur la berge de la Divna et renforcée par un mur de soutien de briques rouges


Cette maison de bois au premier plan est le lieu d'où naît l'harmonie colorée


Devant la maison passe le chemin

Derrière, se reflétant dans la rivière, les maisons bourgeoises en pierre du centre de Vitebsk, dominées par la silhouette du monastère aux multiples clochers baroques qui se dresse comme une couronne sur le gris du ciel


Quelques maisons sortent de la verticale

Le pied de la berge est taillé en facettes de formes géométriques

On a l'impression de regarder tout à travers une vitre qui unifie tout dans une dimension plane


La cabane se compose entièrement de formes abstraites

Formes abstraites des chevrons du toit qui contrastent avec le réalisme de la cheminée

L'assemblage vertical des troncs devient un alignement de petites formes circulaires qui se multiplient à droite de la cabane

Fenêtres de travers très éloignées de la réalité

Transformation artistique du tableau d'après nature en un tableau à représentation poétique

Composition à la chèvre - 1917


Peinte à l'huile sur carton cette "composition" correspond à la période pendant laquelle Chagall travaillait aux décors de théâtre

Un rectangle doré souligné à sa base par une perspective suggérant l'épaisseur d'un panneau laisse voir des pieds et une demi-chèvre

La chèvre omniprésente dans la décoration pour le théâtre apparaît chez Chagall comme un véritable animal fétiche

L'image s'estompe au profit d'une sensibilité purement picturale

Composition aux cercles et à la chèvre - 1920


Chagall avait été nommé en septembre 1918 Commissaire aux Beaux-Arts à Vitebsk

Mais l'irrationnalité de Chagall se heurte au dogmatisme rationnel de Malevitch qui voulait réduire toutes les formes à leurs formes géométriques fondamentales seules capables de refléter l'harmonie de l'univers

Début 1920 devant l'intolérance de Malevitch Chagall démissionna et partit pour Moscou

Ce tableau atteste que Chagall tente de concilier les deux théories mais il utilise les éléments picturaux abstraits pour illustrer une vision poètique

Jeu simple et équilibré d'éléments géométriques : deux cercles l'un sur l'autre, l'un bleu clair, l'autre bleu foncé se balancent sur une poutre blanche qui semble basculer sur un carré blanc servant de point d'appui

Une surface verte légèrement recourbée indique le mouvement de balancier

Un jeune homme dont le fouet indique qu'il est dompteur semble s'appuyer sur la poutre

Ses partenaires sont un oiseau minuscule et une chèvre gaie portant une clochette autour du cou

A cette époque Chagall s'intéressait à la décoration théâtrale : il voyait le théâtre comme un monde artificiel dénué de tout naturalisme

Chagall était fatigué du pathétique révolutionnaire et des querelles intolérantes des artistes au milieu de la misère générale

Il voulait revenir à la peinture dont La Mecque était pour lui Paris

Lounatcharsky lui procura un passeport et en 1922 il partit pour Berlin puis pour Paris

Bella au col blanc - 1917


Chagall a épousé Bella Rosenfeld au cours de l'été 1915

Le père et la fille, minuscules, sont dans un jardin au pied d'une immense frondaison verte que domine en plein ciel une Bella attendrie aux airs de Madone


Impression de monumentalité car la hauteur est deux fois la largeur (149*72). Le motif inférieur occupe un tiers de la toile en hauteur

Le corps de Bella dans les deux tiers restant occupe presque toute la largeur


Apparente image catholique d'une Madone en pleine Assomption

Mais :

- l'absence d'extase

- la froideur distante

- la puissance physique

- la dureté qui émane de cette femme écrasante émergeant des bois touffus

- le regard qui porte vers la terre et non vers le ciel


Tout cela renvoie aux légendes germanique peuplées de divinités sylvestres surgissant de l'épaisse forêt originelle

Ces divinités, sortes de Brünhilde, sont dangereuses pour les hommes qu'elles maintiennent aux lisières de leurs territoires comme ici sont maintenus à l'écart au premier plan du tableau Chagall et la petite Ida

Cette femme peu rassurante ne correspond pas à la délicate fiancée juive mais traduit aussi une perception plus secrète que Chagall a de son épouse qui est aussi pour lui une divinité protectrice qui exercera une grande influence sur son art


Bella fut l'inspiratrice, la nouvelle mère. Chagall avait toujours été très proche de sa mère. Son père toujours fatigué par son travail était plutôt triste. Sa mère l'avait soutenu quand il avait décidé d'être un artiste plutôt qu'un employé de bureau ce qui aurait été une assurance financière pour sa famille

Elle avait discuté avec lui de sa peinture alors qu'ayant 9 enfants et tenant une petite épicerie elle n'avait aucune formation


Chagall était un homme fragile qui se donnait entièrement à son art et trouvait dans l'amour de Bella une force qui lui était nécessaire en ces années troubles

Grâce au frère de Bella il avait trouvé une place dans un bureau de Saint Petersbourg ce qui lui avait donné la chance de  n'être pas pris par la guerre et de profiter de sa jeune femme et de leur petite fille Ida née en mai 1916

En 1917 on croyait que de la Révolution pourrait sortir une société plus juste que celle sur laquelle avait régné le tsar

Le fils d'ouvrier avait choisi son camp et le juif se réjouissait de se voir reconnaître des droits égaux à ceux des autres citoyens

C'est plus tard, avec Lénine, qu'aura lieu le grand changement


Bella jusqu'à sa mort en 1944 fut le grand amour de Chagall

Abandonnant tout projet de carrière personnelle elle fit en sorte qu'il n'ait à se soucier que de son œuvre

Après la Révolution d'Octobre elle freina son mari pour qu'il ne s'implique pas trop politiquement

Elle parvint à lui faire refuser la direction des Beaux-Arts au ministère de la culture mais il voulut se lancer dans une action culturelle de grande envergure à Vitebsk, ce qu'il regretta


"Bella au col blanc", par son gigantisme, par son aspect hiératique, est comme  ces statues qui évoquent la Liberté ou la République

Paysage cubiste - 1918-1919


Ce tableau fait référence aux démêlés de Chagall avec Malevitch alors qu'il était directeur de l'Académie des Beaux-Arts de Vitebsk

Malevitch voulait développer un nouveau langage artistique, absolument non figuratif, incarnation du monde sans objet, par exemple un carré noir sur fond blanc. Cette théorie reçut le nom de suprématisme

Profitant d'une absence du peintre Malevitch avait rebaptisé l'école "Académie Suprématiste" à la place de "Académie libre"

Ce coup de force entraîne la démission de Chagall en 1920

Le tableau veut être une parodie des principes formalistes de Malevitch : ainsi le bâtiment de l'école apparaît comme dissimulé et recouvert de formes géométriques semi-circulaires

Par endroits des effets de bois et de papier font allusion au débat sur la  nécessité pour l'art d'inclure des matériaux nouveaux

Chagall préfère s'abstraire de la polémique en prenant le parti de l'humour : les inscriptions en lettres latines et cyrilliques du nom de Chagall courent librement par un chemin sans fin; silhouette du chèvre et d'un bonhomme tenant un parapluie

Chagall ne veut pas être contraint par un système : il veut soumettre librement à son art le nouveau vocabulaire plastique

Hommage à Gogol - 1919


En 1919 et pendant les premières années de la Révolution, être juif en Russie ce n'était plus alors être juif et néanmoins russe, c'était être pleinement juif et russe, surtout quand on n'était pas très religieux

Nicolas Gogol (1809-1852) était un écrivain revendiqué par la Révolution. Chagall à Vitebsk réalisa cette aquarelle qui es une maquette de décor pour la pièce "Le Revizor"

Chagall était alors marqué par le "constructivisme" qui voulait fonder un art nouveau pour un monde nouveau

L'affiche et la nécessité de la propagande préoccupaient cet art

Hommage à Gogol appartient à mouvance d'un tel art graphique, simplificateur et ennemi des détails

L'acteur salue le public après la représentation, une église en équilibre sur son pied, une couronne de lauriers à la main

Peut-être Chagall saluant Gogol dans une révérence périlleuse

A peine arrivé en France Chagall réalisera une série d'illustrations pour les "Ames mortes", le plus célèbre livre de Gogol

De 1923 à 1925 il grava 107 planches

Puis il grava les Fables de la Fontaine et la Bible

Introduction au Théâtre d'art juif - 1920


En 1920 le directeur du théâtre juif Kamerny de Moscou commande à Chagall la décoration de la salle de spectacle

Le monde irréel du peintre nourri de l'imaginaire hassidique trouvait ainsi son lieu naturel d'exposition

Œuvre de 4 m sur 12 elle était destinée à couvrir une paroi entière tandis que sur le mur opposé quatre panneaux de 2 m de haut étaient dédiés aux "Quatre Arts" : la musique, la danse, le théâtre et la littérature, surmontés d'une frise illustrant le mariage


Les peintures de Chagall prolongeaient dans la salle le spectacle de la scène

A gauche Chagall, palette à la main, est porté par son ami et critique d'art Effros qui lui fit rencontrer Granovski, le directeur du théâtre, qui est lui-même représenté devant un nain tandis que l'acteur principal, Mikoels, apparaît en virevoltant

L'artiste montre sa palette pour signifier que tout ce qui se passe sur le tableau en est le produit


La composition  est mue par un vaste mouvement

Fresque où tous les personnages se sont mis à vivre une vie collective

Sur les 12 m de longueur de la toile Chagall développe une chorégraphie scandée par des formes géométriques abstraites qui reprennent le rythme de la danse hassidique traditionnelle

Cette œuvre exprime la renaissance de la culture juive qui s'est manifestée à l'occasion de la Révolution


Chagall n'a jamais eu la tête politique

Il s'est laissé porter par le grand mouvement populaire qui mit fin à la Russie tsariste

Il rêvait d'un grand art populaire et d'y jouer pleinement sa partie

Il déclina l'offre d'un poste officiel à Moscou, préférant monter à Vitebsk, une école d'art où enseigneraient les meilleurs peintres modernes


En novembre 1919 pour fêter l'anniversaire de la Révolution il fit réaliser des dizaines de banderoles sur lesquelles il laissa libre cours à sa fantaisie imaginative : mais les cadres du parti n'apprécièrent pas de voir voler des vaches vertes

Il fut évincé de l'école par le peintre Malevitch plus révolutionnaire que lui

Les peintures démontées et roulées en 1937, en plein stalinisme, furent entreposées dans les réserves de la galerie Tretiakov

Chagall les revit et les signa en 1973 quand il revint pour la premières en Union Soviétique mais elles ne furent présentées au public que dans les années 1990


Introduction au Théâtre d'art juif - 1920 -  LA  MUSIQUE    et  LA    DANSE

Théâtre d'art juif  -  L'Amour en scène - 1920


Cette peinture était au fond de la salle de théâtre

Empruntant ses formes au suprématisme elle signale la capacité de Chagall à se servir des systèmes formels qui naissaient alors en Russie

Ajouté en surimpression de cette composition abstraite le dessin d'un couple indique l'impossibilité pour Chagall de renoncer à la figuration

Collage  - 1921


Une des rares œuvres abstraites de Chagall

Le papier imprimé est un fragment d'un carton d'invitation à une exposition qui s'est tenue en 1921

La technique du collage est exceptionnelle chez Chagall

Il organise sa composition autour d'une oblique sombre tirée d'un papier marbré pour reliure

Inscrite dans le triangle d'un rabat d'enveloppe les lettres hébraïques signifient "Le grand sage"

Sensibilité intimiste, quasi tactile, de chaque fragment


La promenade - 1917


Après la Révolution d'Octobre Chagall s'était retiré à Vitebsk en raison des conditions de vie plus favorables en cette ville de province

La Révolution apporta aux juifs une vraie libération

Les humiliation n'étaient plus à craindre

Le jeune Chagall durant ses études n'avait pu séjourner à Saint Petersbourg qu'avec une autorisation spéciale

Le bonheur avec Bella embellissait sa vie


Bella au comble du ravissement flotte dans le ciel, soutenue par le bras de Chagall, riant, en habit de fête

Grand ciel clair sur lequel se détachent avec précision leurs silhouettes


Partis pour un pique-nique dans les champs dont témoigne la cruche et le verre posés sur une nappe toute matissienne, Bella et Marc se tiennent par la main.


Sur la  nappe fleurie le verre et la carafe sont l'image de l'ivresse du peintre amoureux

Mais l'aimée ne touche plus terre : elle chavire et tel un cerf-volant se balance dans les airs


L'envol du couple illustre les divers aspects du bonheur d'être ensemble, unissant dans la même image la relation des corps qui s'allègent et la fusion des amoureux avec le ciel et la terre

Ciel, terre et personnages sont restitués dans un jeu de facettes géométriques qui se répondent les unes les autres


Seule ligne de force : la grande diagonale ascensionnelle des bras tendus qui se prolonge virtuellement au-delà de la toile

La ville qui ne constitue qu'une partie du paysage est traitée d'une manière post-cubiste qui ne tranche pas par rapport aux deux personnages

Dessin précis

Coupé tranchant des formes cubiques


Il n'y a pas de rupture entre la terre et le ciel puisque l'homme debout a encore les pieds au sol

Une force invisible semble avoir pris la main de Bella pour l'entraîner au ciel

Chagall n'est pas inquiet, pas plus que l'oiseau qu'il tient dans la main droite et qui fait contrepoids, au bout de trois bras alignés, à la jeune femme emportée dans les airs qui, elle aussi, à l'air serein


Equilibre bien tenu entre les forces ascensionnelles et la pesanteur, entre la terre et le ciel

L'homme et la terre d'une part, la femme et l'église d'autre part, composent deux harmonies symétriques

Le Cimetière - 1917


Chagall donne une représentation de ce lieu sacré en mouvement

Dans la partie inférieure il accumule d'une façon désordonnée les tombeaux entre lesquels pousse une végétation dense

Certaines tombes en ruine ajoutent à ce désordre

Le ciel qui occupe la moitié supérieure de la composition est constitué de formes géométriques

Le peintre joue sur le contraste entre le blanc et le bleu pour accentuer l'aspect chaotique de cette partie du tableau

Une telle énergie se dégage de ce paysage que le ciel et la terre semblent se rejoindre pour ne former qu'un tout

On a l'impression que tous les éléments vont se confondre

Pour Chagall les hommes, les animaux, le ciel et la terre forment un tout


Introduction au Théâtre d'art juif - 1920 -  LE  THEATRE   et    LA  LITTERATURE

MARC  CHAGALL  2/7

ACCUEIL


VOYAGES


PEINTRES


ECRIVAINS


CURIOSITES


HISTOIRE


Précédent (gauche) Suivant (droite)

Première Page  CHAGALL

ACCUEIL


VOYAGES


PEINTRES


ECRIVAINS


CURIOSITES


HISTOIRE


Précédent (gauche) Suivant (droite)

Première Page  CHAGALL