4  Le château de Kilgarren  1798


Lever de soleil brumeux avant une journée chaude et lourde

Dès l’âge de 14 ans Turner affiche un talent si précoce pour le dessin qu’il est admis à l’Académie royale de Londres. Présidée par Reynolds, c’est alors l’unique école d’art d’Angleterre

Pour gagner sa vie ce modeste fils de barbier entre au service de plusieurs architectes et topographes qui achèvent de parfaire sa formation

Empruntant tous les moyens de locomotion existants, Turner commence alors sa vie d’infatigable voyageur. Il ne se déplace jamais sans ses carnets de croquis et s’il esquisse quelques figures en prévision de tableaux historiques il affiche déjà sa prédilection pour la peinture de paysage

Pendant l’été 1798 il découvre le château de Kilgarren perché sur une colline dans le sud du pays de Galles

Ce château médiéval l’occupe à plusieurs reprises. Il le représente à l’aube, ses ruines enserrées dans le brouillard épais qui s’élève en tournoyant au-dessus du fleuve.

Le point de vue privilégié par le peintre souligne la majesté du cadre et fait ressortir les ombres profondes de la gorge

Traditionnellement les châteaux médiévaux ont été conçus avec une tour forte au centre. Ce château est original par ces deux tours rondes massives

Il fut pris par Guillaume Marchal en 1204, comte de Pembroke et repris par le gallois Llywelyn le Grand en 1215. Il fut repris par Guillaume Marchal II en 1223  et fut quasi laissé à l’abandon vers 1400 après avoir fait l’objet de nombreuses batailles entre les gallois et les anglais


Carnet de Turner en préparation du tableau

Après les batailles dont il fut l’objet au début du 13ème siècle il fut en mauvais état. Edouard III ordonna en 1377 des  réparations pour répondre aux menaces d’invasion française.

Durant sa formation Turner passe de longues heures à étudier les œuvres des maîtres anciens. Il apprécie particulièrement Le Lorrain, Rembrandt, Rubens et Canaletto pour leur traitement de la lumière

Il visite le Louvre à Paris en 1802 et reste marqué par les œuvres de Nicolas Poussin et particulièrement par le Déluge (ou l’Hiver). Mais il critique l’emploi des couleurs par Poussin et décide de donner sa propre version du déluge dans un format plus grand


(Poussin : 118*60 - Turner : 143*236)

Turner ne comprenait pas pourquoi Poussin avait gardé cet aspect lisse et bien ordonné dans un paysage qui devait raconter un branle-bas de combat, un déchaînement sans nom et la fin du monde. Pour lui l’image ne peut pas être nette. Dans sa version à lui l’image est en mouvement, elle est floue par nécessité et elle déchaîne les éléments.

Là où Poussin décrivait un Chaos ordonné, Turner multiplie les corps en convulsion, en proie à la violence de vents irréels. Turner est sensible à la cruauté des séparations familiales. Il avait 8 ans en 1783 quand meurt sa sœur Mary Ann à l’âge de 5 ans. Il reproche à Poussin le manque d’émotion dans sa description d’une mère perdant son enfant. Lui, il multiplie les visions de mères cramponnées à leur progéniture.

La composition de Turner est soigneusement structurée. Elle est ordonnée autour de lignes multiples, dominées par de puissantes diagonales. La force de l’ensemble tient aussi à sa manière de présenter l’eau, la matière, les corps et le ciel, dans un même continuum tumultueux, sous la lueur rouge et sinistre du soleil couchant.

Il présenta ce tableau dans sa propre galerie à Londres. Cette scène a été louée par les critiques contemporains comme une puissante image de destruction et de chaos divin. Pour la jeune génération Turner devint un modèle du « Sublime apocalyptique »


6   Château de Dolbadern  

  

Turner visite le château de Dolbadern  dans le nord du Pays de Galles. Il le croque sur le vif dans ses carnets de dessin puis il ébauche les couleurs au pastel. Plus tard il élabore en atelier la composition de ses toiles.

Dans l’étude, la tour isolée du château tient sur un promontoire.

Turner médita longuement sur le thème de la tour cylindrique noire s’enfonçant dans les nuées orageuses.

Exposé à l’Académie royale en 1800 ce tableau est accepté comme morceau de réception sanctionnant la fin des études de l’artiste. A 26 ans seulement, Turner devient associé de l’Académie. Il y exposera désormais tous les ans jusqu’à sa mort, sauf à trois reprises.

Quelques vers accompagnent le tableau, évoquant le destin tragique du prince médiéval Owen, au 13ème siècle, lors de l’invasion du Pays de Galles par le roi d’Angleterre Edouard Ier

Turner « Contemple, ô majestueuse solitude, la tour où l’infortuné Owen, longtemps reclus, se tordit les mains. Et pleura en vain sa liberté perdue »

Owen est enfermé pendant 20 ans dans ce château par son frère et rival Llywelyn qui s’oppose aux anglais. L’invasion va sceller la domination de la couronne anglaise sur le Pays de Galles

Turner aime peindre les lieux associés à la première histoire de la nation britannique et cette inclination témoigne des liens affectifs qui l’unissent à son pays.

Mais au lieu d’accorder la primauté aux figures comme le veut le genre de la peinture d’histoire il privilégie la silhouette imposante de la tour du château. Rassemblés au premier plan les personnages sont à peine visibles. L’aspect dramatique du paysage sombre et menaçant suffit à incarner la solitude du héros.

Turner démontre ainsi que la peinture de paysage est à même de rivaliser avec la peinture d’histoire, perçue à l’époque comme la plus prestigieuse. Une vision qui annonce le mouvement romantique


10   Matin glacial

Ce grand paysage a été peint dans le Yorkshire, région d’origine du propriétaire terrien Walter Fawkes. Grand défenseur de Turner, ce dernier est devenu son ami et l’invite régulièrement à Farnley Hall. Turner y peint des vues de la propriété et de la campagne environnante.

Au premier plan un vieil homme et une fillette observent des hommes travailler à la lueur de l’aube. Des chevaux sont à l’arrêt près d’une charrette et de quelques outils en désordre sur le sol. Le sujet est l’apparition des premières lueurs du jour tandis que le soleil levant réchauffe le sol gelé.

La scène est ancrée sur le tronc vertical et décharné au centre, autour duquel les différents personnages sont disposés en frise.

Turner accorde une grande importance à l’observation de la nature sur le vif. Le choix de couleurs sourdes lui permet de faire ressortir le jaune blême du soleil à l’horizon ainsi que les traces de givre étincelantes au premier plan.

Les couleurs ont un éclat particulier car à partir de 1805, au lieu du traditionnel apprêt sombre, il peint désormais sur des toiles préparées en blanc ou en blanc cassé, ce qui a pour effet de souligner la luminosité des couleurs comme dans ses aquarelles.

Turner était attaché au thème du soleil. Le catalogue précisait « La dure gelée fond sous ses rayons ». Ainsi même ce sujet hivernal célèbre la puissance du soleil.

Monet saluera l’originalité de cette toile, déclarant que Turner savait peindre « les yeux ouverts »

Turner aimait ce tableau et refusera toujours de le vendre


18   La cathédrale de Lincoln


Lorsqu’il peint cette vue de la cathédrale de Lincoln vers 1802, le peintre connaît déjà la ville qu’il a visité en 1794 lors d’une excursion dans les Midlands. On reconnaît la silhouette de cette grande cathédrale aux tours surmontées de flèches.

La ville est organisée autour d’un lac artificiel. Au premier plan des ouvriers navals construisent et réparent des embarcations à l’ombre des arbres dans une douce lumière dorée.

Turner a été inspiré par une gravure de Buck de 1743

Si Turner travaille à partir de ses propres études préparatoires il étudie également la production de ses confrères sur les mêmes sites.

Le peintre a toute sa vie suivie deux voies en apparence contradictoires :

- Explorer la couleur et la peinture selon une intuition très personnelle

- Plaire au plus grand nombre en suivant les modes comme le montrent les nombreux albums de voyage illustrés de ses gravures



20   Croquis d’oiseaux

Lors de ses séjours à Farnley Hall Turner participe à des parties de chasse dans les landes du Yorkshire.

Turner chassa souvent dans les landes du Yorkshire mais il maniait la canne à pêche mieux que le fusil. C’était un pêcheur passionné. Il emportait toujours sa ligne avec lui, même dans ses expéditions de travail et pêchait aussi bien en mer qu’en lac et en rivière

Il en rapporte de nombreux croquis d’oiseaux qu’il transpose ensuite en peinture à l’huile. C’est à Farnley Hall qu’il peindra la majeure partie de ses natures mortes animalières.La maîtrise de plusieurs médias, l’huile, l’aquarelle, le dessine et la gravure permet à Turner d’innover en combinant les spécificités de chaque technique

Le grattage, les empreintes de doigt, les empâtements de couleur et l’usage du pinceau sec lui permettent de rendre au mieux les effets de texture et les couleurs des plumages

La tête de paon, le faisan et le coq sauvage apparaissent ainsi fidèlement restitués avec la précision des planches d’histoire naturelle

John Ruskin les appréciaient tout particulièrement. Chargé d’enseigner les arts plastiques à l’université d’Oxford il fait l’acquisition de plusieurs aquarelles de Turner dont ce faisan afin d’apprendre à ses élèves comment dessiner en observant

Il est convaincu que « voir clairement, c’est la poésie, la prophétie, la religion tout en un »




27   Arc-en-ciel et bétail  1815


Turner était très fasciné par les phénomènes météorologiques et optiques. Ils sont à l’origine de ses recherches sur la couleur.

L’aquarelle lui permet de donner libre cours à sa vision personnelle du phénomène de l’arc-en-ciel. Les couleurs sont floues et aériennes et elles apparaissent progressivement au regard.

Depuis des siècles le motif de l’arc-en-ciel était représenté dans la peinture de paysage  mais sans grand souci d’exactitude optique. Associé à l’idée du renouveau il prenait surtout une valeur symbolique. A la suite de la parution au 18ème siècle du traité d’optique d’Isaac Newton ce phénomène prend un intérêt nouveau sur le plan scientifique. Parvenant à recréer artificiellement un arc-en-ciel Newton apprend au monde que la lumière blanche contient en réalité un mélange de toutes les couleurs.

Pour la génération de Turner, cette description scientifique révèle une perception tout à fait neuve de la réfraction de la lumière qui aura des répercussions sur le travail des peintres

Tuner peignit beaucoup d’arc-en-ciel


Le château de Kilchurn  


Osterspey et Feltzen sur le Rhin  1820


28   Cercle chromatique N°1  1824


Engagé pour quelques années comme professeur de perspective à l’Académie royale, Turner s’intéresse à la question de la lumière comme bien d’autres artistes et scientifiques en Europe.

Il s’inspire des travaux de Moses Harris scientifique britannique dont le traité sur la lumière contient des cercles chromatiques



Roue de couleurs prismatiques de Moses Harris

L’entomologiste Moses Harris conçoit le premier système chromatique complet applicable à la peinture qu’il présente dans un traité intitulé The natural system of Colours (1769)


Turner a connaissance des théories de Goethe, l’écrivain allemand, qui circulent dans les milieux artistiques

Pour le théoricien allemand qui a publié son traité des couleurs en 1812  les couleurs n’existent pas en tant que telles mais se manifestent comme des évènements selon les circonstances

Le traité de Goethe sera traduit en anglais en 1840

Le cercle qu’élabore Turner illustre la variation des couleurs en fonction de l’heure de la journée. La lumière du jour, dans la partie supérieure du cercle, laisse progressivement place à l’obscurité en bas du cercle. Turner démontre à ses élèves qu’un élément représenté à l’ombre n’a pas la même couleur le matin que le soir

Au début du 19ème siècle de multiples publications consacrées à la couleur voient le jour sous la forme de traités, de manuels pour peintres et décorateurs. Ces ouvrages combinent des éléments empruntés aux sciences, à la philosophie et aux arts. Les échanges entre les auteurs furent souvent intenses à travers toute l’Europe.

Parmi les scientifiques, les poètes et les savants il y avait un nombre surprenant de botanistes, de géologues et d’entomologistes

En 1704 Isaac Newton avait identifié les sept couleurs du spectre (sept car harmonie musicale) – rouge, orange, jaune, vert, bleu, indigo et violet – et composé un système chromatique sous forme d’un cercle



Les couleurs complémentaires ? Ce sont des couleurs dont le mélange produit  théoriquement la sensation de blanc. Dans la pratique, le mélange pigmentaire de deux couleurs complémentaires ne donne pas du blanc, mais un ton sale ou rompu.

Les 3 couleurs fondamentales :

le bleu, le jaune et le rouge,

ont pour complémentaires les couleurs composées,

l'orangé, le violet et le vert

résultant du mélange 2 à 2 des couleurs fondamentales.

Le mélange bleu + jaune donne le vert, complémentaire du rouge ;

le mélange bleu + rouge donne le violet, complémentaire du jaune ;

le mélange rouge + jaune donne l'orangé, complémentaire du bleu.

Une couleur est exaltée par la proximité optique de sa complémentaire.


41   Richmond Hill    1820


Cette aquarelle montre un point de vue souvent décrit par Turner, depuis la colline de Richmond Hill, à l’ouest de Londres

Dés 1807 il achète un domaine dans les environs, à Twickenham, puis fera construire une maison pour son père et lui. Le nom de cette maison est Sandycombe


Outre les qualités du site ouvert sur un vaste horizon avec vue sur la Tamise, Turner apprécie l’endroit car des hommes qu’il admire y ont vécu comme Joshua Reynolds, ancien directeur de l’Académie royale

Turner prenait plaisir à décrire les ciels, les berges de la rivière, les arcs-en-ciel  et le pont de Richmond

Les personnages sur la colline semblent s’être réunis pour profiter de la vue par beau temps. Les femmes portent des robes amples et souples qui n’entravent pas leurs mouvements. Sur la gauche un homme se promène avec une jeune femme au bras. Un groupe d’enfants joue avec un cerf-volant, tandis que sur un monticule voisin un homme assis entouré d’élégantes observe le panorama avec une longue vue

Turner s’inclut dans la composition par le biais de son matériel de peintre : on distingue au premier plan  sa boîte de couleurs, des flacons ainsi que sa palette posés sur le sol. C’est pour lui un moyen de réaffirmer sa prédilection pour le travail sur le motif en plein air

Turner avait réalisé une étude de ce site en 1794 (19 ans)



58   Exeter   1827

Vue d’Exeter au nord-est de Plymouth. On distingue à peine l’imposante tour carrée de sa cathédrale gothique juchée sur les hauteurs et cachée par la rangée de bâtisses en briques construite au début du siècle pour les marchands de laine auxquels la ville devait sa prospérité

Le peintre met l’accent sur l’activité au bord de la rivière, au coucher du soleil, plus que sur l’architecture ecclésiastique dont la présence en ce début du 19ème siècle perdait de l’importance aux yeux des habitants des grandes villes

Les nombreux détails des mâtures des embarcations, ainsi que la description précise des canards sur le plan d’eau contrastent avec le traitement plus flou de la partie gauche plongée dans l’ombre

L’artiste n’hésite pas à frotter et gratter directement sur le papie

Turner ne fait pas un traitement rigoureux de la perspective traditionnelle : la rangée de maisons à l’arrière des embarcations semble même sombrer dans l’eau

L’utilisation de pigments récemment mis au point ont compromis la pérennité des coloris. Le ciel montre des traces de jaunissement



Turner fit réalise une gravure de cette vue d’Exeter



59   Eherenbreitstein durant la cérémonie de démolition de la forteresse   1819


En 1819 Turner accepte de collaborer à un projet d’ouvrage consacré aux paysages du Rhin, qui doit comporter 36 illustrations. Le peintre réalise des aquarelles destinées à servir de support au aux gravures éditées. Nous voyons la forteresse d’Ehrenbreitstein depuis le débarcadère de Coblence

Quasi détruite en 1799 par les armées napoléoniennes, après cinq ans de sièges répétés, puis rasée par les prussiens pour être reconstruite, la forteresse est en cours de travaux lorsque Turner peint cette aquarelle.

400 pièces sont déjà achevées et les entrepôts sont assez vastes pour nourrir huit mille hommes pendant dix ans

Mais lorsque le graveur Allen  s’apprête à traduire les aquarelles de Turner le projet tourne court car un baron allemand les devance et publie un album de Vues sur le Rhin illustré de 24 gravures

L’aquarelle de Turner est utilisée pour réaliser une gravure unique sur une grande plaque

Grande qualité des détail


Turner réalisa de nombreuses autres aquarelles de ce site durant les  vingt-cinq années suivantes dont beaucoup furent gravées




65   Le canal de Chichester   1829

Une des compositions préparatoires



Etude pour le canal de Chichester 1828

Le canal avait pour but de relier Londres à Portsmouth et avait une grande importance pour moderniser le commerce et l’industrie. Lord Egremont, propriétaire du domaine de Petworth, avait beaucoup investi pour construire ce canal. L’aristocratie locale participa activement au financement du projet


Version définitive du canal de Chischester de 1829

Le canal fut inauguré en 1822

Turner s’est rendu sur les lieux pour peindre des vues du site

La lumière du soleil couchant et ses reflets sur les eaux du canal dominent le paysage panoramique

Turner a séjourné à Petworth à plusieurs reprises jusqu’à la mort du comte en 1837. Une pièce du manoir est spécialement aménagée pour lui servir d’atelier. Fermée à tous les visiteurs sauf au maître des lieux elle possède une configuration particulière qui permet au peintre de travailler sur des toiles de double format carré, comme celle-ci


PEINTRES VOYAGES ECRIVAINS HISTOIRE CURIOSITES

EXPOSITION   TURNER   A   L’HOTEL  CAUMONT  D’AIX EN PROVENCE

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