Van Gogh   PARIS   PORTRAITS

NATURES MORTES

Agostina Segatori au café du Tambourin

La femme a l'air pensif mais décidé est Agostina Segatori, propriétaire du café du Tambourin, où Van Gogh prenait ses repas, et ancien modèle de Corot notamment

Elle eut une liaison avec Vincent qui décora de tableaux les murs du café

Autour d'elle tabourets et tables en forme de tambourins

Référence à l'art japonais par la présence en haut à droite d'une figure de geisha

Vincent avait accroché sa collection d'estampes aux murs du Tambourin pour une exposition qui devait fortement influencer Emile Bernard, l'inventeur du cloisonnisme

Le thème de la femme assise dans un café est un thème de prédilection des peintres impressionnistes, en particulier Manet et Degas

Par de petits détails, les bras croisés et le regard pensif, la fumée de la cigarette et le verre de bière, le peintre caractérise de manière vivante le type même de l'habituée de café

L'Italienne : Augusta Segatori est vêtue de ce qui pourrait être un uniforme folklorique comme l'indiquent le fichu sur la tête, le corsage, la jupe repliée et les manchettes rouges

Elle tient à la main deux fleurs des champs, la fleur avait fonction de symbole consolateur. C'est le premier portrait dans lequel Van Gogh munit son modèle d'une fleur


Son habit est une véritable explosion de couleurs et la surface de sa jupe se transforme en un vrai kaléidoscope polychrome. Ce vêtement bariolé pourrait être un tablier mais aussi un napperon sur un guéridon dont la tablette est inclinée afin de rompre la perspective au profit d'une composition décorative plane


La peau est représentée comme une surface vivante, faite de lumière et des reflets des couleurs environnantes

Influence des estampes japonaises


La juxtaposition des couleurs pures donne aux surfaces une luminosité accrue comme si elles étaient émaillée


Seurat et Signac, les amis de Vincent et promoteurs du néo-impressionnisme, avaient pris l'habitude de compléter leurs tableaux d'une bordure de petits points dont les variations chromatiques suivaient celles de la surface peint : Van Gogh s'en est inspiré en réalisant ici deux bordures frangées

Van Gogh a peint deux versions du portrait Tanguy


Le seul élément commun aux deux versions est le portrait d'une courtisane à gauche

Dans cette version Rodin il a remplacé la nature morte de fruits de la version Niarchos par un paysage de neige en haut à gauche

En haut à droite un paysage remplace la geisha

Il place en bas à droite son propre tableau représentant une courtisane

La gravure de fleurs est différente


Bernard avait établi un parallèle entre cette figure paternelle d'origine bretonne au passé légendaire (Commune et défense des artistes) et la figure d'un Socrate moderne, d'un boudha oriental


Les rectangles dans le bas du tableau à gauche et à droite sont formés de rayures associant  des contrastes de couleurs complémentaires : le bleu et l'orangé, le rouge et le vert qui furent pour lui les préoccupations esthétiques essentielles de sa maturité

Femme près d'un berceau

Le modèle est la nièce de Pierre-Firmin Martin qui était un ancien maçon de Louveciennes établi comme marchands de tableaux à Paris


Léonie Rose est représentée près du berceau de son bébé orné d'un ruban bleu

Vincent avait sans doute à l'esprit "Le Berceau" de Berthe Morisot et "Portrait de Madame Charpentier et de ses enfants" de Renoir


Dans ces deux tableaux les deux jeunes mères sont vêtues de robes sombres et leur visage respire une sérénité pensive


Avec ce tableau Van Gogh manifeste sa volonté de faire des "tableaux impressionnistes" même si sa technique semble dérivée du pointillisme


Le 28 février 1887 Théo écrit à sa mère en Hollande "Vincent a fait quelques portraits assez bien réussis, mais il ne demande jamais d'argent"

Le père Tanguy (1825-1894) était un homme chaleureux, dévoués aux artistes méconnus qui venaient à sa boutique

Il avait pris part à la Commune de 1871 et avait été exilé puis amnistié

Il vendait des fournitures pour artistes dans un petit magasin qui était un centre pour les impressionnistes (Pissarro, Cézanne, Gauguin)


Ce tableau combine d'une part une vision naïvement réaliste avec la figure centrale parfaitement frontale qui rappelle l'art médiéval et d'autre part un arrangement complexe d'oeuvres d'art japonaises

Manet aussi avait installé le portrait de Zola parmi des objets d'art


Van Gogh peint son amitié pour le modèle et son amour des arts exotiques

Couleur gaie d'extérieur pour le décor et tons plus sourds pour le personnage

Audacieuses touches de rouge et de vert sur le visage

Une ligne vermillon le long du costume rappelle les lignes rouges du fond

Les traits rudes de Tanguy et ses yeux sont fortement rendus

Vie et fermeté des mains étroitement jointes


Les têtes japonaises sont peintes en tons plats et pâles : pour Van Gogh l'art européen accordait à l'homme une plus profonde signification que l'art japonais


Version Niarchos

Alexander Reid est un écossais arrivé à Paris à la fin de 1886 à l'âge de 32 ans et employé à la maison mère de Boussod et Valadon.


Il partageait avec les frères Van Gogh un vif intérêt pour l'oeuvre de Monticelli. Un moment il pensèrent fonder à eux trois une association de peintres et de marchands. Leur relation se refroidit quand Van Gogh eut violemment critiqué la prédilection de Reid pour les maîtres anciens


Reid a posé dans l'appartement des Van Gogh

Malgré l'impression de tourbillon donnée par les touches pointillistes et le visage vu en plan rapproché ce portrait s'éloigne peu d'un rendu réaliste


Portrait dominé par le contraste des couleurs complémentaires rouge et vert

Les traits et les points sont appliqués en mouvements rythmiques

L'artiste brise le rouge vif du fond en y mettant de petits points verts


A propos des photographes de portrait qui faisaient de bonnes affaires Vincent remarque "Les portraits peints ont une vie propre qui vient radicalement de l'âme du peintre et à laquelle la machine n'a pas accès"

Femme nue couchée


Cette petite toile présentant une pose classique est une représentation réaliste de la figure exécutée dans une palette légère


La franchise radicale de l'approche transparaît dans l'accentuation un tantinet vulgaire des traits du corps qui respirent une sexualité forte


Comme Delacroix Van Gogh veut donner la primauté à la couleur et au modelé sur la ligne et les proportions

Japonaiserie - Oiran

L'ouverture du Japon à l'Occident à partir du milieu du 19ème siècle entraîna une véritable invasion de l'art oriental sur le territoire européen

Les peintres les plus avant-gardistes se mirent à collectionner les estampes de Hiroshige dont ils s'inspirèrent pour créer des images décoratives bidimensionnelles

Manet, Degas et Monet furent parmi les premiers à se lancer dans ce que l'on appelait alors les japonaiseries


A Anvers vers la fin de 1885 Van Gogh avait acquis des estampes

Il tira ce tableau d'une figure de Eisen qui faisait la couverture de "Paris illustré"

Il insère sur un fond décoratif l'oeuvre d'Eisen traitée comme une affiche

La cannaie du second plan est conçue comme un divertissement avec la barque qui passe au-dessus de la tête de la geisha alors qu'une grenouille jaunâtre illustre le bas du tableau


Vincent était devenu un fanatique de l'art japonais au point que le célèbre marchand Bing lui avait accordé le droit de libre circulation dans son magasin

Pour Vincent le Japon était un monde utopique, non corrompu, paradisiaque

Lorsqu'il partit pour la Provence il définit le Midi comme un "Japon européen"

Femme nue couchée


Le charme de ce dessin résulte de l'utilisation parcimonieuse mais efficace des stries linéaires sur l'ensemble de la composition


Reprise mi-respectueuse, mi-narquoise des Mayas de Goya


Le peintre Bernard qui avait vu ce dessin dans l'appartement de Van Gogh a écrit qu'il était exécuté "par des barres ... des lignes, dirigées dans le sens le plus expressif de la forme" ce qui donnait au dessin une particulière vigueur

Pont sous la pluie d'après Hiroshige


Van Gogh est frappé par les rapports existants entre les estampes japonaises et les recherches sur la couleur menées par les impressionistes

Il organisera chez son amie Agostina Segatori, tenancière du café "Le Tambourin", une exposition consacrée à ses estampes


Vincent a repris littéralement la composition d'un autre artiste

Ces japonaiseries annoncent les copies qu'il peindra à Saint-Remy d'après Rembrandt, Delacroix, Millet et Daumier


Par rapport au tableau d'Hiroshige il a substitué au vert pâle de l'eau et aux ombres grisées du ciel, des verts et des bleus plus intenses


Il a remplacé le brun orangé du pont par un jaune orangé plus lumineux qui semble un défi au mauvais temps

Japonaiserie : Pruniers en fleurs


Les estampes japonaises ont fortement influencé Van Gogh


Plus tard en Arles il croit avoir retrouvé l'équivalent parfait du paysage japonais. Il écrira qu'il n'a plus besoin de ses estampes japonaises "car je n'ai qu'à ouvrir mes yeux et peindre tout ce qui me fait sensation autour de moi"


Vincent a copié "Les pruniers en fleurs" d'Hiroshige et en avril 1889 en faisant le tableau d'un verger en Arles il reprendra les contours noirs des troncs d'arbres du tableau d'Hiroshige


Le tableau est orné d'un cadre peint de couleurs très vives et décoré de caractères calligraphiques inspirés des estampes japonaises mais ces caractères sont le fruit de l'imagination de Van Gogh

On pourrait appeler cette nature morte "Harmonie en jaune", le cadre qui a été peint faisant partie de l'ensemble décoratif


Le fond jaune n'est pas limité et se prolonge dans le cadre plat


Des jaunes, bruns et ocres avec seulement un peu de blanc, de vert et de rouge et les accents bleus des ombres et des raisins


Pas de variations notables des différentes teintes jaunes très proches les unes des autres


Cette nature morte est une confirmation des principes de couleurs impressionnistes que son frère lui avaient exposés deux ans plus tôt et auxquels il s'était tant opposé à Nuenen

Le crâne est à rapprocher de son travail à l'Académie d'Anvers où il peignit un squelette fumant une cigarette


Il emploie le contraste des couleurs complémentaires rouge et vert


Il joue avec les symboles de la vie et de la mort


Impression de vie car le crâne esquisse comme l'amorce d'un sourire


Dans la tradition hollandaise le crâne était le symbole de vanitas et du caractère mortel de l'homme


Le thème du crâne et du memento mori était aussi utilisé par Cézanne et Picasso le reprendra

Nature morte : choux rouges et oignons


Van Gogh s'efforce de n'utiliser que des couleurs pures groupées par complémentaires


Il utilise le contraste du violet et du jaune


Vincent étudiait chez le Père Tanguy les toiles de Cézanne

Cézanne construisait soigneusement ses compositions de fruits et Vincent semble avoir posé ses légumes comme au hasard


Comme plusieurs oeuvres de la même période ce tableau a des caractéristiques japonisantes


La touche en "zébrure" et les couleurs pures caractérisent la manière de Vincent et les Fauves s'en inspireront plus tard

Nature morte : panier rempli de pommes


C'est la seule toile de cette période dédicacée à un artiste contemporain

Les frères Van Gogh étaient très liés d'amitié aux Pissarro

C'était aussi le début d'une relation d'affaires car en août 1887 Théo avait acheté une toile à Camille découragé par la difficulté de vendre ses toiles


Contrastes de teintes complémentaires, jaune et rouge, librement disposées


Le panier semble en apesanteur par l'effet de halo qui l'entoure

Nature morte : raisins


Durant les six derniers mois de son séjour à Paris les thèmes de fruits et de légumes occupent une place prépondérante


On retrouve la touche en zébrure qui caractérise les natures mortes réalisées par Van Gogh à la fin de 1887. Elle produit un effet de surface analogue à  celui des crépons japonais


Contraste entre le jaune et sa couleur complémentaire le rouge-violet pour les raisins plus sombres


Il voulait faire intervenir dans la mise en jeu d'une seule couleur un principe de vibration destiné à éviter un effet de monotonie


On retrouvera ces effets de vibrations monochromes dans les peintures de la période d'Arles

Etude de statuette en plâtre : torse de femme


Van Gogh avait déjà travaillé d'après des moulages en plâtre à l'Académie d'Anvers et à l'atelier Cormon


L'intérêt de Vincent pour l'étude du nu féminin existait de longue date et à Anvers il se plaignait ainsi de l'Académie "On y fait très rarement poser une femme nue ... " Il quitta l'Académie en disgrâce pour avoir peint une copie de la Venus de Milo avec les larges hanches d'une matrone flamande


Dans cette peinture Van Gogh ne s'attache ni au contour ni à la beauté de la ligne mais suggère de façon naturaliste la chair vivante d'une femme


Il a pu prendre en exemple Degas qu'il citait pour sa manière de traiter la figure humaine

Plus tard il devait faire l'éloge de Renoir pour "son dessin pur et net"

Nature morte avec statuette en plâtre et livres


Cette nature morte est une sorte d'adieu à la capitale

Touche large et striée caractéristique de la fin de l'année 1887 et contraste fondamental des couleurs jaunes et bleu qui annoncent la période d'Arles, Saint-Rémy et Auvers sur Oise


Contraste aussi du rouge et du vert dans les roses en bas à gauche


Influence d'une nature morte de Signac car il a choisi le même roman de Maupassant à couverture bleue


Eléments de japonisme tel le rappel de la texture des crépons japonais


Eléments de "cloisonnisme" avec utilisation par endroits de couleurs saturées

Romans parisiens


Les titres ne sont visibles sur aucun des livres représentés mais il s'agit d'auteurs naturalistes français comme il l'indiquera dans une lettre à sa soeur Willemina

" L'art d'aujourd'hui veut absolument quelque chose de très riche, quelque chose de joyeux" écrit-il à propos de Zola et de Maupassant et il ajoute "la même tendance commence à devenir la règle en peinture"


Il peint en guise de signature un verre avec des roses; la rose figure dans l'emblème de la famille Van Gogh


Un critique a écrit " Vers une tapisserie s'oriente une multitude polychrome de livres"


L'effet de la tapisserie résulte de l'influence sur Van Gogh des estampes japonaises


Utilisation des couleurs riches groupées par contrastes de "complémentaires"

Nature morte : trois livres


Au printemps 1887 Van Gogh rencontre Signac ce qui explique la touche inspirée du pointillisme

Signac aussi avait composé plusieurs tableaux de natures mortes avec livres


Van Gogh avait déjà représenté un roman parisien dans un tableau (La Joie de Vivre de Zola avec la Bible après la mort de son père)


"La fille Elisa" des Goncourt raconte la vie d'une prostituée et sa mort en prison

"Braves Gens" de Jean Richepin relate l'amitié tragique entre un compositeur de musique et son ami, un mime

"Au Bonheur des Dames" de Zola raconte la récompense de l'héroïne vertueuse qui épouse son employeur, le directeur d'un grand magasin


Tous ces récits décrivent les détails de la vie parisienne

Vincent écrivait à sa soeur à propos des écrivains naturaliste français "Il est difficile de dire que l'on appartient vraiment à son époque si l'on n'en a pas connaissance"


Avec ce tableau Vincent affirme que son art doit être jugé de la même façon que la littérature française qui lui est contemporaine

Trois paires de souliers

Pendant son séjour parisien Vincent exécuta cinq natures mortes de souliers.


Ces souliers sont en bon état, bien cirés et différents de ceux que Van Gogh usés et mal entretenus

Ces brodequins étaient du modèle de ceux portés par les charretiers et il les avait achetés d'occasion "au marché aux puces" mais propres et cirés de frais


Cette peinture de souliers a été interprétée comme l'emblème de la difficulté du parcours emprunté par l'artiste et comme une évocation de la vie qui est un pélerinage


Van Gogh était un grand marcheur qui ne reculait pas devant les longues distances

Vincent aimait une phrase de Millet " ... il s'agit d'y aller en sabots" c'est à dire de se contenter d'avoir de quoi manger, boire, se vêtir et dormir, d'avoir ce dont les paysans se contentent"

Paire de souliers

Van Gogh peignit plusieurs versions du thème des souliers d'ouvriers

Vincent a modelé les chaussures en traits brefs et puissants

La composition est dynamisée par le cadrage diagonal du plateau de table et animée par la rapidité des touches aves lesquelles il a traité le tissu bleu

Par rapport à la période hollandaise la  palette s'est éclaircie

Van Gogh utilise la lumière pour décrire les lacets entortillés, le cuir usé et le relief des clous qui arment les semelles; ces clous sont comme des points de lumière qui donne de la vie au tableau


Le rouge orange de la semelle retournée vers le haut et de l'intérieur de l'autre chaussure est la couleur complémentaire du fond bleu

Le côté éclairé orange du lacet qui se perd en arabesques et la signature renforcent cette harmonie de couleurs


Van Gogh acheta de vieux souliers au marché aux puces pour servir de modèles à ses natures mortes. Comme ils étaient trop propres il les chaussa pour une grande promenade sur les chantier. Ils devinrent alors assez boueux pour exprimer la poésie de l'existence de l'ouvrier


Millet a pu inspirer ce motif à Van Gogh car il dessina d'innombrables petits sabots. En mai 1887 une rétrospective Millet a pu lui rappeler ces tableaux de sabots qui symbolisaient pour Millet la poésie de la vie paysanne


Ce tableau devint la propriété du Père Tanguy

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