1831-1840


Le père de Turner était mort le 21 septembre 1830. Après la mort de son père il ne fut plus jamais le même homme.

Il ne voulait pas retourner à Farnley car il ne pouvait supporter de revoir le décor de sa profonde amitié avec Fawkes

Turner dépendait énormément de ses amis les plus proches et avait besoin de contacts humains car il était solitaire de nature ou par les exigences de son talent

Il aimait voyager librement pour observer une multitude de lieux et de mode de vie différents. Il voyagea à Venise, dans les Etats germaniques de l’Est, en Autriche, dans la vallée du Danube, au Danemark, sur les bords du Rhin, en Suisse …

Un ami le recherchant dans une auberge s’entendit répondre « C’est un homme gauche, un peu fruste ; vous le reconnaîtrez à ce qu’il a toujours un crayon en main »

Il rendit visite à Delacroix qui écrivit « Turner ne m’avait pas fait grand effet. Avec ses vêtements noirs assez simples,  ses grosses chaussures et ses manières froides et sèches, il avait l’air d’un fermier anglais »

Turner répugnait à se montrer gentil. Il dissimulait ses sentiments les plus chaleureux sous une affectation d’indifférence ou de simple professionnalisme

Lorsqu’il enseignait il se penchait sur le dessin d’un élève, pointait l’index sur un défaut et griffonnait un croquis à côté sans dire un mot … Si l’élève comprenait, Turner était ravi es s’occupait de lui, sinon il l’abandonnait  « Celui qui ne voit rien n’entendra rien non plus à un sermon »




Il était surtout enseignant lors des vernissages. Trois jours avant l’ouverture de l’exposition annuelle les membres de l’Académie avaient le privilège de pouvoir « fignoler » leurs toiles en tenant compte de l’accrochage. On avait placé un de ses tableaux dans une salle à côté de celui de Constable qui rehaussait sa toile de couleurs vives, faisant paraître terne celle de Turner. Sur sa toile, une marine, Turner peignit un petit cercle rouge qui assombrit  celui de Constable. La veille de l’ouverture il transforma cette tache rouge en bouée.

Sa profession occupait une place si centrale dans son existence que l’Académie était pour lui une sorte de second foyer. Il considérait les vernissages comme des sortes de réunions familiales, de retrouvailles chaleureuses avec des amis et collègues

1830   NORTHAMPTON

Turner marque son intérêt pour la vie des gens ordinaires qui peuplent le paysage

La scène a pour sujet le retour triomphant de lord Althorp au sein du gouvernement de lord Grey et illustre l’intérêt de Turner pour les réformes parlementaires

On peut lire sur la bannière visible au premier plan « La pureté des élections marque le triomphe de la loi »

Lord Grey est devenu Premier ministre le 22 novembre 1830. Il fait voter le Reform Act (Réforme parlementaire) en 1832 et abolit l’esclavage dans l’Empire britannique en 1833.

L’Earl Grey, une variété de thé noir a été ainsi nommée en son hommage



1831   PETWORTH

Lors d’une visite à Petworth il réalisa des esquisses  à la gouache et à l’aquarelle destinées à son usage personnel en souvenir de cet environnement « solide, libéral, riche et anglais » où il se sentait particulièrement à l’aise.

Elles offrent des aperçus sur la vie qu’on menait dans la demeure de lord Egremont

Un récital en soirée dans la bibliothèque blanche

Les invités de Petworth dont Turner faisait partie appréciaient l’intimité des soirées conviviales dans des pièces grandioses

Le comte d’Egremont témoignait de son sens de l’hospitalité à des artistes et écrivains aussi bien qu’à ses amis aristocrates

Turner savourait la liberté qui lui était donnée de faire des explorations et de peindre


Une vue lumineuse du salon blanc et or avec des portraits de Van Dyck de la collection Petworth et au dessous deux paysages accrochés à la place que devaient occuper les tableaux de Turner sur Petworth dans la salle à manger




Une scène dans l’ancienne bibliothèque utilisée par Turner comme atelier


1832   SCIO, FONTAINE DE MELEK  MEHMET PACHA   


Cette fontaine existe toujours sur la principale place publique de Scio dans l’île grecque du même nom.

Elle fut édifiée en 1768 par le pacha Mehmet Melek, ministre de haut rang dans la Curie impériale turque.

Sur la droite l’église du monastère du Prédicateur, avec une mosquée à l’arrière-plan. Le dessin était un projet pour une édition des œuvres de Lord Byron. Turner qui n’alla jamais en Grèce l’a exécuté d’après un croquis. Le dessin illustre un poème , Don Juan, faisant brièvement allusion à Scio.

En 1822 après une tentative de soulèvement à Scio durant la guerre d’indépendance grecque les Turcs massacrèrent 25.000 personnes, évènement commémoré par le tableau de Delacroix. Après les assassinats les Turcs vendirent 47.000 habitants de Scio comme esclaves, provoquant un effondrement du prix des esclaves sur le marché. Ils ne laissèrent sur l’île qu’un millier de Chiotes.

Vers 1832, date de cette aquarelle, la Grèce était indépendante depuis deux ans et Turner peignit une scène de paix. Sur la droite un Turc et un Grec bavardent tranquillement. Au centre du premier plan un joug hors d’usage a été rejeté, allusion au rejet du joug de la loi turque.

Sur la gauche une femme est assise, la tête dans les mains, dans la pose utilisée par Turner pour peindre le chagrin, allusion aux tragiques évènements de l’histoire de l’île. Un personnage placé sous un joug s’éloigne derrière deux femmes plongées dans une conversation animée.

Turner connaissait l’idéalisme de Byron en matière politique et il s’était rangé du côté de la cause grecque bien avant que l’indépendance ait été programmée.

1832   STAFFA, LA GROTTE DE FINGAL  


Pour illustrer des poèmes de Walte Scott, Turner visita l’île de Staffa, à l’ouest des côtes écossaises. Le temps était mauvais « le soleil qui descendait vers l’horizon sortit de derrière les nuages annonçant l’orage et la tempête ; c’est ce qui arriva … »

Turner a peint le bateau à vapeur sur une mer tumultueuse au coucher du soleil. Il exprime l’âme romantique. L’orage qui menace, les falaises à pic sur la mer, les vagues tumultueuses, le soleil voilé servent à créer une impression de tragédie imminente.

Le tableau fut acheté par un américain qui le trouva confus. A un ami qui lui faisait part de cette réaction Turner répondit « Vous devriez lui dire que le confus est mon fort »

Turner adjoignit à ce tableau quelques vers d’un  poème de Walter Scott

« Cette puissante vague qui se retire et enfle

Mais qui, entre chaque terrifiant silence,

De la voûte altière tire une réponse »



1832   BOULEVARD DES ITALIENS


Cette composition associe deux perspectives nettement séparées par un groupe d’arbres et décrit la vie quotidienne d’une grande ville populeuse


1832   LE LANCEMENT DU « VILLE D’UTRECHT »

  

Turner avait pris l’habitude de finir ses tableaux après l’accrochage , quand il pouvait voir l’emplacement qui leur était attribué. Terminer un tableau déjà accroché signifiait peindre à toute vitesse si bien que les différentes couches de peinture n’avaient pas le temps de sécher uniformément. Un grand nombre de tableaux n’ont pas résisté à l’épreuve du temps. Ce qui nuisait à la conservation était un moyen efficace de neutraliser les concurrents.

En 1832 un tableau de Constable fut accroché  à côté d’une marine de Turner. Turner vint plusieurs fois regarder le tableau de Constable qui rehaussait de vermillon les drapeaux des barques. Turner alla chercher sa palette et déposa une tache ronde de minium sur sa mer grise et partit sans dire un mot. L’intensité du rouge fit pâlir le vermillon de Constable qui dit « Il a tiré un boulet de canon ». Turner ne reparut que quelques heures avant l’ouverture au public de l’exposition pour vernir le sceau rouge qu’il avait mis sur sa peinture et lui donner la forme d’une bouée.

Turner démontra l’importance, dans l’acte de création, du geste de mettre les couleurs sur une toile. Il avait toujours un groupe de collègues autour de lui pour le regarder peindre et apprécier sa virtuosité. Cet homme extrêmement taciturne et secret devenait exhibitionniste aux expositions

Turner a représenté avec précision un vaisseau hollandais du 17ème siècle. L’œuvre fait partie d’une longue série de marines exécutées dans les années 1830 e 1840. Il imite la manière des grands peintres de marines hollandais chz qui il avait beaucoup appris


1832   DUDLEY

Turner avait voyagé en 1830 dans les comtés du Midland à la recherche de nouveaux sujets et reconnu le rôle important joué par l’industrie moderne dans l’économie ainsi que ses effets sur les habitants de la région

Le contraste entre la lumière du feu et celle de la lune symbolise l’opposition entre l’ancien et le nouveau

Les ruines de l’abbaye de Dudley au clair de lune surplombent une scène d’agitation moderne


1833    ESTUAIRE DE LA SEINE, QUILLEBEUF

 

Au bord de l’estuaire de la Seine se dressent le phare et l’église de Quillebeuf. Turner avait été séduit par le lieu au point d’y revenir à quatre reprises au cours de ses voyages en France. Au Salon de 1833 le catalogue comportait la note suivante « Cet estuaire est si dangereux que les vaisseaux qui font route vers la terre peuvent s’échouer et être renversés par la marée montante qui se rue en une seule vague. Cette vague est nommée localement barre ou mascaret »

Les phares  représentaient pour Turner des symboles d’échec car ils sont presque toujours environnés de naufrages ou de personnes qui se noient. L’image du phare associée à celle d’une église peut dénoter la futilité de l’espérance religieuse. Mais dans ce tableau le phare brille ainsi que l’église dans une lumière de fin d’après-midi. Pour une fois l’artiste a regardé le phare et l’église comme des fanaux d’espoir.

La composition est unifiée par une arabesque qui descend à gauche sur les vols de mouettes, contourne la collision entre la barre et la vague océanique et remonte le long d’un nuage.

Le contraste entre la lumière du soir et les sombres nuages d’orage donne à l’image une profondeur spatiale.

L’humidité de l’atmosphère est presque tangible.

La couleur orange est celle que l’on voit quand on regarde vers le couchant avec un soleil rouge.



1833     VENISE

L’œuvre est une référence au style de Canaletto.

Turner devait revenir à Venise en 1840 , sa troisième et dernière visite, et y produire une longue série de tableaux et d’aquarelles

Canaletto est représenté debout à son chevalet sur le quai à gauche


1835    VENISE, LE PORCHE DE LA MADONNA DELLA SALUTE

   

En 1819, pour la première fois, Turner se rendit à Venise. Pendant ce voyage et pendant les années suivantes il exécuta un grand nombre d’aquarelles de la cité.

La vue s’étend le long du Grand Canal baigné par une lumière de fin d’après-midi. A droite le porche de l’Eglise de Santa Maria della Salute.

Le Grand Canal est deux fois plus large qu’en réalité.

Turner apporte deux modifications majeures à ce qu’il avait vu.

En 1830 Venise était une ville pauvre qui ne s’était pas encore relevée de l’occupation française de 1797 qui avait dégradé son économie en freinant le tourisme. Les écrivains qui parlaient de la cité évoquaient son « fantomatique et funèbre silence ». Mais ce n’est pas cette Venise que montre Turner. Il charge les bateaux vénitiens d’opulents tissus et de marchandises de luxe pour créer des associations d’idées avec le type de richesse qui était à la source de la grandeur de la cité.

Autre modification : le peintre accentue la qualité aquatique de l’architecture vénitienne en intensifiant l’éclat des constructions qui bordent le canal et en allongeant leurs reflets sur l’eau. Pour Turner cet affranchissement du réel est justifié puisque nous tirons nos perceptions dominantes de Venise en naviguant à travers la ville. Turner veut exprimer l’essence d’un lieu


1835   L’INCENDIE DU PARLEMENT DE LONDRES  


C’est le second tableau que Turner réalisa de l’incendie. La vue est plus distante et panoramique. Le brasier s’éloigne des tours argentées de l’abbaye de Westminster en direction du pont.  On  peut supposer qu’il pensait à son vieil ami Walter Fawkes qui avait été un fervent défenseur de la réforme parlementaire mais qui mourut en 1825 avant que la réforme ne soit votée en 1832.

Le Reform Act de 1832 est une loi britannique qui apporte des changements profonds au système d'élection des membres de la chambre des communes.

Il augmenta le nombre de personnes pouvant voter de plus de 60%, en réduisant ou modifiant le cens. Cette loi supprima en particulier un certain nombre de sièges dans des petits villages. Les métropoles industrielles en plein développement eurent à l'inverse plus de sièges. Par ailleurs, le Reform Act 1832 permit de réduire la corruption très forte qui régnait pour l'élection dans les petites circonscriptions.

Cette loi était l'une des revendications de longue date du parti libéral britannique, les whigs, et fut adoptée après de longues oppositions parlementaires des conservateurs (tories) et un mouvement populaire violent. C'est le premier ministre libéral Grey qui fit adopter le texte

Mais le contenu de la réforme déçoit car la répartition reste inégale, la franchise électorale  n’est que diminuée et la réforme ne profite qu’à la bourgeoisie.


1835  L’INCENDIE DE LA CHAMBRE DES LORDS , VU DE  LA COUR DU PALAIS  

Cette aquarelle inachevée prend pour thème principal le rapport entre l’incendie lui-même et la foule des badauds



1835  CHATEAU DE FLINT, GALLES DU NORD   

Ce délicat dessin évoque l’aurore.

Pour Turner les couchers de soleil avaient une implication tragique parce qu’ils s’associaient à la tombée de la nuit, donc à la mort en raison de leurs teintes rouge sang.

Tandis que la brume monte de la grève à marée basse, et que le ciel se remplit d’une infinité de couleurs, un pêcheur de crevettes se dirige vers le soleil, portant devant lui son panier. A droite un autre pêcheur paraît offrir une crevette à un enfant. Le vermillon et le vert émeraude du premier plan rehaussent l’éclat de l’œuvre tout en mettant en relief les couleurs subtiles des lointains. Les tonalités sombres des vêtements du pêcheur, de l’ancre et du panier cassé accentuent les délicates tonalités des lointains et la sensation d’immensité.

Comme le château de Flint est une ruine Turner a placé devant l’épave d’un bateau naufragé.

L’œuvre a reçu des lavis préliminaires très dilués de jaunes doux, de rouges, de bleus et de verts qui se sont interpénétrés.

1835  DEBARDEURS CHARGEANT DU CHARBON AU CLAIR DE LUNE    

Cette toile lui fut demandée par Sir George Beaumont.

Tableau illuminé par les froids rayons de la lune. Ce clair-obscur est un mélange de lumière lunaire et de flammes qui se reflètent dans les eaux calmes de la Tyne. Il montre le travail incessant qui permit à l’Angleterre de devenir la première puissance maritime de l’époque.

« Aucun autre peintre ne montre cette infinité de tons et de gradations de l’ombre et de la lumière que la nature réserve à ceux qui ont des yeux pour les voir … aucun autre peintre ne fait sentir la puissance des éléments, aucun autre peintre enfin ne soulève le voile de la nature pour nous faire connaître ce qu’elle a de plus secret »

Influencé par les railleries de ses amis l’acheteur vendit le tableau mais dix ans plus tard il tenta vainement de le récupérer « Je pense que je peux avoir d’autres Turner mais celui-ci produit un effet sur l’âme que les autres ne produisent pas »

Turner était fasciné par l’industrie moderne et surtout par les effets de lumière donnés par le feu sur lesquels il pouvait jouer

Composition portuaire classique dans la tradition du Lorrain



1836  JULIETTE ET SA NOURRICE  

En octobre 1836 un magazine publia un article sur ce tableau « C’est vraiment un étrange fatras … une confusion, pire un brouillement. Ce n’est ni la lumière ni l e soleil, ni le clair de lune ni la lumière des étoiles … Au milieu de toutes ces absurdités on ne prend même pas la peine  de se demander pourquoi Juliette et sa nourrice se trouvent à Venise. Ce paysage est un assemblage sans queue ni tête de différentes parties  de Venise, bariolées de bleu et de rose et jetées dans une cuve de farine »

Ruskin, âgé de dix-sept ans, répliqua « Ce tableau est une vue tout à fait exacte de la ville prise des toits des maisons au sud-ouest de la place St Marc avec la lagune sur la droite, le campanile et l’église St Marc de face »

« De nombreux voiles colorés flottent sur la ville au loin, des voiles qui pourraient être des esprits éthérés, l’âme des morts qui s’élancent hors des tombes d’Italie dans le ciel limpide et qui errent dans leur gloire floue et infinie sur la terre qu’ils ont aimés »

Turner ne répondit jamais aux critiques qu’on lui adressait. Il répondit à Ruskin « Je ne m’aventure jamais dans ce genre d’affaires, elles n’ont aucune signification à part la méchanceté »

Juliette au lieu de la Vérone de Shakespeare contemple la place Saint-Marc à Venise, ce qui suscita des critiques virulentes. Le jeune Ruskin prit la défense de Turner.

Ruskin avait visité Venise l’année précédente et projetait « une tragédie sur un sujet vénitien  … dont la belle héroïne Bianca réunirait les perfections de Desdémone et l’éclat de Juliette. Venise et l’amour y serait décrit comme jamais auparavant » Le tableau de Turner aurait presque pu illustrer la pièce


1837    TEMPETE DE NEIGE

AVANLANCHE ET INONDATION   


En été 1836 Turner fit un voyage dans le Val d’Aoste, au nord de l’Italie. Il est douteux qu’il ait pu alors assister à une avalanche où à n’importe quel autre cataclysme météorologique

Il cède à la nostalgie en peignant une scène exagérément terrifiante dans laquelle plusieurs catastrophes naturelles ont lieu en même temps.

Ce paysage est fondé sur une impression générale éveillée chez l’artiste par la haute vallée d’Aoste. Turner souscrivait à la théorie de la peinture poétique qui lui permettait de généraliser à partir du réel.

L’homme est «nanifié » face à l’immensité, la violence et l’obscurité de la nature.

Turner mariait le Sublime à l’Idéal en insufflant à l’image sa parfaite compréhension des « qualités et des causes » inhérentes aux forces de la nature et sa conviction de la présence d’une énergie métaphysique sous-tendant cette dynamique

Dans le lointain, en parti  masqué par la tempête de neige, se dresse le massif du Mont Blanc, tandis que l’avalanche dévale vers le fond de la vallée. Le nuage d’orge tourbillonne et enveloppe tout dans son tournoiement. La rivière cascade furieusement vers la gauche. En bas à droite un noyé est hissé sur la rive où les gens on t l’air de jouets. Cette image est caractéristique du désir conscient du désir que manifesta toute sa vie Turner de représenter les êtres humains comme des objets pathétiques et sans défense face à la terrifiante puissance du monde extérieur



1837    REGULUS  

 

En 1828 Turner décida de passer quelques mois à Rome. Le  tableau fut terminé en 1837 quand il fut présenté à la British Institution.

Un ami « Il ne regardait pas autour de lui mais continuait à passer une grande quantité de blanc sur son tableau, sur presque toute la surface. Le sujet était une composition à la Claude Lorrain, une baie ou un port avec des édifices classiques de chaque côté et au centre le soleil… Il mettait du blanc dans tous les coins … Le tableau devint petit à petit extraordinairement saisissant, le soleil brillant absorbant tout et déposant sur chaque chose un voile brumeux. En regardant la toile de côté, je vis que le soleil était un bloc de blanc faisant saillie comme la bosse centrale d’un bouclier »

Avec le temps le soleil en relief a été absorbé par la toile mais la lumière du soleil éblouissante est restée. On a l’impression de regarder sans fin droit dans le soleil. Mais Turner avait besoin de quelque chose que le public accepte. Une étude abstraite de la lumière aurait parue aberrante. Il revint aux guerres puniques et peignit un épisode de la vie de Regulus, général romain qui fut battu par les Carthaginois en 225 av JC. Envoyé à Rome pour négocier la paix, Regulus dissuada le Sénat d’accepter les conditions de l’ennemi. Puis il retourna à Carthage refusant de trahir la parole donnée. Au cours de son supplice on lui arracha les paupières et la lumière aveuglante de ce tableau préfigure son sort

Le tableau représente les troupes de Regulus s’embarquant pour rentrer dans leur patrie. Regulus mourut sous la torture quand il revint à Carthage. Cette tragédie convenait au pessimisme de Turner qui voyait dans le destin de Regulus un exemple de « la nature trompeuse de l’espoir »



1837    UN INTERIEUR

Ce tableau est complet, il n’est pas inachevé comme d’autres tableaux de la fin de sa carrière

Ce tourbillon de couleur crée une image immatérielle et vague

Les objets se transforment en flots de lumière qui s’engouffrent dans une large porte

Cet éclat aveuglant transforme l’intérieur en chaos, comme si les rayons de lumière étaient doués d’un pouvoir d’absorption

Il y a de nombreux détails dont les formes sont difficiles à identifier : une ébauche de miroir, un chien, un catafalque

Turner était intéressé par le mystère de la lumière. L’obscurité empêche de voir. La lumière si elle est assez forte pour nous éblouir produit  le même effet. Dans ce tableau l’obscurité et la lumière produisent le même effet sur la vue, interrompant la communication entre l’œil et le cerveau

Turner plus simplement voulait peut-être faire une symphonie chromatique sur le jaune et le rouge

Pour exécuter ce tableau il passa d’abord une couche de vermillon sur toute la surface et peignit dessus sans lui laisser le temps de sécher complètement. De larges craquelures se sont  formées qui traversent la surface de cette étrange harmonie en rouge et or.


1937  VAL D’AOSTE  

En 1936 Turner visita la vallée d’Aoste et fit de nombreux dessins en couleur s’aventurant par les sentiers de montagne escarpés, exploit remarquable pour un homme de plus de soixante ans


1838   ITALIE MODERNE, LES PIFFERARI    

Les pifferari sont des musiciens des Abruzzes, région montagneuse du sud de Rome, qui pour apaiser les douleurs de l’enfantement de la Vierge, descendent vers Rome avant Noël pour jouer du piffero, sorte de petite flûte. On en voit un en bas à gauche du tableau et un autre au-delà de la femme en prière. Plus tard lorsque cette peinture fut copiée pour être gravée Turner demanda qu’un enfant emmailloté soit ajouté à l’image pour « accroître le sentiment du tout ».  En associant les pifferari à la vie religieuse de son époque Turner soulignait la survivance des pratiques païennes dans les temps modernes.

La scène reproduite ici est une scène matinale.

A la même époque Berlioz créait la symphonie Harold en Italie avec dans le premier mouvement des évocations de montagne, de procession religieuse dans le second et de pifferari dans le troisième. Turner n’a sans doute jamais entendu la symphonie de Berlioz créée en 1834 mais l’expérience commune des deux artistes a suscité cette analogie.


1839   LE VAISSEAU DE LIGNE « LE TEMERAIRE »


 Quand ce tableau fut exposé en 1839 il était accompagné de ces vers :

« Le pavillon qui a bravé la bataille et la brise,

Ne le reconnaît plus. »

Turner aperçut par hasard le Téméraire alors qu’on le remorquait, au crépuscule, vers le chantier de démolition et fut ému par les implications de la scène

La citation est peut-être aussi une allusion désabusée au fait  que Turner restait totalement ignoré par la Couronne. Ses collègues peintres avaient été décorés et Turner se rendait compte qu’on le laissait totalement de côté

Le 6 septembre 1836 Turner fut aperçu à Margate à bord d’un vapeur, dessinant le passage du Téméraire remorqué en amont de la Tamise vers le chantier de démolition.

En fait le Téméraire fut tiré par deux remorqueurs et le peintre a imaginé le somptueux couché de soleil. On reprocha aussi à Turner d’avoir déplacé la cheminée du remorqueur pour la placer à la proue du navire.

Turner a aussi modifié le Téméraire qui n’avait pas de vergues, ces pièces de bois en croix sur les mâts qui portaient la plupart des voiles. Quand il fut remorqué sur la Tamise il était désarmé parce que c’était une règle dans la Royal Navy de dépouiller un navire de tout ce qui était récupérable avant de l’envoyer à la démolition.

La cheminée est à la proue du remorqueur pour que celui-ci apparaisse à l’avant-garde de tous les navires à voile représentés sur le  tableau et symbolise « l’idée prophétique de la fumée, de la suie, de l’acier et de la vapeur, qui commençaient à dominer dans tous les domaines navals »

Le Téméraire porte ses mâts et ses voiles pour montrer qu’il a eu son jour de gloire et il glisse sur l’eau un peu comme un vaisseau fantôme. Son allure spectrale est accentuée par le noir remorqueur qui met en relief la délicatesse de ses tonalités.

Nous voyons le jour parvenir à son terme, tout comme le Téméraire approche de sa fin, avec un lever de lune annonçant la venue de la nuit, nuit qui pour le vaisseau condamné sera très longue.

Turner représenta ce vaisseau de ligne pour la première fois en 1808 dans La bataille de Trafalgar. Il est possible qu’il ait vu de Margate passer le Téméraire remorqué pour être démoli.

Le Téméraire est devenu le symbole de l’héroïsme naval.

Il se trouvait derrière le Victory à la bataille de Trafalgar. Il voulut passer devant pour protéger le bateau de Nelson mais celui-ci lui ordonna de rester derrière. Il se retira lentement, essuyant le feu de l’ennemi sans riposter.

Ruskin « Jamais plus le lever du soleil ne jettera sa robe d’or sur ses voiles, jamais plus le clair de lune ne tremblera sur les  vagues qu’il pourfend »

Thackeray « Le petit démon de bateau à vapeur vomit des nuages … de fumée sale, rouge et malfaisante … Tandis que, (sous la lune froide et grise), lent, triste et majestueux, le brave vieux bateau le suit, la mort comme gravée sur la coque »

Turner, moins sentimental, veut attirer  notre attention sur le remorqueur. Il a donné au fier petit bateau glissant sur la mer  tranquille comme un cygne noir devant la pâle carcasse du vaisseau de guerre, une certaine grâce.

Le calme du coucher de soleil fait naître chez le spectateur une douce mélancolie tout en annonçant la fin d’une journée et le commencement d’un nouveau jour.

Turner voyait-il dans le remorqueur un symbole du Monde Nouveau remorquant derrière lui l’ancien ?

Au début des années 1830 Turner avait rencontré à Margate Sophia Caroline Booth qui avait ouvert une pension sur le front de mer. Turner descendait  dans cette pension lors de ses visites, Margate étant depuis son enfance un de ses lieux de prédilection. Caroline Booth devint veuve en 1833. C’était « une personne peu éduquée à l’allure de grasse cuisinière »

Elle avait moins de 40 ans. Turner et elle s’entendaient parfaitement. Il ne la fit jamais venir à Londres et la tint toujours strictement à l’écart. Il l’installa à Chelsea dans une petite maison et resta parfaitement incognito. Les voisins l’appelaient  M. Booth ou « L’amiral Booth ». Il s’était ménagé un refuge où fuir des responsabilités souvent pesantes. Mais il sentait cruellement  le poids de ses propres années. C’est en rentrant de Margate qu’il vit un remorqueur tirer le vieux vaisseau Téméraire. La splendeur du spectacle lui sembla digne d’être peinte.


1832   LOCH CORISKIN

   

Ce dessin fut exécuté pour illustrer les œuvres poétiques de Walter Scott. Pour ces illustrations de Scott, Turner fit un voyage en Ecosse en 1831 et demeura quelques temps auprès du romancier et poète alors souffrant.

Rarement œil humain a vu

Scène aussi austère que ce lac redouté

Avec ses bancs noirs de roches nues.

Il semble qu’un tremblement de terre primitif

A secoué les fondements de la colline

Et que chaque précipice dénudé,

Ravine de sable, sombre abysse,

Relate encore l’outrage.

Turner  restitue les propriétés géologiques de ces vastes formations rocheuses, leurs grandes strates et les fissures qui témoignent encore de « l’outrage »

Au premier plan deux petits personnages contrastent avec l’immensité du paysage. L’un est Turner en train de dessiner la vue, l’autre le marin qui lui a fait traverser à la rame le Loch. En escaladant la pente Turner a failli se tuer.


1830   MARGATE, KENT


Témoignage plein de tendresse de la station balnéaire que connaissait Turner depuis son enfance

Turner séjournait régulièrement dans la pension de Mme Sophia Booth à Margate

Il aimait observer la mer surtout par mauvais temps

Turner célèbre la campagne par une belle journée d’été et l’on peut voir la ville blottie dans le cercle de son port tranquille


1835   L’INCENDIE DE LA CHAMBRE DES LORDS   

D’un bateau sur la Tamise, Turner assista à l’incendie de la Chambre des Lords dans la nuit du 16 octobre 1834.

Ce tableau fut presque entièrement exécuté alors qu’il était déjà accroché à la cimaise de la galerie, fait qui provoqua l’admiration de ceux qui l’ont vu peindre.

Dans le lointain l’incendie fait rage, projetant des étincelles vers le ciel étoilé. Tuner prit ses habituelles libertés avec la topographie en étirant Westminster Bridge  ainsi qu’en donnant au pont une forme arquée. Sur le pont et sur les berges du fleuve grouille la foule immense qui sortit pour contempler le feu.

A l’automne 1834 le Parlement discutait d’une loi que beaucoup critiquaient car elle accentuait la division sociale. De nombreux Britanniques considéraient cet incendie comme un jugement divin.

En bas à gauche des spectateurs agenouillés semblent supplier un personnage portant un habit religieux médiéval. Est-ce une allusion à John Wycliff ou à Thomas More qui avaient autrefois combattu pour les libertés britanniques ? Les suppliants pourraient exprimer l’espérance de ne pas voir disparaître l’esprit de la liberté en même temps que le palais britannique qui abritait son corps législatif.

Turner travaillait beaucoup dans cette période sur la lumière de la lune et du feu. Turner avait assisté à l’incendie depuis un bateau sur la Tamise et il aurait circulé parmi la foule rassemblée sur les rives et les ponts, présentée ici comme le public d’un grand spectacle.

Il joue sur la gamme des couleurs qui vont du rouge et jaune intenses et généreusement appliqués à des touches de blanc et de noir d’une délicatesse d’aquarelle

Le pointage des votes du Parlement était conservé sur des planchettes de bois. Une partie de ces planchettes brûla le 16  octobre 1834. Un incendie se déclara  qui détruisit la Chambre des Lords et la Chambre des Communes. Turner se précipita sur les lieux pour faire des esquisses. Il peignit deux tableaux.

Quand il arriva à la British Institution le tableau de Turner n’était qu’un simple barbouillage de couleurs. Un collègue peintre travaillait à ses côtés et se reculait parfois pour voir l’effet produit par son tableau, Turner, lui, restait le nez collé sur le mur où était accroché son tableau. Il travaillait avec une petite boîte de couleurs, quelques pinceaux tout petits, et une ou deux fioles posées par terre. Le tableau fut bientôt fini. Turner rassembla ses outils de travail, les mit dans la boîte et la referma. Puis, sans cesser de regarder le mur il rejoignit l’escalier. Il s’y engouffra et dévala les marches à toute vitesse.

Un collègue voisin « C’est magistral, il ne prend même pas la peine de regarder son tableau ; il sait qu’il est fini et il s’en va »




1832   LA CATHEDRALE DE ROUEN   

Spectaculaire façade de la cathédrale avec son marché animé

Extraite de la série « Vues de la Seine »


1834   LE RAMEAU D’OR    


Dans cette vue du lac Averne la Sibylle de Cumes tient dans la main gauche le rameau d’or que dans deux autres tableaux elle donne à Enée qui a besoin de ce rameau pour revenir du royaume des morts, les Enfers, où il rend visite à son père.

A l’extrême gauche une statue de la Vierge dans une niche : allusion au fait que depuis l’époque des premiers chrétiens on croyait que la Sibylle de Cumes avait prophétisé l’avènement du Christ.

Dans ce tableau bien que la Sibylle tienne à la main le moyen d’échapper à la mort Turner ne raconte pas l’histoire d’Enée et de la Sibylle mais utilise l’histoire du rameau d’or pour insister sur l’indifférence de l’humanité à l’égard de son destin ultime. La Sibylle offre le rameau d’or à des danseurs et des nus environnés de richesses. Leur désintérêt envers le rameau qui pourrait leur permettre d’’échapper à leur propre mort symbolise l’indifférence des hommes envers leur caractère mortel tandis que leur attirance pour l’hédonisme et les biens matériels explique pourquoi ils sont insouciants

Turner croyait que l’œuvre d’art confère, comme le rameau d’or, l’immortalité. Dans ce tableau Turner peut aussi avoir voulu célébrer le pouvoir de l’art et de l’objet d’art sur la mort.

Turner se rendait souvent chez lord Egremont à Petworth. Il aimaitl’existence animée d’une grande famille peu conformistes et de ses hôtes divers

Lord Egremont appréciait vivement la compagnie tout en sachant garder ses distances avec une certaine nonchalance aristocratique. Turner pouvait vagabonder à sa guise dans un site superbe, bavarder avec son hôte o ses nombreux collègues de l’Académie eux aussi présents, dessiner ou peindre dans son atelier ou n’importe où dans le parc ou la demeure. Egremont décéda le 11 novembre 1837

Turner avait de grandes qualités de sensibilité mais elles restaient cachées. Une amie « Il avait une nature soupçonneuse ; aucune main tendre n’avait jamais effacés les affronts précoces d’une éducation défectueuse »


1839   ROME ANTIQUE   

Nous voyons le dernier éclat du jour avant la tombée de la nuit.

Turner avait été impressionné par la lecture de la mort de Germanicus. Germanicus était le fils adoptif de l’empereur Tibère et son héritier. Il mourut en 19 av JC. Au début du règne de Tibère n’apparaissaient chez l’Empereur que prudence, générosité et clémence mais peu à peu il devint follement jaloux de Germanicus qu’il finit par faire empoisonner. A partir de ce moment les historiens notent les effets sanguinaires de son caractère soupçonneux.

Pour  Turner la mort de Germanicus marque le moment historique où Rome se détourne d’un glorieux passé car en donnant libre cours au comportement morbide de Tibère, cette mort entraîne Rome sur le chemin de la destruction. Tibère fut suivi par trois césars « fous », Caligula, Claude et Néron.

Le dernier éclat du jour et l’approche de la nuit préfigurent la fin de Rome.

Une faux placée en bas à droite fait penser à la mort. En réalité Germanicus était mort à Antioche en Syrie et ses restes furent rapportés à Brindisi et non à Rome.

Richesse de la couleur


1840  VENISE : UN ORAGE SUR LA PIAZETTA   

Cette œuvre fut exécutée lors de séjour de Turner à Venise en 1840

L’œuvre tire son atmosphère de l’éclair, car la silhouette des toits du palais des Doges tremble dans le ciel bleu et ce manque de précision aide à rendre l’intensité de la décharge électrique qui traverse la piazetta. Sur la place les ombres diffuses des personnages accentuent le sentiment d’inquiétude tandis que s’ouvrent les parapluies et que les gens se bousculent pour échapper à l’orage.

Turner maîtrise les tonalités car la plupart des détails architecturaux du palais des Doges et toute la partie visible de la basilique de Saint Marc sont peints en blanc sur un lavis gris-jaune légèrement plus sombre bien qu’il demeure très distinct à l’œil.

Maître des perspectives l’artiste a placé l’arcade de la Libreria de Sansovino comme pour nous la montrer de face dans toute sa longueur.


1840   VENISE AU CLAIR DE LUNE

Turner étudie les monuments de Venise sous différents effets de lumière


1840   VENISE, LE PONT DES SOUPIRS

Turner a cité Byron « J’étais sur le pont, un palais et une prison dans chaque main »

Ce tableau fut peint pour un collectionneur qui prisait le style topographique, en vogue à cette époque

Turner se concentre principalement sur le Palais des Doges et sur la prison avoisinante plutôt que sur les étendues d’eau du bassin de Saint Marc et de la Lagune qui devaient beaucoup l’occuper  dans les années 1840


1840   VENISE : CAMPANILES DE SAN MARCO, SAN MOÏSE ET SANTO STEFANO

En 1840 Turner fit son dernier séjour à Venise. Il réalisa de nombreuses aquarelles depuis son hôtel Europa à l’embouchure du Grand Canal


1840    VENISE : UN ORAGE

Le  ciel d’orage, la mer et les bâtiments embrumés sont évoqués avec une maîtrise du pinceau éprouvée


1840   LEVER DE SOLEIL

BATEAU ENTRE DEUX PROMONTOIRES   

Quelques touches de bleu d’un côté, quelques touches d’ocre et de brun de l’autre, suffisent à Turner pour créer une œuvre qui ne détonnerait pas dans une exposition d’Expressionnistes abstraits.

Quand ils arrivèrent à la National Gallery les tableaux considérés comme inachevés furent mis de côté et oubliés.

Turner avait proposé qu’une sélection de ses œuvres inachevées soit exposée tous les six ans


1840   PAYSAGE AVEC DE L’EAU   

Turner stupéfiait ses collègues en transformant un simple barbouillage de couleurs comme le chaos qui précède la création ne tableaux finis qu’il exposait en public

Il devait avoir de nombreuses toiles, (une base représentant son idée de la scène), comme celle-ci et quand l’Exposition de l’Académie ouvrait il choisissait celle qui valait la peine d’être complétée.

Son œuvre est énorme, l’inspiration ne lui fit jamais défaut. Il ne comprenait pas l’échec et de plus il était riche. Il avait un seul problème : choisir



1840   THEATRE EN PLEIN AIR  VENISE

Cette œuvre fait partie d’un groupe d’études représentant des scènes théâtrales sur un papier brun

On y  retrouve la fascination pour les effets de lumière rembrantiens fréquents dans  l’œuvre de Turner au début des années 1830



1840  PAYSAGE AVEC UNE RIVIERE ET UNE BAIE DANS LE LOINTAIN   

Turner a rendu avec art l’effet du soleil dissipant la brume matinale

Harmonie chromatique de grand éclat



1840   NEGRIERS JETANT PAR-DESSUS BORD LES MORTS  

Ce tableau tire son sujet d’un fait divers. En 1793 un groupe d’assureurs maritimes avait attaqué en justice ses clients, les propriétaires et le capitaine du bâtiment négrier Zong, qui avaient essayé de les tromper. La perte d’esclaves pouvait être indemnisée si les esclaves se noyaient mais pas s’ils mouraient à bord. Plus de cent esclaves malades furent jetés par-dessus bord. Le capitaine avançait comme circonstance atténuante pour son acte qu’il ne lui restait que huit cent litres d’eau à bord et que, comme il avait manqué sa dernière escale, il n’avait aucun moyen de s’approvisionner. Les assureurs gagnèrent leur procès car les réserves d’eau n’avaient pas été rationnées et une chute de pluie aurait permis de limiter le nombre des victimes. Bien qu’avertis du crime ni le Gouvernement ni l’Amirauté  ne réagirent.

Ce tableau est une illustration du lien existant entre l’argent et la cruauté de l’homme.

Devant un coucher de soleil rouge sang des esclaves enchaînés se noient tandis que d’étranges poissons exotiques se nourrissent de leur chair. John Ruskin fut le premier propriétaire de cette peinture mais il finit par la vendre car il ne supportait plus la présence de ce sujet tragique.

Le 22 juin 1840 Ruskin rencontra pour la première fois Turner lors d’un dîner. Le soir il notait « Tout le monde m’avait décrit un personnage grossier, malapris, vulgaire et peu intellectuel. J’ai trouvé en lui un honnête homme, d’esprit très anglais, pragmatique, aux manières vives, quelque peu excentrique ; à l’évidence une excellente nature, tout aussi à l’évidence un caractère emporté »

Turner fut un partisan de l’abolition de l’esclavage.

Turner a lu le récit du marchand d’esclaves Zong dans le livre de Clarkson « Histoire de l’abolition de la traite des noirs ». Une épidémie s’étant déclarée à bord le capitaine ordonna de jeter à la mer les malades et les mourants pour pouvoir déclarer qu’ils avaient péri en mer et bénéficier de l’assurance. Sur le bateau ils n’étaient pas assurés.

Le sujet du tableau était aussi un sujet d’actualité. L’émancipation des esclaves dans les colonies britanniques était en vigueur depuis 1838. Le public pouvait donc admirer cette scène la conscience tranquille, et même avec une pointe d’orgueil, l’Angleterre étant le premier pays à avoir aboli l’esclavage.

Turner était plus sensible à l’opportunité qui lui était  offerte de peindre de peindre un magnifique paysage marin qu’à la souffrance des noirs.

Ruskin « Le principal tableau de l’exposition de 1840 … est un coucher de soleil sur l’Atlantique, après un long orage ; mais l’orage est en partie calmé, et les nuages déchirés et ruisselants forment des masses écarlates qui vont se perdre dans la nuit noire…. Le feu du coucher du soleil court le long du creux de la mer projetant une lumière terrible mais glorieuse, splendeur intense et sinistre qui brûle comme l’or et baigne comme le sang. … Le brouillard de la nuit se lève froid et bas avançant comme l’ombre de la mort sur le bateau coupable qui bourlingue au milieu des éclairs de la mer … Les mâts ténus s’inscrivent sur le ciel en lettres de sang, menacés de toute part dans cette couleur effrayante qui teinte le ciel d’épouvante »

Pour Ruskin c’est « La plus noble mer jamais peinte par Turner … Pourpre et bleue,  les ombres blafardes des vagues déferlantes sont projetées sur le brouillard de la nuit, qui se lève froid et bas avançant comme l’ombre de la mort sur le bateau coupable … »

Pour le catalogue Turner composa les vers suivants :

« Tout le monde dans les enfléchures, abattez les mâts de hune et amarrez-vous ;

Le soleil couchant plein de rage et les nuages menaçants

Annoncent  l’approche du Typhon.

Avant qu’il ne balaie les ponts, jetez par-dessus bord

Les morts et les mourants – ne tenez pas compte de leurs chaînes.

Espérance, Espérance, trompeuse Espérance !

Où es-tu maintenant ? »


BATEAUX EN MER   1840

Turner a posé trois taches de couleurs sur un fond composé de deux tons de jaune

Une courbe gracieuse comme une courbe emportée par le vent

Une contre-courbe rose et une tache plus grosse suggèrent trois bateaux

Ce tableau produit un effet d’éloignement continu qui fait naître un sentiment de paix éternelle


1840   UN PORT AVEC UNE VILLE ET UNE FORTERESSE   

Toile non achevée qu’il n’exposa pas. Le sujet rappelle « Didon construisant Carthage » et « Regulus » qui se prêtent à une participation du spectateur.

Ce tableau se prête moins à la participation du spectateur. Le flou a pris des proportions telles que nous avons l’impression de regarder une vision, les traces d’un rêve évanoui de maisons hautes et d’une citadelle se profilant au-dessus des carcasses des navires sans vie. Le sujet est ici pratiquement inexistant.

Si Turner avait exposé son tableau il aurait été démoli par les critiques. Le public voulait des tableaux à sujet littéraire ou historique, comme Didon ou Regulus. Aujourd’hui nous sommes habitués aux tableaux qui ne racontent rien. Nous apprécions l’arrangement harmonieux des couleurs elles-mêmes. L’or, le rose, le bleu, les tons chauds et froids sont transformés par l’intensité du soleil. Cette symphonie chromatique est la raison d’être de cette toile. Les personnages au bord de l’eau n’ont pas de signification particulière. Ils ne sont là que pour faire une tache de couleurs et pour contrebalancer les bateaux qui se trouvent de l’autre côté du port. Seule la vue est sollicitée.

Turner n’avait pas prévu que sa célébrité reposerait  sur les toiles qu’il n’exposa pas mais sur ces abstractions expérimentales que ses contemporains qualifiaient « d’inachevés ».


1840  LE CHATEAU DE NORHAM

LEVER DE SOLEIL   

Le château de Norham est un sujet qui attira Turner dès le début de sa carrière

Les formes se sont  dissoutes dans la lumière éclatante

On pense que Turner n’avait pas l’intention de montrer ce tableau au public de son vivant car sinon il aurait sans doute supprimé les bavures de bleu au-dessous de la falaise

Traitement particulièrement lumineux dans lequel la scène entière semble se dissoudre dans la lumière


WILLIAM  TURNER


Suivant (droite) Précédent (gauche)

Page  5 / 6

VOYAGES ECRIVAINS HISTOIRE CURIOSITES Accueil PEINTRES

WILLIAM  TURNER


Suivant (droite) Précédent (gauche)

Page  5 / 6

VOYAGES ECRIVAINS HISTOIRE CURIOSITES Accueil PEINTRES