EDOUARD  MANET   1/2

Nous allons redécouvrir

sur deux pages l'oeuvre d’Edouard  MANET


À partir

De 100tableaux commentés


La note ci-dessous vous présente un résumé de sa vie

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LA VIE DE MANET

Manet est "de son temps"
Manet est un artiste public, sa personnalité, sa vie, son art se sont déroulés au vu et au sus de tous
En 1876 il dit "Regardez-moi, je suis un bourgeois comme vous et comme tant d'autres"
La critique de l'époque se demande comment un homme aussi normal peut peindre avec une telle brutalité

L'homme est visible par tous "l'homme le plus séduisant, le plus spirituel, l'esprit le plus fin de Paris" mais l'artiste reste incompréhensible
Ses aspect sombres transparaissent dans sa peinture, riche de contenus cachés
Son oeuvre souffre d'être lue comme une anticipation de l'impressionnisme
L'oeuvre est transparente car immédiate dans ses sujets : une jeune fille avec un chat, un déjeuner servi dans un atelier, un balcon où des gens se pressent
L'oeuvre est opaque car ce rendu de la vie quotidienne est obscur au yeux de ses contemporains habitués à des sujets littéraires, des tableaux historiques ou mythologiques

Manet veut dialoguer directement avec le plus grand nombre possible de personnes. Il continuera toute sa vie à envoyer des tableaux au Salon et à être souvent refusé

En 1850 Manet a 18 ans
Fils d'un haut magistrat, élevé dans les valeurs bourgeoises
Pour être un artiste bénéficiant d'une reconnaissance sociale il faut être présent au Salon et recevoir une médaille
Il a songé à une carrière d'officier de marine

Il s'inscrit à l'atelier d'un jeune peintre en vueThomas Couture
Il restera 6 ans chez Couture
Couture influence Manet par:


En 1853 avec son frère Eugène, voyage en Italie
A Florence il copie la Venus d'Urbino du Titien
"Du Titien il aimait les coulées de lumière"

Le "spleen", mélange de mélancolie et d'effervescence, marque l'art extraverti de Manet
Une ligne d'ombre se cache dans la splendeur des lumières et la fraîcheur du regard
Il existe un Manet "noir" caché derrière sa peinture claire et brillante
La gravité infantile du Fifre
La lourde armure dans le bonheur du Déjeuner dans l'atelier
Le regard de Berthe Morisot au Balcon
Le regard de Suzon d' Un bar aux Folies Bergère

On a reproché à Manet de peindre des portraits comme des natures mortes mais en peignant des objets il peint l'âme silencieuse des choses

Avec entêtement Manet réitère le droit pour chaque artiste de rencontrer son public

Le Salon est au coeur de cette rencontre
De mai à fin juin, prix populaire de 1 franc
Sont présentées :de 1000 oeuvres en1867 à 4200 en 1868
En 1867 2000 sur 3000 sont refusées
Le système du Salon assure le succès ou proclame une exclusion
Il en sera ainsi jusqu'en 1880 où l'organisation du Salon est cédée à la Société des Artistes Français

Manet se bat pour le "droit de chaque artiste à montrer son oeuvre et dans les conditions les plus favorables"

La musique fait partie du quotidien de l'artiste, Suzanne est une excellente pianiste et les soirées s'ouvrent aux amis

Olympia, 1863, subit un lynchage collectif au Salon de 1865
"Quiconque passe par ici prenne sa pierre et la lui jette à la face" écrit un critique
L'échec provoque chez Manet une blessure irréversible
Il gardera le tableau dans son atelier jusqu'à sa mort
"J'ai rarement vu Manet plus triste que ces jours-ci" Proust
Baudelaire " Manet a un grand talent, un talent qui résistera, mais il a un caractère faible. Il me semble désolé et abasourdi par le choc. Ce qui me frappe c'est la joie de tous les imbéciles qui le croient perdu"
Il écrit à Manet " Apparemment vous avez eu l'honneur d'inspirer de la haine ... Croyez-vous être le premier à vous trouver dans cette position ? Avez-vous plus de génie que Chateaubriand et Wagner ? Ne s'est-on pas moqué d'eux ? Ils ne sont pas morts pour autant"
Pourquoi ce scandale ? Un critique "Parce qu'elle vit, et cette vie est sensible à tous; parce qu'ils sentent qu'elle pourrait bouger, cette femme qu'ils trouvent vulgaire et mal faite ... "
Privée de tout travestissement mythologique, Olympia est deux fois nue

L'envoi au Salon comme second envoi du Christ insulté précipite le scandale
Il en sera de même des deux envois en 1864 du Torero mort et des Anges au tombeau du Christ
Le rire se déchaîne sur le chat qui sera pendant des années le compagnon des principales attaques de la presse comme Manet
Le chat réapparaît à côté de Léon dans Le Déjeuner dans l'atelier
En septembre 1865 Manet visite Madrid "Velasquez est le peintre des peintres... Auprès de lui j'ai trouvé la réalisation de mon idéal en peinture"

La réconciliation avec le public s'opère par le truchement de l'habit citadin
"Ainsi c'est lui ! Ce jeune homme correct, bien ganté, bien habillé, que nous pourrions prendre pour un spectateur aux courses de chevaux, c'est lui le peintre du chat noir, dont la renommée s'et répandue sur le fil des moqueries, et que nous imaginions comme un étudiant aux cheveux longs, coiffé d'un chapeau rouge pointu et une pipe courte à la bouche ... "
Son charme, sa verve, sa cordialité en font un personnage presque plus célèbre que ses tableaux
Son dandysme cache une vulnérabilité, une inquiétude
Son nouvel atelier des Batignolles est un lieu de fréquentation
La vivacité de l'échange intellectuel est tout à la fois l'aliment et le fond de sa peinture

On se dispute le personnage de Manet, son apparition peut faire la fortune d'un café
"On le remarque installé à la terrasse du café Tortoni, un cigare de marque à la bouche devant quelque boisson coûteuse"

" Je ne suis pas reconnaissant aux critiques qui me louent parce que je ne suis pas en colère contre ceux qui m'éreintent. Qu'ils me louent ou m'éreintent, ils me font de la publicité et s'en font en même temps. C'est leur métier. Moi je fais le mien"

Manet trouve réunis chez Mallarmé le soutien de Zola et la finesse de Baudelaire
Le poète devient un habitué de l'atelier des Batignolles
Manet lui consacre un portrait en 1876

Manet refuse d'exposer Boulevard des Capucines "Je n'exposerai jamais dans la baraque d'à côté : j'entre au Salon par la grande porte, et je lutte avec tous les autres"

"Ses chefs-d'oeuvre se couvrent de poussière, dans une soupente où personne ne songe à entrer, parce qu'on ne va chez lui que pour la conversation" Jacques-Emile Blanche


L'ataxie dont il souffre ne pardonne pas. Il travaille jusqu'à la fin, faisant preuve d'un stoïcisme émouvant
Douze jours avant de mourir il est amputé d'une jambe
Il meurt le 30 avril 1883 à la veille du Salon
"Manet et manebit"


1 – L’ENFANT AUX CERISES – 1859


Ce portrait est celui d’Alexandre, le jeune garçon qu’il a recueilli, qui nettoie sa palette et lave ses brosses

Cette toile est composée à l’ancienne mais laisse déja percer la manière de Manet. On reconnaît sa façon de traiter les chairs, cette touche blonde qui se retrouvera toujours dans sa peinture

Le sourire du gamin ne laisse pas entrevoir le drame qui allait se jouer

Ce drame est raconté par Baudelaire dans son poème en prose “La Corde”


    «Ma profession de peintre me pousse à regarder attentivement les visages, les physionomies, qui s'offrent dans ma route, et vous savez quelle jouissance nous tirons de cette faculté qui rend à nos yeux la vie plus vivante et plus significative que pour les autres hommes.  Dans le quartier reculé que j'habite et où de vastes espaces gazonnés séparent encore les bâtiments, j'observai souvent un enfant dont la physionomie ardente et espiègle, plus que toutes les autres, me séduisit tout d'abord

Je pris enfin à toute la drôlerie de ce gamin un plaisir si vif, que je priai un jour ses parents, de pauvres gens, de vouloir bien me le céder, promettant de bien l'habiller, de lui donner quelque argent et de ne pas lui imposer d'autre peine que de nettoyer mes pinceaux et de faire mes commissions.  Cet enfant, débarbouillé, devint charmant, et la vie qu'il menait chez moi lui semblait un paradis, comparativement à celle qu'il aurait subie dans le taudis paternel.  Seulement je dois dire que ce petit bonhomme m'étonna quelquefois par des crises singulières de tristesse précoce, et qu'il manifesta bientôt un goût immodéré pour le sucre et les liqueurs; si bien qu'un jour où je constatai que, malgré mes nombreux avertissements, il avait encore commis un nouveau larcin de ce genre, je le menaçai de le renvoyer à ses parents.  Puis je sortis, et mes affaires me retinrent assez longtemps hors de chez moi.

    «Quels ne furent pas mon horreur et mon étonnement quand, rentrant à la maison, le premier objet qui frappa mes regards fut mon petit bonhomme, l'espiègle compagnon de ma vie, pendu au panneau de cette armoire! 


Frappé par ce suicide Manet se mit en quête d’un autre local. Il en trouva un place de Clichy mais son attention fut attirée par un énorme clou. La concierge lui raconta qu’un homme s’y était pendu. Manet prit la fuite.


Le gamin s’enlève sur un fond sombre mais si on examine avec attention la peinture du visage et de la main, on s’aperçoit que ceux-ci sont traités dans le large ton lumineux des chairs qui sera plus tard celui du Fifre

Le  jeune garçon est immortalisé par le sourire frais que lui a donné le peintre.

La main qui serre les cerises a cette facture spéciale, large et légèrement cernée par endroits, que nous verrons à toutes les mains que Manet peindra par la suite


2 – LE BUVEUR D’ABSINTHE – 1859


En parcourant les galleries du Louvre Manet rencontre un jour un certain Collardet, chiffonnier et vendeur de ferraille

De cet homme vêtu d’un manteau élimé Manet va réaliser une scène inquiétante, illustrant un poème de son ami Baudelaire

« Tout ce que la grande cité a rejeté, tout ce qu’elle a brisé, il le catalogue, il le collectionne. Il compulse les archives de la débauche, le capharnaüm des rebuts … »

Avec ce tableau Manet tourne le dos à la représentation de la misère alors traitée de façon romantique

Manet invite son maître, Thomas Couture à venir voir son futur envoi au Salon. Couture : « Mon ami, il n’y a qu’un seul buveur d’absinthe, c’est le peintre qui a produit cette insanité »

Ce fut leur dernière rencontre

Il présente son tableau au Salon de 1859 au Palais de l’Industrie mais il fut rejeté.

Delacroix prit la défense de ce tableau

L’œuvre s’inspire de la peinture espagnole, en particulier de Velasquez

Ce tableau est le première tentative de confrontation avec l’opinion publique et la critique officielle

Réalisé selon la technique très fine du glacis = une très fine couche de couleur diluée que le peintre étendait sur le tableau déja sec de façon à laisser transparaître la couleur de la patine sous-jacente

Manet fut déçu du refus : "J'ai fait un type de Paris, étudié à Paris, en mettant dans l'exécution la naïveté du métier que j'ai retrouvé dans le tableau de Velasquez. On ne comprend pas. On comprendra peut-être mieux si je fais un type espagnol"


3 - LES PARENTS DE MANET - 1860


Auguste Manet, magistrat important, aurait aimé voir son fils embrasser la même carrière que lui.

Représentation austère d'un père âgé et malade

On lit sur le visage de la mère filleule du roi de Suède, une certaine mélancolie

Manet ose une note de couleur dans le panier à ouvrage qu'elle tient et dans le ruban du bonnet qu'elle porte

Manet disait à Proust :"Mon père et ma mère, je les ai campés tout bêtement, tels que tu les vois là"

Blanche qui les a connus ne les reconnaissait pas dans cette peinture.

"Lui, figure d'entêtement et d'obscurité. Elle, elle était plus fine en réalité que dans le tableau d'Edouard, on dirait deux concierges"

Madame Manet disait à se amies qui regardaient ce que faisait Edouard "Il pourrait peindre autrement, seulement il a un entourage ! ...."

Madame Manet avait 14 ans de moins que son mari

Manet dut attendre la mort de son père en 1862 pour régulariser par un mariage son union avec Suzanne Leenhoff, hollandaise qui lui donnait des leçons de piano et de laquelle il aurait eu un fils, Leon Leenhoff

Tableau présenté au Salon de 1861


4 - LE CHANTEUR ESPAGNOL - 1860


Ce tableau présenté au Salon de 1861 lui vaut tous les éloges

Cette oeuvre représente un gitan plaquant un accord sur sa guitare en chantant

Le jury sceptique fit accrocher la toile très haut mais l'opinion fut si favorable que les officiels décidèrent de la descendre pour lui donner une place plus avantageuse

Tableau admiré par Delacroix et Ingres

Théophile Gautier loua le tableau dans le Moniteur Universel

Le costume n'est pas tout à fait espagnol et les pièces de vêtement qui le composent proviennent de régions différentes

Mais de style espagnol il toucha le public qui portait alors un vif intérêt à l'Espagne

Cette oeuvre est peinte grassement avec un aspect matériel qui la rapproche de Courbet (la guitare, la nature morte des oignons et la cruche)

Mais Manet est déja lui-même dans le vert sulfate du banc auquel s'oppose le gris chaud  du pantalon du chanteur

Au lieu de se tenir en l'air, le pied droit devrait naturellement reposer sur quelque chose

Le guitariste joue de la main gauche une guitare faite pour être pincée de la main droite

"Le chanteur espagnol" exposé au Salon de 1861 allait être baptisé sous le nom de "Guitarero" par Théophile Gautier

"Velasquez le saluerait d'un petit clignement d'oeil amical, et Goya lui demanderait du feu pour allumer son papelito ...  Il y a beaucoup de talent dans cette figure de grandeur naturelle, peinte en pleine pâte, d'une brosse si vaillante et d'une couleur très vraie"

L'oeuvre est décriée par les traditionnalistes qui considèrent son réalisme intolérable

Les chanteurs espagnols sont alors très en vogue en raison des idées romantiques que la France du 19ème siècle associe à l'Espagne

Bien que sentimental et pittoresque, le tableau trouva crédit auprès d'un groupe de jeunes artistes pour qui il représentait une observation de la vie réelle

Porté par l'admiration de ces jeunes artistes Manet allait bientôt se trouver au coeur du mouvement avant-gardiste de la capitale

Sans doute sur l'intervention de Delacroix, ce tableau fut récompensé par une mention d'honneur

Manet avait copié la peinture espagnole au Louvre et ne s'était jamais rendu dans le pays

A la posture vivante et dynamique, Manet associait les grandes taches chromatiques des diverses surfaces avec des détails comme le mouchoir blanc, les espadrilles à semelle de corde et le vase rouge

Manet emprunte à Courbet la nature morte au premier plan qui crée un contact direct entre le spectateur et l'espace pictural

Il emprunte à Velasquez la synthèse d'une image solide, bien définie, peinte sur un fond nuancé de type traditionnel


5 - L'ENFANT A L'EPEE - 1860

L'influence de l'école espagnole se ressent fortement dans les oeuvres de jeunesse de Manet

Velasquez et Goya ont tous deux représenté des enfants assurant un rôle d'adulte dans des poses légèrement empruntées

L'Enfant à l'épée est un tableau de costume destiné aux membres élégants de la société  parisienne qui se plaisent à travestir leurs enfants

Le modèle est Leon Leenhoff, le fils de sa future épouse qui a beaucoup posé pour Manet

Il est vêtu comme un page de la monarchie et encombré d'une épée dont il ignore quels dangers elle représente

Zola a écrit "On dit qu'Edouard Manet a quelque parenté avec les maîtres espagnols et il ne l'a jamais avoué autant que dans l'Enfant à l'Epée ... Si l'artiste avait toujours peint de pareils têtes il aurait été choyé du public, accablé d'éloges et gagné beaucoup d'argent; il est vrai qu'il serait resté un reflet et que nous n'aurions jamais connu cette simplicité sincère et âpre qui constitue tout son talent"


6 - LA NYMPHE SURPRISE - 1861


Manet contestait la tradition qui voulait que la composition d'un tableau se fît en intérieur et non en décors naturels

"Il y a les champs et, tout au moins l'été, on pourrait faire des études de nu dans la campagne puisque le nu est, paraît-il, le dernier mot de l'art"

Mais à l'époque, la réalisation d'un nu passait par l'idéalisation

Ce tableau témoigne de l'influence des maîtres qu'il allait copier au Louvre, tel que Bouche et sa Diane sortant du bain ou Rembrandt et Bethsabée

Manet avait entrepris une grande composition "Moïse sauvé des eaux"

Il n'en fut pas satisfait et entreprit alors de découper la toile pour ne garder que le nu

La jeune égyptienne, posée par la blonde Suzanne, devint alors une nymphe et la servante disparut

La  nymphe n'est surprise que par le regard que le spectateur pose sur elle

La vision de ce tableau annonce Le Déjeuner sur l'herbe

Baudelaire disait que le nu, "cette chose si chère aux artistes, cet élément nécessaire de succès, est aussi fréquent et aussi nécessaire que dans la vie ancienne"

Dans L'Atelier du peintre de Courbet le modèle nu se tient au côté de l'artiste et se veut son attribut

7 - LE VIEUX MUSICIEN - 1862


Sont rassemblés dans cette grande composition plusieurs figures : orphelins, gamins des rues, musicien ambulant, qui incarnent la masse des petites gens dont l'existence fut réveillée par les travaux d'aménagement du baron Haussmann, d'où le sentiment de gêne que le  2ème empire éprouve à leur égard

Le jeune garçon vêtu d'un costume de Pierrot déchiré fait allusion au théâtre des Funambules, siège parisien de la comedia dell'arte, voué à la démolition

Les formes sont décrites avec peu d'ombres

Le petit garçon en blanc évoque le Gilles de Watteau, le personnage en haut de forme est une réplique du Buveur d'absinthe que Manet a peint en 1859

Le Second Empire ressent une sorte de fascination pour les gitans. Une foule de livres et d'articles détaillent leurs habitudes de vie.

Ils figurent dans des pièces, des ballets et des opéras

La coutume selon laquelle ils enlèvent des bébés revient dans tous les écrits ce qui explique la présence d'un bébé dans les bras de la fillette

Le buveur d'absinthe correspond à l'image baudelairienne du philosophe qui se saoûle de ses propres paroles

Les images espagnoles représentent les philosophes sous les traits de mendiants

Aucune communication ne semble s'établir entre les personnages ce qui a été jugé dérangeant par les contemporains de Manet

Pour Manet l'effet à rechercher dans une oeuvre d'art est étroitement lié à une vision globale

En orchestrant les six personnages dans un espace aussi restreint et en comprimant les corps jusqu'à les faire se toucher entre eux, le peintre semble animé par le désir d'y faire entrer le spectateur

Ces personnages des quartiers populaires présentent une certaine affinité avec les personnages de la Cousine Bette de Balzac


8 - LA MAÎTRESSE DE BAUDELAIRE - 1862


Cette femme allongée sur le canapé est Jeanne Duval, la maîtresse de Baudelaire, lui-même ami de Manet

Elle pose dans le nouvel atelier de Manet, rue Guyot

Baudelaire l'appelait sa Vénus noire

Née à Saint Domingue, Jeanne Duval était une femme grande et anguleuse, au teint mat

Sa rencontre avec Baudelaire date de 1842

Elle avait alors 21 ans et le poète fut séduit par son charme exotique

Leur relation fut souvent orageuse

Baudelaire écrivit qu'elle était "sa seule diversion, son seul plaisir, sa seule compagne"

Quand Manet la peint elle a 42 ans et est très malade. Hémiplégique depuis 1859 elle se fait soigner dans un sanatorium que Baudelaire réussit à financer malgré ses faibles moyens

Le volume qu'occupe sa robe sur le tableau cherche à masquer la raideur de ses jambes

Son visage ravagé par le mal est volontairement peu détaillé

Manet offrait souvent ses oeuvres à ses amis

Le fait que le tableau resta en sa possession jusqu'à sa mort laisse supposer que Baudelaire lui-même ne l'apprécia pas

Baudelaire décrit sa vie avec Jeanne Duval "Vivre avec un être qui ne vous est nullement reconnaissant de vos efforts, qui au contraire les contrarie avec une maladresse ou une méchanceté permanentes, qui vous considère comme un domestique de sa propriété ... une créature qui ne veut rien apprendre ..., qui ne m'admire pas, ... qui jetterait mes manuscrits si cela lui rapportait plus d'argent que de les laisser publier, qui chasse mon chat"

L'ample robe s'explique aussi par la crinoline, le jupon armé de cercles rigides que les femmes portaient sous leur robe au 19ème siècle pour la maintenir bouffante et tendue

Dans le Peintre de la vie moderne, publié en 1863, Baudelaire insistera sur l'importance de la mode "Tout ce qui orne la femme, tout ce qui sert à mettre en valeur sa beauté, fait partie d'elle"

"La femme ... par essence est une harmonie générale, non seulement dans son allure et le mouvement de ses membres, mais aussi dans les mousseline, les gazes, les vestes et les chatoyantes nuées d'étoffe dont elle s'enveloppe, et qui sont comme les attributs et le piédestal de sa divinité"

La crinoline très ample est à cette époque la dernière nouveauté en matière de mode féminine

Honoré Daumier consacre à cet accessoire de nombreuses caricatures dont certaines représentent les femmes comme des montgolfières

On pense que l'oeuvre a été réalisée en une seule séance de pose

Le rendu synthétique et rythmé de la touche annonce la technique impressionniste

9 -  JEUNE FEMME ALLONGEE EN COSTUME ESPAGNOL - 1862


Ce tableau renvoie à deux oeuvres de Goya, La Maja vestida et la Maja desnuda

On a suggéré que Olympia peint l'année suivante serait une réplique moderne des deux oeuvres du maître espagnol

Mais si ces toiles présentent une figure allongée et incluent un chat elles diffèrent par le modèle utilisé

La jeune femme un peu replète est la maîtresse de Nadar, ami de Manet, passionné de photographie et d'aéronautique et grand admirateur de Goya

Manet a paré son modèle d'un des costumes espagnols dont il a fait l'acquisition parce qu'il en aime les couleurs

Il est en vogue au Second Empire que les femmes se déguisent en hommes

Le fait que Manet souligne davantage le pantalon crème et les bas blancs que le visage de son modèle peut paraître provocateur car à l'époque des crinolines le pantalon masculin est considéré comme particulièrement suggestif

Le modèle est la maîtresse de Félix Tournachon, plus connu sous le nom de Nadar, qui fut le portraitiste des grands hommes de son temps

Le thème de la femme couchée est un de ceux qui seront chers à Manet

La veste courte et noire se retrouve également dans Mademoiselle Victorine en costume d'espada

"Je fais ce que je vois et non ce qu'il plaît aux autres de voir, je fais ce qui est et non ce qui n'est pas"


10 - MADEMOISELLE VICTORINE EN COSTUME D'ESPADA - 1862


C'est en 1862 que Manet travaille pour la première fois avec le plus célèbre de ses modèles : Victorine Meurent, qui posera pour le Déjeuner sur l'herbe et pour Olympia

Elle n'a que 18 ans lorsque Manet la remarque dans la foule à l'extérieur du Palais de Justice et prend note de son adresse dans son carnet

Elle a déja travaillé comme modèle dans l'atelier de Thomas Couture

Réputée pour être bavarde et ergoteuse elle deviendra elle-même peintre et connaîtra quelque succès au Salon

La première visite de Manet en Espagne est de 1865 ce qui fait que ce tableau est une création d'atelier

Il fait poser Victorine dans l'un des costumes de sa collection et avec des souliers qui ne semblent guère appropriés pour la course de taureaux

La scène de corrida présentée en arrière-plan est tirée de l'une des eaux-fortes de Goya sur le sujet de la tauromachie

On a reproché à Manet d'avoir bafoué les règles de la perspective mais c'est sa connaissance des estampes japonaises qui l'a amené à traiter l'espace pictural d'une façon moins conventionnelle

Une radiographie de ce tableau a révélé qu'à l'origine Victorine tenait la cape à deux mains et que l'épée fut ajoutée plus tard

Théophile Gautier a publié en 1843 "Le voyage en espagne"

Il décrit la corrida "Ils sont là tous les deux, face à face, seuls; l'homme n'a pas d'armes pour se défendre; ils sont habillés comme pour un bal; des escarpins et des bas de soie; un morceau d'étoffe, une épée délicate, c'est tout"

A droite un picador à cheval engagé dans un corps à corps avec un taureau tandis qu'un groupe de participants regarde de près

Mise en scène bizarre : en levant son épée la femme semble prête à frapper le taureau mais son regard se tourne dans une direction opposée à l'action pour fixer le spectateur comme si rien ne se passait

Manet a utilisé une eau forte de Goya

Les contemporains ont été frappés par l'apparence d'inachevé et l'absence de perspective

La couleur trop lumineuse a été critiquée ainsi que l'absence de profondeur dans le visage

Zola écrira "Le peintre a été plus coloriste qu'il ne l'était d'habitude. La peinture est toujours blonde mais d'un blond fauve et resplendissant. Les taches compactes et énergiques se découpent sur le fond avec toutes les rudesses de la nature"

Le titre ne cache pas que le torero est en fait une française costumée en espagnole. Les taches roses, blanches et jaunes des détails du costume se juxtaposent au noir brillant caractéristique de sa palette

Disparité entre le personnage principal figé dans une pose un peu raide et l'arrière-plan

Cette incohérence montre l'intérêt exclusif du peintre pour l'étude et le rapprochement des masses colorées

11 - LE BALLET ESPAGNOL - 1862


Le 12 août 1862 la troupe de Mariano Camprubi du Théâtre royal de Madrid s'installe à l'Hippodrome. Le ballet espagnol inaugure une saison triomphale avec une nouvelle chorégraphie "La Flor de Sevilla"

La danseuse principale est Lola Melea dite Lola de Valence

Il invite d'abord le ballet à venir poser dans l'atelier d'Alfred Stevens suffisamment grand pour accueillir tous les danseurs. La composition laisse supposer que Manet a composé sa toile, groupe par groupe, avec une grande rigueur.

Les deux guitaristes indiquent la diagonale de la toile.

Le bouquet à terre marque le centre du tableau

Au banc au premier-plan à droite répond le groupe d'hommes de gauche à l'arrière-plan

La danseuse assise est Lola de Valence et le danseur est Mariano Camprubi

De cette peinture Manet fit d'abord une étude au lavis

Le Manet de cette époque qui rompait avec toutes les conventions n'était pas un brutal

"Il fallut reconnaître que ce nouveau maître, qu'on essayait d'ensevelir dans la boue d'un réalisme malfaisant était de l'aveu de tous ceux qui l'avaient vu un gentleman accompli, un mondain d'une distinction parfaite, d'abord aimable, de relations courtoises, et qui plus est, fort élégant de sa personne"


12 - LES PETITS CAVALIERS, EAU-FORTE - 1862


Lorsqu'il quitte l'atelier de Couture Manet se rend au Louvre pour perfectionner sa technique

Il copie particulièrement Velasquez qu'il admirait

Il a ainsi copié "Les petits cavaliers"

Manet attachait beaucoup d'importance à cette estampe

Manet dira de Velasquez : "Velasquez est le peintre des  peintres... Auprès de lui j'ai trouvé la réalisation de mon idéal en peinture"


13 - LOLA DE VALENCE - 1862


Lola Melea, dite Lola de Valence, est la danseuse principale de la troupe espagnole de Mariano Camprubi

Pendant le Second Empire les théâtres parisiens accueillent les troupes de danseurs et de musiciens de ce pays

Manet et ses amis connaissaient bien Lola que Baudelaire décrit comme "une beauté d'un caractère à la fois ténébreux et folâtre"

La description de Manet ne flatte ni la silhouette courtaude ni les jambes fortement musclées de la danseuse

Lola qu'il a invité à poser dans son atelier se présente ici au repos, les pieds dans la position dite "quatrième" de la danse classique

Cette oeuvre fait penser au portrait de Goya de la duchesse d'Albe (1797) dont il reprend la composition

Manet a introduit un décor de scène créant ainsi l'illusion que la danseuse est sur le point de se produire

Manet montre le coloris dans toute sa force

Baudelaire, peu loquace en fait de louanges de son ami Manet fit de ce tableau un éloge en vers :

"Entre tant de beautés que partout on peut voir

Je comprends bien, amis, que le désir balance;

Mais on voit scintiller en Lola de Valence

Le charme inattendu d'un bijou rose et noir"

Ces vers furent publiés dans les Epaves en 1866

Barbey d'Aurevilly dira de Lola qu'elle est "trop chinoise pour moi. Mais ce que j'aime plus que tous des tableaux, ce à quoi je vais du premier bond, c'est à l'homme artiste qui veut fouler aux pieds l'idée commune et faire passer, par-dessus, la dague au poing, l'initiative"

On retrouve Lola, lourdement assise, dans le Ballet Espagnol

Manet fit de son tableau une lithographie qui forme la couverture de la sérénade de Zacharie Astruc "Lola de Valence"

Après le Guittarrero, un espagnol de fantaisie, Manet veut peindre une espagnole actuelle

L'attention de l'artiste s'est concentrée sur le rendu de l'habit avec la mantille vaporeuse agrémentée d'une passementerie rouge, contrastant fortement avec la jupe à volants ornée de fleurs très colorées sur fond noir

Ces détails, au contraire des prescriptions de la peinture officielle ne sont pas rendus de façon minutieuse mais à peine esquissés par la juxtaposition de taches colorées

Les vers de Baudelaire s'accordent assez avec le portrait de la femme plutôt "masculine" représentée par Manet


14 - LA CHANTEUSE DES RUES - 1862


Le modèle est Victorine Meurent

Le tableau fut mal accueilli car l'image  ne correspond à aucun type identifiable

Les artistes de rue étaient des gens pauvres que les peintres devaient traiter d'une manière anecdotique et sentimentale

La chanteuse que présente Manet n'est pas habillée pauvrement et de plus elle est dénuée d'expression et d'émotion

La quasi absence de demi-teintes dénote chez l'artiste une influence de l'estampe japonaise

En 1862 Madame Desoye ouvrait une boutique où l'on trouvait des gravures japonaises. Manet compta parmi ses premiers clients

Zola écrira "Un pareil tableau a, en dehors du sujet, une austérité qui en agrandit le cadre; on y sent la recherche âpre de la vérité, le labeur consciencieux d'un homme qui veut avant tout dire franchement ce qu'il voit"

Zola apprécie le don de Manet de saisir avec simplicité une figure urbaine dans un univers qui lui est propre, indifférente aux gens et au décor qui l'entourent

Manet mêle ici plusieurs registres: l'élégance par la toilette et le petit chapeau, la déchéance par la guitare qui indique la chanteuse de rue et le fait de manger des cerises dans la rue en sortant d'une brasserie

Les sourcils renoncent à leur position horizontale pour venir se placer le long du nez, comme deux virgules d'ombre

Les vagabonds infortunés peuplaient les faubourgs malfamés proches de la gare Saint Lazare avant les démolitions d'Hausmann qui remplacera les entassements de baraques par les grands boulevards

La femme sort d'un cabaret

On aperçoit un garçon de café en tablier blanc

Le bas de la robe, légèrement relevé laisse deviner le mouvement de la jambe

Le visage violemment frappé par la lumière, la femme semble comme figée dans un instantané

Absence de demi-tons pour suggérer le clair obscur

Victorine Meurent fut le modèle fétiche de Manet de 1862 à 1875

Née en 1844 elle commence à travailler dans l'atelier de Thomas Couture

Pendant une courte période elle fut le modèle et la maîtresse du peintre Alfred Stevens

Sa fin sera marquée par l'alcool et les privations

Victorine apparaît illuminée par une lumière crue et impitoyable

Cette façon de peindre inaugurait la disparition progressive de l'étape entre ébauche préparatoire et tableau fini qui allait caractériser la technique impressionniste

Délicate petite nature morte de cerises dans une poche de papier

Harmonie de tons étouffés rehaussée par le jaune et le rouge de la nature morte et par le liséré noir qui borde la veste du personnage

Manet reçut les foudres de la critique car il avait présenté un sujet populaire en grandeur naturelle en lui donnant la stature d'un véritable portrait officiel

Zola observait que Manet traitait ses personnages à la façon des natures mortes en prêtant plus d'attention au jeu des formes et des couleurs qu'à l'âme de ses personnages

Le peintre est plus attiré par l'étude des qualités formelles de l'oeuvre que par ses implications sociales

Il est peut-être influencé par les personnages en deux dimensions des estampes japonaises transformées en silhouettes


15 - PORTRAIT DE VICTORINE MEURENT - 1862


Ce buste franc, largement peint, montre des plans étalés et simplifiés

Protestations de ceux qui aimaient le fini

Victorine allait poser pour lui pour le Déjeuner sur l'herbe, Olympia et le Chemin de fer

Elle fut le modèle de Manet jusqu'en 1875

En 1862 elle a 20 ans mais ses traits sont empreints de gravité

Manet l'avait rencontré au Palais de Justice où il aurait été frappé de son aspect original

Elle habitait dans le 5ème arrondissement où le peintre faisait tirer les épreuves de ses eaux-fortes

Elle jouait de la guitare et dessinait

Manet la montre attentive et un peu limitée

Elle a le bond roux que nous retrouverons dans le Déjeuner sur l'herbe et dans Olympia où son visage sera plus accentué dans la largeur

Elle porte autour du cou un ruban noir comme Manet en mettra très souvent à ses modèles

Sur le col quelques accents noirs qui sont un peu lourds et gauches et qu'il distribuera plus tard avec maîtrise

16 - GITANE A LA CIGARETTE - 1862


Après l'harmonie des blancs et des gris du portrait de Jeanne Duval, les couleurs vives du costume de la gitane

Pas de pose traditionnelle mais geste libre et naturel

Pas de décor de salon mais l'espace libre du plein air et des chevaux


17 - LA MUSIQUE AUX TUILERIES - 1862


Baudelaire avait écrit du Peintre de la vie moderne "La foule est son domaine, comme l'air celui de l'oiseau, comme l'eau celui du poisson. Sa passion et sa profession c'est d'épouser la foule. Pour le parfait flâneur, pour l'observateur passionné, c'est une immense jouissance que d'élire domicile dans le nombre, dans l'ondoyant, dans le fugitif et l'infini ... L'observateur est un prince qui jouit partout de son incognito"

Après le succès du chanteur espagnol en 1861 Manet fréquente assidûment le jardin des Tuileries où l'on pouvait assister à un concert deux fois par semaine

Napoléon III lui-même réunissait sa cour dans ce jardin

Une multitude de personnes élégamment vêtues, des femmes en tenue d'après-midi et des hommes coiffés de chapeaux haut-de-forme se donnaient rendez-vous dans les allées du jardin

Manet choisit de représenter les personnages du Paris contemporain

Au premier plan Manet lui-même

Derrière lui le peintre Albert de Balleroy

Au centre entre les deux hommes le visage de Champfleury

Assis à la droite de Manet, Astruc

Les deux femmes assises au premier plan : sans voilette à gauche, Madame Lejosne, chez qui Manet a fait la connaissance de Bazille et de Baudelaire; avec la voilette Madame Offenbach

Derrière les deux femmes trois hommes discutent : Baudelaire, Théophile Gautier et le baron Tyler, inspecteur des musées français et amateur de peintures espagnoles

Derrière Baudelaire Fantin-Latour

Debout au centre, Eugène Manet, son frère

Assis derrière lui contre l'arbre Jacques Offenbach

Debout de profil sur le côté droit, Charles Monginot, peintre ami de Manet

Le point de vue légèrement rehaussé et un peu éloigné donne beaucoup de relief aux personnages, soulignant l'aspect fortuit de la situation, en particulier au niveau des figures des derniers rangs

Le tableau exposé à la Galerie Martinet en 1863 déconcerte les visiteurs qui perçoivent les visages des personnages comme des caricatures

Le rendu des corps est approximatif, des "taches" disent certains

Le sujet ouvertement antiacadémique est considéré comme vulgaire et relégué au rang des illustrations des reportages

Zola "Si j'avais été là, j'aurais prié l'amateur de se mettre à une distance respectueuse. Il aurait alors vu que ces taches vivaient, que la foule parlait, et que cette toile était une des oeuvres caractéristiques de l'artiste, celle où il a le plus obéi à ses yeux et à son tempérament"

Pour l'époque le tableau a une importance comparable à celle que prendra en 1876 le Moulin de la Galette de Renoir

Proust "On regardait curieusement ce peintre élégamment vêtu qui disposait sa toile et peignait"

Baudelaire accompagnait souvent Manet aux Tuileries. C'était l'époque où Baudelaire se maquillait outrageusement. Manet "Il en a une couche, mais il a tant de génie sous cette couche"

Chaises en fer forgé au dessin moderne

S'il y a un orchestre il n'apparaît pas sur le tableau malgré le titre "La Musique aux Tuileries"

Le public ne vit dans cette oeuvre qu'une simple esquisse

Toile réalisée entièrement en atelier


18 - LE DEJEUNER SUR L'HERBE - 1863


Zola a écrit "Le Déjeuner sur l'herbe est la plus grande oeuvre de Manet, celle dans laquelle il a réalisé un rêve commun à tous les peintres : peindre des personnages en grandeur réelle dans un paysage"

Dans un bois, assise dans l'herbe, une femme complètement nue discute avec deux hommes tandis qu'une autre femme, à demi nue, se baigne dans un ruisseau un peu plus loin

Au premier plan un panier d'osier posé sur des vêtements féminins abandonnés en désordre sur l'herbe

L'oeuvre est une lecture moderne du Concert champêtre de Titien, alors attribué à Giogione, et que Manet avait copié au Louvre

Thomas Couture encourageait ses élèves à s'intéresser à la grande peinture vénitienne du 16ème siècle pour s'inspirer de ses effets coloristes

Malgré les références à la peinture traditionnelle l'opinion publique est dérangée par le cadre contemporain de la scène, sans fiction ni artifice

Le prétexte mythologique grâce auquel on pouvait exprimer la nudité sans crainte de choquer le public bien-pensant est ici nié sans hésitation

A côté de son modèle Victorine, le peintre avait fait poser ses deux frères en habits contemporains parisiens : veste sombre et pantalon clair

Il n'y a pas de dialogue entre les quatre personnages

Victorine, nue et sans aucune pudeur fixe le spectateur d'un air effronté

Une nouveauté dans la technique : le peintre ne prépare pas la toile avec un fond sombre

L'absence de demi-tons pour rendre les passages lumière-ombre crée un effet d'immédiateté

Dans le sillage de Manet de nombreux artistes réalisent des oeuvres sur le même thème

Le 23 avril 1863, le Moniteur publiait : "Sa majesté voulant laisser le public juge de la légitimé de ces réclamations a décidé que les oeuvres d'art refusées seraient exposées dans une partie du Palais de l'lndustrie"

Ce Salon attira plus de 7000 personnes le premier jour

"Manet trouait le mur avec son Déjeuner sur l'herbe"

Il devient le peintre refusé par excellence

Le personnage barbu est le frère de Suzanne, Ferdinand Leenhoff

Eugène et Gustave, les deux frères de Manet posent tour à tour

Manet à Argenteuil, regardant les bateaux sur la Seine et les femmes sortant de l'eau avait dit "J'ai copié les femmes de Giorgione, les femmes avec les musiciens ... Je veux refaire cela et le refaire dans la transparence de l'atmosphère avec des personnages comme ceux que nous voyons là-bas. On va m'éreinter. On dira que je m'inspire des italiens après m'être inspiré des espagnols"

Dans la foule, Zola, venu avec son ami Cézanne

Le 28 octobre 1863, Manet épouse Suzanne

Baudelaire écrit "Manet part ce soir pour la Hollande d'où il ramènera "sa femme". Il a cependant quelques excuses car il paraîtrait que sa femme est belle, très bonne et très artiste. Tant de trésors en une seule femelle, n'est-ce-pas monstrueux ?"

Léon âgé de onze ans est installé avec les jeunes mariés

L'Arcadie champêtre de Giorgione montre deux hommes absorbés dans leur musique, non conscients de la présence de deux femmes nues. Dans le tableau de Manet les deux hommes  ne semblent prêter aucune attention à leur compagne qui tourne vers le spectateur un regard provocant

La corbeille de fruits renversée est le symbole classique de la luxure et de la décadence

La baigneuse en chemise du second plan arrondit le tableau, le sauve de la raideur

Réussite dans l'accord des personnages avec le paysage

Composition inspirée par le Jugement de Paris de Raphël

L'absence de définition des formes et le traitement par la seule couleur avait valeur d'insolences

19 - OLYMPIA - 1863


Ce tableau a provoqué le scandale

Manet présente ce tableau au Salon de 1865

L'oeuvre provoque une réaction sans précédent

Etendue sur un côté la jeune femme ne se montre pas complètement nue : elle porte un bijou, un ruban autour du cou qui la fait paraître plus nue encore, une paire de mules de soie prêtes à tomber

Une domestique lui apporte un bouquet de fleurs enveloppé dans du papier, présent peut-être d'un client qui attend derrière les rideaux

La femme fixe le spectateur d'un regard de défi, éclairant de son corps cette chambre de plaisir où le lit semble suspendu

Olympia apparaît comme la représentation d'une prostituée de son temps qui s'affiche sans aucune pudeur et agite le sentiment de culpabilité d'une société bien pensante

Deux ans plus tôt la Naissance de Venus de Cabanel avait connu un succès unanime et l'achat immédiat par Napoléon III : le caractère lascif du tableau ne scandalisait pas en raison de l'idéalisation du sujet

Manet présente une jeune femme dont la nudité explicite et réaliste sonne comme une invitation alléchante au péché

Deux sources : La Venus d'Urbino de Titien et la Maja desnuda de Goya

En 1857 Manet s'était rendu à Florence qu'il avait déja visité en 1854. La Venus d'Urbino avait captivé son attention. Manet avait réalisé une copie du tableau

L'oeuvre du Titien représente une femme douce et pudique dans l'intimité d'un milieu domestique; Olympia, elle, trône dans une maison de tolérance

Manet remplace les servantes du 16ème siècle par une domestique de couleur dont le visage se perd sur le fond sombre

Au nu de Goya Manet aurait emprunté la pureté du sujet mais Olympia semble distante et glaciale

La présence du chat noir et de la servante de couleur sont des références aux Fleurs du Mal de Baudelaire dont Manet apprécie les atmosphères sensuelles

Le scandale est accru par le fait que Manet présente le nu au Salon en même temps que le Christ insulté

La réputation de Manet est définitivement détruite

Personne ne remarque la déclinaison des blancs et les contrastes ton sur ton ni la modernité du bouquet de fleurs, véritable explosion de couleurs

Le chat noir vaudra à Manet le surnom de "peintre des chats"

Zola écrit à Manet "Parce que tu ne suis pas le large courant de la médiocrité, les sots te lapideront en te traitant de fou"

Manet conservera le tableau dans son atelier jusqu'à sa mort

En 1890 après une souscription publique organisée par Claude Monet l'oeuvre sera accueillie au Musée du Luxembourg

En 1907 Olympia entrera au Louvre, imposée par Clémenceau, ce qui provoquera une violente réaction

Victorine est le modèle d'Olympia

Les critiques "... Son corps a la teinte livide d'un cadavre exposé à la morgue, ses lignes sont dessinées au charbon"

"Elle a le grave défaut de ressembler à de nombreuses jeunes femmes que vous connaissez. Et puis quelle étrange manie de peindre différemment des autres ! Si au moins il avait emprunté à Cabanel la houpette à poudrer ...."

Olympia était le surnom des "horizontales" parisiennes

La présence de la domestique noire évoque les plaisirs d'un harem

Cette expression de liberté sexuelle va à l'encontre de la morale prônée par un Second empire qui idéalise la famille tout en se montrant indulgent à l'égard des maisons closes que fréquentaient les maris bourgeois

L'image n'est pas celle d'une femme de petite condition forcée d'arrondir ses fins de mois

Olympia n'est pas peinte comme un objet mais comme un être humain qui dans sa profession dicte ses conditions

Au Salon de 1865 il fallut deux gardiens pour préserver la peinture des coups de canne

Une des plus belles symphonies en blanc de toute la peinture

Ecrit dans le Temps "Cette malheureuse petit femme enferme des formes déplaisantes dans la rigidité d'un contour qu'on dirait tracé avec de la suie"

Manet à Baudelaire "Les injures pleuvent sur moi comme grêle"

Baudelaire "Croyez-vous que vous soyez le premier homme placé dans ce cas ? Avez-vous plus de génie que Chateaubriand et que Wagner ? On s'est bien moqué d'eux cependant. Ils n'en sont pas morts !"


20 - LE TORERO MORT - 1864


Tableau présenté au Salon de 1864 avec le Christ mort et les anges

Le tableau s'inspire d'oeuvres de maîtres et traite d'un sujet que Manet n'a jamais vu

Composition en noir et blanc

Baudelaire appela à reconnaître la force d'une oeuvre qui oblige à regarder la mort avec indifférence, détachement et absence d'émotion humaine

Manet fut nommé "don Manet y Courbetos Y Zurbaran de las Batignolas"

Cette toile faisait primitivement partie d'une grande composition "Episode d'un combat de taureaux"

Il arriva plusieurs fois à Manet de couper ses toiles

Manet est maître coloriste : nuance vieux rose de la mulata, soyeux des noirs

Affinités avec un tableau "Le soldat mort" de Velasquez

En isolant la figure du torero mort le peintre accroit la monumentalité du sujet

Il fait ressortir avec mesure et délicatesse le caractère universel de la mort

Noir brillant caractéristique de Manet

Apparence soyeuse des étoffes claires obtenue par le travail d'une touche fluide


21 - LE CHRIST MORT ET LES ANGES - 1864


Ce tableau présenté au Salon de 1864 est une interprétation du thème de la Résurrection du Christ

Intensité dramatique renforcée par la position frontale qui met en évidence les plaies de la Crucifixion

La lumière impitoyable révèle un Christ cadavérique

En 1863 Renan a publié la Vie de Jésus, qui propose une lecture laïque et historique de la vie du Christ

Le journal "La vie parisienne" invite ses lecteurs à aller voir "le pauvre mineur extrait de la mine de charbon peint par M. Renan"

Représentation réaliste de la mort mais lumière irréelle et frontale, presque divine, renforcée par la présence des anges

Courbet a attaqué l'oeuvre à propos de la couleur des ailes des anges ce qui a suscité des moqueries

"Le Christ mort" d'Andrea del Sarto a pu inspirer Manet

Dimensions importantes de l'oeuvre (179*150)

Le blanc sale du drap s'oppose aux chairs ombrées du corps ce qui fut considéré comme une souillure

Le réalisme du tableau apparaissait comme une caricature du sacré

Courbet incitait les peintres à représente exclusivement des sujets visibles. Il considérait que l'abstrait et l'imaginaire sortent du domaine de la peinture.

Conscient des railleries qu'allait susciter le tableau, Baudelaire lui écrit "Il paraît que décidément le coup de lance a été porté à droite. Il faudra donc que vous alliez changer la blessure de place avant l'ouverture. Vérifiez donc la chose dans les quatre évangiles"

On reproche à l'artiste son manque de spiritualité et son incapacité à créer l'illusion de la forme par le modelé

Courbet "Un objet abstrait, non visible, non existant, n'est pas du domaine de la peinture"

Courbet se serait moqué de Manet et de sa façon de peindre les anges "Tu as vu des anges, toi, pour savoir s'ils ont un cul ?"

Manet a dit un jour à son ami Proust "Il est une chose que j'ait toujours eu l'ambition de faire. Je voudrais peindre un Christ en croix. Le Christ en croix, quel symbole ! On pourra toujours se fouiller jusqu'à la fin des siècles, on ne trouvera rien de semblable"

L'oeuvre est peinte dans une tonalité sourde aux noirs et blancs funèbres, à l'espagnole

Zola " pour moi c'est un cadavre peint en pleine lumière, avec franchise et vigueur, et même j'aime les anges du fond, ces enfants aux grandes ailes"

Théophile Gautier reprocha au Christ de Manet de ne pas "avoir connu jamais l'usage des ablutions"

Cette aquarelle serait le dessin préparatoire à une eau-forte

Manet la réalisa à l'inverse du tableau pour obtenir une reproduction exacte de ce tableau

La gouache fait ressortir les ailes bleues des anges


22 - VASE DE PIVOINES SUR PIEDOUCHE - 1864


Manet peindra des fleurs durant deux périodes : en 1864-1865 et vers 1882 quand il est malade et près de sa fin

Dans l'art hollandais les natures mortes aux fleurs sont une allégorie de la vanité et expriment le caractère éphémère de la beauté

Le bouquet de pivoines comprend des  fleurs écloses, une fleur en bouton à droite et une défraîchie dont quelques pétales se sont détachés

Son talent à peindre des fleurs fut le seul morceau d'Olympia qui lui valut des éloges

Les pivoines étaient un luxe en vogue durant le second empire

Manet en cultivait dans son jardin de Gennevilliers

Eclat des couleurs, ampleur, simplicité et franchise de la touche

Petit vase de céramique décorée, typique de l'époque Napoléon III

Fleurs lumineuses au milieu des silhouettes vert foncé des feuilles

Arrière-plan sobre et homogène dans sa neutralité

Les fleurs de Manet ont de grandes corolles et des pétales charnus qui remplissent toute la surface peinte malgré leur petit nombre

Van Gogh fut fasciné  par ce tableau dont il appréciait le raffinement des contrastes chromatiques et l'empâtement de la touche

Les fleurs isolées et défaites sur la table suggèrent la beauté du caractère inattendu et accidentel, cher aux japonais, que nous retrouvons dans de nombreuses oeuvres de Manet

Touches larges et pâteuses pour privilégier la simplicité du rendu pictural

Les pivoines de Manet manifestent un caractère théâtral et une beauté qui semble annoncer une décomposition imminente


23 - LE COMBAT DU "KEARSAGE" ET DE "L'ALBAMA" - 1864


Cette oeuvre est la première que Manet exécute d'après un évènement contemporain : un fait de Guerre de Sécession américaine

Le 19 juin 1864, une corvette de la marine fédérale américaine, le Kearsage, attaque et coule un navire des confédérés sudistes, l'Alabama, au large de Cherbourg

Construit à Liverpool, ce dernier avait été camouflé en navire de commerce

Son commandant, Raphaël Semmes, le conduisit aux Açores où on le chargea d'armes et de charbon. Il navigua pendant 22 mois sous pavillon sudiste. Semmes se vantait d'avoir coulé 65 bateaux nordistes

Pour être remis en état Semmes demanda et obtint l'autorisation de mouiller à Cherbourg

Le Kearsage se présente aussi à l'entrée du port et la bataille est inévitable à 10 km des côtes sous le regard  de milliers de spectateurs

Manet n'assiste pas à l'évènement et s'inspira des comptes rendus qu'en fit la presse

A 18 ans Manet a passé presque une année sur un bateau et l'idée de peindre un sujet d'actualité en relation avec la mer l'enthousiasme

Républicain Manet aurait pu soutenir la cause sudiste mais il peint l'évènement avec objectivité et précision

Au premier plan un voilier français va porter secours aux hommes tombés à la mer

A droite un petit vapeur achemine les rescapés sudistes vers l'Angleterre

Le combat naval se déroule sur la ligne d'horizon

Le fait que la mer occupe les trois quarts de la toile nous donne l'impression d'assister à la scène depuis un bateau et non de la côte

Un des rares Manet entièrement traité entre le bleu et le vert

Un des tableaux qui du vivant du peintre recueillit le plus de louanges

Lutte entre l'eau et le ciel, les vagues et les fuméess

Barbey d'Aurevilly écrira "Je suis de la mer. J'ai été élevé dans l'écume de la mer... et cette mer de M. Manet m'a pris sur ses vagues... M. Manet aurait pu peindre la mer toute seule. Il aurait pu supprimer ses vaisseaux et son tableau n'en eut été que plus grand"

Pendant plusieurs semaines la presse française consacre ses premières pages à l'évènement

Le genre des batailles navales liées au patriotisme est acquis à la grande peinture européenne; le château de Versailles en offre beaucoup d'exemples

La toile de Manet se rapproche de la photographie documentaire moderne : il n'y a pas de centre de l'action et l'image de la bataille se concentre sur plusieurs incidents

La perspective à vol d'oiseau et la conception spatiale aplatie est empruntée aux estampes japonaises qui commencent à circuler en grand nombre entre Londres et Paris

La Guerre de Sécession coûtera la vie de 617.000 hommes

Il peint avec minutie le bateau français qui arbore le pavillon blanc réglementaire pour porter secours aux marins sudistes

Manet a passé une année à bord du "Havre et Guadeloupe"

Un critique écrira "Sans se préoccuper des lois vulgaires et bourgeoises de la perspective, M. Manet a eu l'ingénieuse idée de nous donner une coupe verticale de l'océan"



24 - LE KEARSAGE A BOULOGNE - 1864


En juillet 1864 en allant à Boulogne comme tous les étés depuis son enfance il retrouve le bateau nordiste qu'il vient de peindre derrière les nuages de la cannonnade

Tout se passe comme si L'Alabama coulé avait laissé apparaître son vainqueur

Le bateau est à l'ancre, tranquille

La mer occupe tout l'espace sauf le bateau de pêche au premier plan dont Manet "japonise" la voilure

Sentant que le Kearsage perdait un peu de sa force par l'addition de cette grosse voile au premier plan il ajoute deux petites voiles blanches qui accentuent par contraste le noir du steamer, donnant l'impression de deux papillons à l'assaut d'un gros insecte


25 - COURSES A LONGCHAMP - 1864


L'inauguration de l'hippodrome de Longchamp remonte à 1857

On peut penser que la foule élégante des spectateurs ait attiré Manet en cet endroit

Alors que ses sujets sont habituellement statiques il a choisi de peindre le moment fort d'une course de chevaux

Manet place les spectateurs que nous sommes au milieu de la piste, face aux chevaux qui foncent droit sur nous

Les artistes figuraient les chevaux en "galop volant", c'est à dire les quatre pattes détachées du sol en même temps

Manet nous donne une description réaliste de l'évènement en jouant sur le flou des formes et en dissimulant les pattes des chevaux derrière la poussière qu'ils soulèvent

Manet parvient à évoquer le fulgurant passage des chevaux montés sur la piste en fixant "l'instantané"

Toile grande par l'évocation mais petite par le format (43*83)

Les jockeys se lancent sur nous comme s'ils voulaient nous renverser

Manet a coupé son tableau en réduisant du même coup la profondeur

Il crée ainsi cet effet "d'explosion" accentué par la poussière que souléve les chevaux à l'instant précis qui précède le franchissement de la ligne d'arrivée

En choisissant de prolonger la barrière jusqu'au bord du tableau qui coupe la foule des assistants, Manet donne au spectateur l'impression de participer directement à l'évènement, installé au bord de la piste, derrière la dame à l'ombrelle


26 - HUITRES, ANGUILLE ET ROUGET - 1864


Le peintre a su rendre le ventre et les écailles argentées du poisson à la tête rougie qui est bien un rouget

A côté le grondin donne une note d'un rouge plus éclatant

Les huitres ajoutent une note de fraîcheur

Le citron est le fruit du peintre Manet

Son éclat relève les gris et les noirs

Sur la nappe on retrouve les nuances refroidies que nous voyons dans Olympia


27 - FRUITS SUR UNE TABLE - 1864


Retour en vogue de la nature morte

Le Louvre a acquis des oeuvres de Chardin vers 1850

Monet dénonce les pratiques académiques du 19ème siècle qui fragmentaient l'art en catégories

Manet suit la tradition en disposant les objets parallèlement au plan de la peinture et en accordant une attention particulière aux contrastes entre le fond sombre et la nappe blanche

Le couteau montre la perspective

Grâce à leurs dimensions moyennes et à leur caractère libre et décoratif les natures mortes de fruits étaient à la mode au Second Empire

Elles se prêtaient à l'ornement des résidences de la haute bourgeoisie et de la  noblesse

Les toiles de Manet se distinguaient par le choix de matériaux plus sobres par rapport aux porcelaines précieuses des toiles présentées par les artistes du Salon

Ce qui intéressait Manet c'était l'étude des masses colorées, les jeux de lumière et la construction des objets par le moyen de la couleur

Manet disait à son élève Eva Gonzales "Et le raisin ! Veut-on compter les grains ? certainement pas. Ce qui frappe c'est le ton d'ambre clair ... c'est la luminosité de la nappe... "

Le fond sombre est traité de façon sommaire, contrastant avec la tache blanche de la nappe qui occupe toute la surface de la table et laisse l'impression qu'elle se prolonge au-delà du cadre du tableau

Le jeu des plis est animé par une lumière mobile qui fait naître de petits angle d'ombre

La représentation est harmonisée sur différents tons de vert

Pour remplir le vide sur la droite, il dispose deux objets lumineux et riches en reflets : un verre et un couteau en argent


28 - BRANCHE DE PIVOINES BLANCHES ET SECATEUR - 1864


Manet préférait souvent intégrer ses natures mortes dans des compositions de plus vaste ampleur, tout en leur accordant de l'importance, comme pour le bouquet de l'Olympia ou les restes de pique-nique dans Le Déjeuner sur l'herbe

Sur le fond foncé les deux pivoines blanches et très lumineuses acquièrent un fort relief

Manet ne peint pas les corolles de façon naturaliste au moyen de touches denses; il rend l'idée de masse vaporeuse et moelleuse de fleurs

Des ombres délicates contribuent à créer l'impression de volume


29 - JESUS INSULTE PAR LES SOLDATS - 1865


Ignorant les éreintements subis par le Christ mort et les anges exposé en 1864, Manet présente au Salon de 1865 une nouvelle toile à sujet religieux où elle fut acceptée avec Olympia

L'oeuvre fut stigmatisée pour sa "vulgarité inconcevable", son réalisme excessif et son absence totale d'idéalisation

Le Christ apparaissait humain, mortel et impuissant face à ceux qui le tourmentaient

Exposer ce tableau à côté de celui d'une prostituée valut à Manet la réputation d'artiste "ignoble"

Le Christ a demi-nu attaché au centre de la composition est entouré de trois sbires

Manet a éliminé tous les détails d'ambiance pour se consacrer sur les personnages implantés sur deux diagonales croisées

Description synthétique des détails de l'habillement :

- chemise aux poignets retroussés du bourreau agenouillé

- pelisse de l'homme debout à droite

- casque métallique du vieux soldat à gauche

C'est l'homme à la pelisse et non Jésus qui regarde le spectateur

Ce tableau est le dernier de Manet sur le thème sacré

Scandale car la rumeur courait que Manet avait pris pour modèle un forgeron nommé Janvier

Un critique a écrit que "les pieds du Christ, rouges et gonflés, montraient clairement que le modèle portait de grosses chaussures trop petites avant la séance de pose"

Cadrage à l'italienne

Chromatisme hispanisant

Accessoires théâtraux

Personnages contemporains


30- ANGELINA - 1865


En 1865, exténué par le scandale d'Olympia Manet décide de faire un grand voyage en Espagne

Depuis son plus jeune âge il admirait Velasquez et Goya

Il avait souvent représenté des scènes liées à la corrida sans jamais y avoir assisté ou des personnages empruntés au folklore : le Guitarrero, Lola de Valence

La rencontre avec la réalité espagnole allait le décevoir. Il se rendit compte qu'il avait idéalisé le pays de ses héros au détriment de la France

Il allait désormais abandonner l'Espagne comme répertoire de motifs et se consacrer à la représentation de la vie parisienne moderne

La jeune fille sans beauté, parée de la mantille noire traditionnelle est figurée à mi-buste, derrière un garde-fou en fer forgé, préfiguration de la mise en scène développée plus tard dans le tableau Le Balcon

Affligée d'un léger strabisme elle regarde en dehors du tableau et tient dans sa main droite un grand éventail noir

Le jaune du rideau de droite éclaire et réchauffe les tonalité marrons

31 - LA FEMME AU PERROQUET - 1866


La critique accuse Manet de peindre de simples esquisses et non des "tableaux finis"

Scandale encore car peindre une femme en peignoir signifiait la révéler dans son intimité quotidienne sans aucune idéalisation

Le perroquet est considéré comme une référence explicite à l'organe sexuel masculin

C'est une femme de 1866 qui est représentée; chaque élément la situe dans le temps :

- sa coiffure

- le médaillon qu'elle porte au cou

- le modèle de la robe

Présence masculine suggérée par :

- le bouquet de violettes tenu près du visage

- le monocle (élément masculin) attaché au cou par une fine chaînette

Ni meuble, ni porte, ni fenêtre, ni sol : en dehors de la femme il n'y a que le vide

La lumière extérieure est placée face à la toile

Cette élimination de la lumière intérieure au tableau sera reprise par Manet

Le modèle est Victorine Meurent qui a les cheveux pris dans le même ruban bleu que dans son portrait en 1862

Théophile Gautier "Sur des traits communs et mal dessinés s'étend une couleur terreuse ... D'un rose fauve et louche la robe ne laisse pas deviner le corps qu'elle recouvre"

Un critique écrit "Vous connaissez M. Manet, l'homme au fameux chat noir, un des metteurs en pratique les plus intrépides de l'axiome : le beau c'est le laid"

Charme particulier qui se dégage de la touche, de la couleur aux modulations soyeuses

"Je trouve nettement caractérisée dans ce tableau cette élégance native qu'Edouard Manet a au fond de lui"

Ce tableau est une réplique à un tableau de Courbet.

Manet était en rivalité avec Monet, tous deux ayant la stature de chefs d'école mais étant très différents sur le plan humain

Simplicité de la composition en contrepoint du raffinement des harmonies colorées

Contraste entre la grande surface rose de l'ample robe et le gris perle du fond repris dans le plumage de l'oiseau

Manet est le maître des couleurs ton sur ton

La diversité des nuances est modelée avec habileté

Contraste des poignets blancs, du collier noir et du ruban dans les cheveux

Note colorée du jaune à la base du perchoir, reflété dans le verre du gobelet du perroquet et doublé par le citron ouvert et partiellement pelé


32 - L'ACTEUR TRAGIQUE - 1866


C'est le portrait de Rouvière dans le rôle d'Hamlet

L'acteur et peintre Philippe Rouvière avait acquis sa notoriété au théâtre de Saint Germain où il tenait le rôle d'Hamlet depuis 1846

Au nombre de ses admirateurs se trouvaient Baudelaire et Gautier

La dernière représentation de Rouvière eut lieu en 1865, après quoi son état de santé ne lui permit plus de poursuivre sa carrière

Ses amis organisèrent pour lui des spectacles et une vente de tableaux

Malade, il mourut en octobre 1865 avant l'achèvement de la toile

Manet s'est inspiré de Velasquez dont il avait vu les tableaux lors d'un voyage en Espagne en août 1865, reprenant la tradition qui consiste à représenter un acteur dans son rôle fétiche sur un fond neutre

"Le fond disparaît : c'est l'air qui entoure le bonhomme tout habillé de noir et vivant"

Rouvière qui était aussi peintre avait en 1863 exposé un autoportrait dans le rôle d'Hamlet


33 - COMBAT DE TAUREAUX - 1866


Manet est enthousiasmé par l'Espagne où il se rend en août 1865

Des combats de taureaux il écrit à Baudelaire "Un des plus beaux, plus curieux et plus terribles spectacles que l'on puisse voir ... J'espère à mon retour mettre sur la toile l'aspect brillant, papillotant et en même temps dramatique de la corrida à laquelle j'ai assisté"

A Astruc il précise son désir de "mettre sur la toile l'aspect rapide de cet assemblage du monde tout bariolé, sans oublier la partie dramatique, picador et cheval renversés et labourés par les cornes du taureau"

De Goya il dit "Ce que j'ai vu de lui ne m'a pas plu énormément"

Velasquez l'enchante "J'ai trouvé chez lui la réalisation de mon idéal en peinture, la vue des chefs d'oeuvres m'a donné grand espoir et pleine confiance"

A Madrid il fait la connaissance d'un jeune français de retour du Portugal : Théodore Duret. Une amitié se  noue entre les deux hommes

Manet ne se fait pas à la cuisine espagnole et il rentrera en France très fatigué

Ce tableau a été peint à Paris en atelier à partir de croquis exécutés sur place

Nous voyons une bonne partie de l'arène où se joue l'action dramatique de la course, ainsi que les gradins inondés de soleil et remplis d'une foule colorée

Le soleil irradie de l'arène où le taureau noir fait tache ainsi que les toques  noires des toreros

Dans les gradins et les loges la foule est brillamment esquissée

La muleta, la blessure du cheval et la barrière composent l'atmosphère picturale de cette corrida dont les grandes ombres s'allongent sur l'arène

Manet a su évoquer la cruauté du combat

On sent que la mort rôde sous le ciel bleu


34 - LE FIFRE - 1866


Pour la première fois la peinture de Manet adopte la clarté dans tout son champ. Le Fifre présenté de face, en pleine lumière, se découpe lui-même sur un fond lumineux

C'est en disciple de Fouquet que Manet se pose dans cette peinture vive et fraîche

Mais la simplicité qui nous enchante aujourd'hui choquait l'oeil des traditionnalistes. On accusait Manet de peindre en "image d'Epinal" et d'avoir des ombres charbonneuses.

Ici il a simplifié en modelant dans le clair

Seuls les doigts montrent quelques trous d'ombre

Manet coule la couleur par larges  plans comme le faisait Raphaël dans ses portraits

C'est le commandant Lejosne qui recevait des écrivains et des artistes et qui conduisit le jeune enfant militaire de la garde impériale dans l'atelier de Manet

Le jury du Salon de 1866 refuse le tableau

Baudelaire disait du jury "Il ne sera jamais qu'une horloge qui retarde"

Zola écrit "Je ne crois pas qu'il soit possible d'obtenir un effet plus puissant avec des moyens moins compliqués ... Il rend dans leur vigueur les différents objets se détachant les uns des autres. Tous son être le porte à voir par taches, par morceaux simples et énergiques"

Les détracteurs disaient "C'est un valet de carreau placardé sur une porte"

Il fut aussi comparé à une enseigne de "costumier"

Zola "Sur un fond gris et lumineux, se détache le jeune musicien, en petite tenue, pantalon rouge et bonnet de police. Il souffle dans son instrument, se présentant de face"

Le sujet est présenté sans attendrissement et sans détail superflu

Jamais Manet n'a montré autant d'audace dans la simplification de sa technique

Influence de l'estampe japonaise, très en vogue à l'époque, dans l'utilisation de la couleur en larges aplats et des bandes noires du pantalon ainsi que dans l'absence de profondeur

Une ombre sommaire suffit à camper le personnage sur le sol

Comme le graveur japonais Utamaro, il procède dans la silhouette du Fifre par grands aplats  noirs, rouges et blanc

Il renonce au fond conventionnel "brun d'atelier" ou "jus de chique" pour un fond gris monochrome

Situé en pleine lumière, le Fifre est la négation de l'ombre, indiquée toutefois sommairement sous les pieds et sous les doigts de l'enfant

Le commandant Lejosne était l'oncle de Bazille

Zola "Je retrouve dans ce tableau un homme qui a la curiosité du vrai et qui tire de lui un monde qui vit une vie particulière et puissante"

Manet élevait à la dignité d'un portrait officiel le sujet d'une scène de genre qu'il transformait du même coup en une icône de la modernité


35 - PORTRAIT DE ZACHARIE ASTRUC - 1866


Zacharie Astruc était sculpteur, peintre, compositeur à ses heures, poète et journaliste

Toulousain il était arrivé à Paris en 1865 et fit la connaissance de Manet grâce à Fantin-Latour

Il sera pour Manet l'ami de jeunesse qui sans grand talent personnel mais d'un charme incontestable reconnaît le talent d'autrui et brûle de se rendre utile auprès des artistes dont il pressent le génie

Il est, bien avant Baudelaire et Zola, le premier défenseur de Manet

Il préparera, étape par étape, le voyage de Manet en Espagne

Au premier plan sur un tapis jeté sur une table, quelques livres, ouvrages anciens ou contemporains, ainsi qu'un album japonais

Cela indique l'occupation principale d'Astruc à cette époque : l'écriture alors qu'il allait devenir un sculpteur honorable

On note le citron à demi pelé, tache jaune qui se découpe sur le dos sombre des livres, leitmotiv qui vient de la peinture hollandaise

Le visage fini contraste avec la main qui tombe, négligemment esquissée

La femme d'Astruc refusa de voir ce tableau dans son salon

Portrait construit sur une opposition entre une zone claire et une zone sombre

La main droite est passée dans un élégant gilet noir

L'étoffe de la table reprend la tonalité de la ceinture d'Astruc

Sur la table, en bonne place avec sa couverture noire, un album d'estampes japonaises

La forme ronde et la couleur chaude du citron égaient une composition assez sobre

A gauche un grand tableau appuyé sur le bord de la table et sur lequel figurerait la femme de son ami vaquant à quelque travail domestique

Ce tableau évoque l'arrière plan de la Venus d'Urbino de Titien qui avait été l'un des modèles d'Olympia

Astruc avait suivi de près la genèse du tableau d'Olympia


36 - L'EXPOSITON UNIVERSELLE - 1867


Grand panorama de Paris embrassé depuis le Trocadero, endroit prisé par les fabricants d'images-souvenirs

C'est la seconde exposition universelle qui se tient à Paris (la première en 1855 au Palais de l'Industrie)

Cette année Manet décide de ne soumettre aucune oeuvre au jury du Salon et d'organiser sa propre exposition dans un baraquement de bois construit à ses frais, place de l'Alma, à proximité de l'exposition dont il espère que la proximité lui amènera un grand nombre de visiteurs

Plusieurs figures appartenant à des milieux sociaux différents : un ouvrier, deux femmes du peuple, une jeune fille et sa compagne, un couple de touristes, une cavalière, deux gamins des rues, deux dandys, trois soldats de la garde impériale et son fils adoptif Leon Leenhoff, promenant un chien

En haut à droite le célèbre aérostat de son ami le photographe Nadar

L'exposition est inaugurée le 1er avril dans une ambiance d'inquiétude politique :

- l'unification de l'Allemagne

- les nouvelles alarmantes du Mexique

L'exposition réunit 52.000 exposants et sera une grande fête pendant six mois

Dans la galerie des machines on découvre un nouveau métal: l'aluminium

La Prusse expose un énorme canon Krupp qui allait tonner aux portes de Paris trois ans plus tard

Dans la nuit du 29 au 30 juin la dépêche transmise par le câble transatlantique arrive de Washington à Vienne : l'empereur du Mexique, Maximilien, a été fusillé

L'importance d'un important pavillon du Japon offre à deux nombreux artistes l'occasion d'actualiser leur propre langage en s'ouvrant à l'exemple de l'Orient

La démarche picturale dynamique de Manet semble participer à l'enthousiasme du moment

Rien n'est figé dans ce tableau

Chaque élément semble célébrer l'animation de ces jours de mondanité

Tout bouge selon un mouvement circulaire autour du cheval

Paysage dominé par les tours, emblème de la lumière électrique


37 - EXECUTION DE MAXIMILIEN - 1867


Manet s'inspire de Goya

Dans une précédente version Manet avait peint des costumes mexicains conformes à la représentation de l'époque

Il a retravaillé son sujet et changé les sombreros en képis et montré une armée régulière dont l'uniforme évoque celui des troupes françaises

Cette assimilation sera ressentie comme une insinuation de la responsabilité de Napoleon III dans la mort de Maximilien

Les républicains mexicains commandés par Benito Juarez étaient entrés à Mexico le 10 juin 1861

Il avait été reconnu par les puissances européennes et la France contre la promesse que leurs intérêts ne seraient pas lésés

Cet accord mécontenta les monarchistes mexicains. Un comité d'émigrés en France demanda l'aide de Napoléon III qui avait exprimé sa sympathie sans intervenir

L'impératrice Eugénie, attachée à ses origines espagnoles rêvait d'imposer à ce pays révolté contre l'Espagne un monarque capable de rétablir la suprématie européenne

Juarez dénonça les accords passés avec les puissances européennes

La France, l'Angleterre et l'Espagne décidèrent une opération commune

L'armée française parvint à Mexico en juin 1863

Les émigrés mexicains à Paris offrirent la couronne à l'archiduc Maximilien, frère de l'empereur d'Autrice

L'expédition fut un désastre militaire

Napoléon III dut se résoudre à retirer ses troupes sous l'influence des Etats-Unis qui venaient de terminer la Guerre de Sécession (doctrine Monroe = le continent américain aux américains)

Sans armée véritable l'empereur Maximilien se retrouvait seul

Le 19 juin 1867 Maximilien est exécuté avec deux de ses généraux

Manet s'inspire du Tres de Mayo de Goya qui avait peint les massacres causés par l'invasion des troupes de Napoléon Ier de 1808 à 1814

Le tableau de Manet fut refusé au Salon car il défiait l'Empereur

Le tableau resta pratiquement invisible

Le premier plan est occupé par les soldats du peloton d'exécution qui, tout en tournant le dos aux spectateurs, sont assez inclinés pour montrer des profils qui ne révèlent aucune tension émotive

A l'extrême droite le sous-officier chargé de donner le coup de grâce semble lui aussi indifférent

Les visages de Maximilien et de ses généraux semblent se dissoudre entre la poudre et la fumée des coups de feu

Tous les personnages sont comprimés dans un espace limité pour réduire le champ de l'action

Bizarrement des badauds sont accoudés au mur

Le peinte a fait oublier la base de la muraille en laissant apparaître cette base le moins possible entre les pantalons noirs des condamnés et les soldats

Le commandant Lejosne fournit à Manet quelques soldats pour modèle

Par l'utilisation de gris et de noirs Manet présente l'évènement avec un certain détachement et peu d'émotion


38 - PORTRAIT D'EMILE ZOLA - 1868


Zola fut l'un des défenseurs les plus acharnés de l'oeuvre de Manet

Pour le remercie Manet propose à Zola de faire son portrait

Zola décrira les longues heures de pose et "l'engourdissement qui s'empare des membres immobiles"

Manet le représente assis à sa table de travail sur laquelle sont disposés des livres, la plume d'oie et l'encrier de l'écrivain, sa pipe et la plaquette qu'il a consacré à Manet

Le paravent japonais fait partie de la collection d'objets que Manet conserve à son atelier

Zola consulte un volume de l'histoire des peintres de Charles Blanc qui appartient à Manet

En haut à droite une photographie d'Olympia, une estampe japonaise et une reproduction des Buveurs de Velasquez

Les critiques reprochent à Manet d'avoir accordé plus d'importance aux accessoires qu'au modèle lui-même

Le 1er janvier 1867 Zola avait publié un important article sur Manet

"C'est de fameuses étrennes que vous m'avez données là"

Zola écrira "Par moments, au milieu du demi-sommeil de la pose, je regardais l'artiste debout devant sa toile, le visage tendu, l'oeil clair, tout à  son oeuvre. Il m'avait oublié, il ne savait plus que j'étais là"

Odilon Redon écrit qu'il s'agit "plutôt d'une nature morte que l'expression d'un caractère humain"

Une estampe représentant un lutteur de sumo

Entre Manet et Zola une amitié soudée par une volonté artistique commune d'adhérer à la représentation à la fois sobre et vigoureuse du vrai

L'écrivain est saisi de trois quarts, un livre à la  main, le regard pensif mais décidé

Manet " ... Je ne puis rien faire sans la nature. Je ne sais pas inventer ... Si je vaux quelque chose aujourd'hui, c'est à l'interprétation exacte, à l'analyse fidèle que je le dois"


39 - MADAME MANET AU PIANO - 1868


Manet connaît sa future femme Suzanne Leenhoff, lorsque celle-ci avait 22 ans et lui donnait des leçons de piano ainsi qu'à son jeune frère Eugène

M. Manet père n'approuvait pas cette relation et le couple ne se maria qu'en octobre 1863, un an après la mort du père d'Edouard

Suzanne Leenhoff (1830-1906), fille d'un organiste hollandais était une excellente pianiste notamment dans l'interprétation des pièces allemandes classiques et modernes (Schumann)

Portrait peint dans le salon de Madame Manet mère où le couple s'est installé pour quelques mois

La pendule représentée sur le tableau serait celle que le roi de Suède, Charles XIV, avait offert en cadeau de mariage à la mère de Manet en 1831, qui était sa filleule

Son talent de pianiste lui permit d'adoucir les derniers jours de vie de Charles Baudelaire dans la clinique hydrothérapique de Chaillot en le distrayant avec les compositions de Wagner

La carnation laiteuse de Suzanne se superpose au mur clair contre lequel elle se perdrait sans la ligne brune qui entoure son profil


40- LE DEJEUNER DANS L'ATELIER - 1868


Toile peinte durant l'été 1868 à Boulogne où Manet et sa famille louent un logement

Le principal modèle est Léon Leenhoff, le fils de Suzanne

A droite, fumant le cigare, Auguste Rousselin, ancien élève de Couture à l'atelier duquel Manet a fait sa connaissance

Le tableau trahit une certaine tension entre les personnages

Le garçon coiffé de son canotier semble inquiet ou agacé

Une servante apporte une cafetière d'argent sous le regard indifférent de l'homme

Tableau harmonieux qui a le charme d'un Vermeer

Délicate opposition des jaunes et des noirs

Le moment semble arrêté pour toujours

L'armure et le sabre bousculent la composition par de savantes courbes

Le jeune Léon vient d'entrer comme coursier chez le banquier Degas, père du peintre,

Dans le même tableau un portrait d'adolescent et deux natures mortes, celle de la table et celle des armes anciennes

Tous les thèmes chers à Manet se retrouvent : le chat de l'Olympia, le citron à demi pelé, le couteau posé en biais pour indiquer la perspective, la plante dans son pot japonisant

Léon devant la table est cadré au genou

Manet reprendra cette disposition pour le Bar aux Folies Bergères, plaçant le personnage principal derrière le bar et non devant une table

Léon qui a seize ans a appris avant de poser pour ce tableau que Suzanne qu'il avait jusque là prise pour sa soeur était en réalité sa mère et que Edouard Manet n'était pas son beau-frère mais son père ou beau-père, on ne saura jamais

Léon se détache debout au centre adossé à la table, vêtu d'un pantalon clair, d'une élégante veste de velours noir brillant, avec une cravate en soie jaune à rayures sur une chemise de batiste

Sur sa tête un chapeau de paille bordé d'un ruban de tissu reprend avec élégance la couleur de sa veste

Sa pose un peu effrontée de jeune dandy rappelle que le jeune homme avait grandi chez Manet

Le regard impatient, un peu ennuyé fixe quelque chose qu'il ne nous est pas donné de connaître comme pour signifier son désir d'être libéré au plus vite de la séance de pose

Les séances de peinture de Manet d'après modèle étaient exténuantes

A droite le peintre Rousselin tire une bouffée de son cigare

A gauche une domestique apporte une cafetière en argent sur la table

La critique ne comprend pas que les trois personnages ne participent à aucune action commune et ne comprend pas le message que le peintre veut transmettre par ce manque d'expressivité affichée

Manet donne du relief au personnage de Léon grâce à une "mise au point" brillante de son visage qui contraste avec les autres personnages du second plan restés flous

L'intérêt ne se concentre pas sur le personnage central mais sur la richesse des natures mortes

Le jeune homme est représenté d'une manière audacieuse : coupé à mi-jambes

Le motif du citron pelé vient de Vermeer

Variations ton sur ton dans les blancs de la nappe et de la tasse à café

Les teintes froides dominent et imposent le sentiment qu'on a de rester en dehors de la scène

41 - PORTRAIT DE THEODORE DURET  - 1868


Théodore Duret s'occupait du commerce du cognac et n'a commencé à se consacrer à la critique d'art journalistique qu'en 1862, devenant l'un des principaux défenseurs de l'impressionnisme

Son "Histoire des peintres impressionnistes" apparaît comme la première tentative critique d'analyse du mouvement


Manet et Duret se sont rencontrés en Espagne en 1865

Manet assista avec Duret en Espagne aux courses de taureaux où il prit des croquis

Ils allèrent à Tolède voir les tableaux du Greco

Ils sont amis mais Duret ne fait preuve d'aucune clémence envers son ami

En 1868 il fonde avec Zola et Ferry un journal républicain d'opposition "La Tribune française" et Manet se rend souvent à la rédaction pour discuter politique

Duret a expliqué que la  nature morte avait été ajoutée ultérieurement comme une nécessité liée à la couleur et à l'équilibre de la composition

Duret, enthousiasmé par le tableau, a demandé à Manet d'effacer sa signature pour ne pas influencer négativement le public

Il voulait présenter le tableau comme la création d'un peintre à la mode pour désarmer les préjugés contre Manet

Manet a signé en bas à gauche mais à l'envers

Manet avait rencontré Duret en Espagne en 1865 en l'agressant dans un restaurant croyant avoir à faire à un détracteur d'Olympia

Manet confia ses tableaux à Duret pendant la guerre de 1870 et fit de lui son exécuteur testamentaire


42 - LE BALCON - 1869


Baudelaire "Et les soirs au balcon, voilés de vapeurs roses ... "

Manet au premier plan a peint Berthe Morisot en espagnole

"Et mes yeux dans le noir devinaient ses prunelles"

Théophile Gautier "Le balcon nous montre, dans une pénombre d'un vert bleuâtre, deux jeunes filles vêtues de blanc, l'une assise et l'autre debout qui met ses gants. En arrière-plan se tient un monsieur, baigné dans une demi-teinte qui en efface le modelé et le fait ressembler à une découpure"

Le Balcon est peint de ce vert sulfate qui est l'une des caractéristiques de la peinture de Manet

Si Melle Claus (debout) fait un peu mijaurée, on sent l'appel du large dans le regard que le peintre a donné à Berthe Morisot

L'homme à la cigarette s'expose heureux, délassé, un peu satisfait, aux regards de la rue

La toile est imprégnée des blancs satinés légèrement bleutés propres à Manet

Fanny Claus est violonniste de concert et familière du couple Manet

Antoine Guillemet est peintre paysagiste, ami des impressionnistes

Berthe Morisot est la future belle-soeur de Manet

Dans la pénombre on devine Leon Leenhoff, portant une aiguière

Ce tableau est inspiré par un tableau de Goya "Deux majas au balcon"

Les personnages de Manet ne communiquent pas, chacun semblant absorbé par son propre univers

Berthet Morisot, fille d'un conseiller à la Cour des comptes apprenait la peinture en copiant avec sa soeur les grands maîtres au Louvre sous la surveillance d'un chaperon

Manet la rencontre en 1868 et fut plus sensible à sa beauté qu'à son talent de peintre

Il écrit à Fantin-Latour, qui lui a présenté Berthe Morisot, que les deux jeunes femmes feraient mieux "de servir la cause de la peinture en épousant chacune un académicien et  en mettant la discorde dans le camp des gâteux"

Berthe a écrit à sa soeur à la sortie du Salon "Je lui trouve décidément une charmante nature qui me plaît infiniment. Ses peintures produisent comme toujours l'impression d'un fruit sauvage ou même un peu vert. Elles sont loin de me déplaire. Je suis plus étrange que laide; il paraît que l'épithète de femme fatale circule parmi les curieux"

On trouve un petit chien aux pieds de Berthe à la place du chat habituel et une balle remplace le citron

Les séances de pose sont épuisantes et durent plusieurs mois

La présence de Berthe Morisot s'impose par la profondeur du regard

Elle est distante et énigmatique avec un visage aux traits durs et sombres

Manet a réalisé cette scène en atelier et lentement

Il a mis des mois pour réussir à rendre la spontanéité du moment

Berthe Morisot allait devenir le modèle de prédilection de toute une série de tableaux

Manet a disposé les personnages derrière le garde-corps en fer du balcon de son propre atelier

La couleur du garde-corps est reprise chromatiquement dans les volets ouverts

Il occupe toute la moitié inférieure de la toile

Un critique a écrit que "L'artiste s'abaisse à faire concurrence aux peintres en bâtiment"

Manet avait habillé les jeunes femmes de robes blanches et avait introduit des détails pour amortir l'acidité du vert et du bleu de la cravate de Guillemet : le vase avec les hortensias, le bouquet de fleurs devant les cheveux de Fanny, l'éventail rouge de Berthe

Mais la palette froide et brillante fut jugée trop crue par les contemporains qui déplorèrent l'absence de grâce des personnages


43 - SUR LA PLAGE DE BOULOGNE - 1868


Manet aimait passer ses vacances d'été sur la plage de Boulogne, près de l'Angleterre où il envisageait de vendre ses oeuvres

Couleurs brillantes et air purifié par le vent de la belle saison sur les côtes du nord

La multitude des bateaux témoigne du trafic maritime entre Boulogne et l'Angleterre

L'oeuvre semble le résultat d'une sorte de collage d'ébauches autonomes

Le peintre emportait toujours avec lui un carnet sur lequel il dessinait rapidement les personnages qui le frappaient

Point de vue rigoureusement frontal

Cette horizontalité affichée est typique de Manet : il impose à la nature une structure personnelle ce qui le différencie des impressionnistes

44 - LE DEPART POUR FOLKESTONE - 1869


Tout est évoqué par de larges touches

Palette de noir et de blanc avec des rehauts de bleu, de jaune et de rouge

Bleu-vert de la mer sous un ciel léger

On imagine mal l'effet de nouveauté fait par ces personnages que Manet campe en quelques coups de pinceau

On ne parvenait pas à faire comprendre aux conformistes que ce qui de près paraissait informe prenait de loin tout son relief

Manet possédait l'art de la suggestion

Tableau peint de la fenêtre de l'hôtel de Folkestone à Boulogne sur mer

Au premier plan à gauche Madame Manet en toilette d'été sous une ombrelle

Derrière elle, Léon Leenhoff, son fils


45 - CLAIR DE LUNE SUR LE PORT DE BOULOGNE - 1869


Le noir est à peine rompu par du brun et du bleu

Manet montre l'attente de ceux qui sont en mer, par les femmes profilées sur le quai, au pied des bateaux sommeillants

Le ciel est piqué d'étoiles

Economie de moyens pour créer une véritable atmosphère

Les curieux qui le regardaient travailler disaient "Vous savez c'est ce peintre dont on parle tant et qui fait des choses folles"

"J'ai fait ce que j'ai vu" a dit Manet à propos de cette toile


46 - LE SAUMON - 1869


Manet perpétue la tradition de la nature morte française du 18ème siècle

Elle est adaptée au goût des riches collectionneurs du second empire

Pourtant ces tableaux eurent en leur temps peu de succès public

Les natures mortes de Manet mettent en évidence ses trois qualité :

- touche habile

- contrôle des rapports de couleur

- maîtrise de la matière car il avait le sens du maniement de la pâte


47 - LE REPOS - 1869


La peinture de Manet était considérée par la critique comme trop esquissée et sans respect pour le détail

La jolie Berthe Morisot était ainsi commentée "Cette maritorne en jupe blanche vautrée sur un canapé a l'air de cuver son vin"

L'oeuvre annonce les très larges plans que nous verrons plus tard chez Bonnard et les Nabis

Arrière cousine de Fragonard, élève de Corot, Berthe Morisot pose avec une certaine indolence

Manet a su deviner derrière son regard noir les inquiétudes de la jeune artiste et les angoisses de la jeune femme à l'approche de sa trentième année

Manet la montre plongée dans une rêverie mélancolique. La jeune artiste traverse une période de doute

Sans sa soeur  nouvellement mariée elle se sent vraiment seule

La présence d'Eva Gonzales auprès d'Edouard Manet l'irrite et déconcerte en elle l'artiste

Entre 1868 et 1874 Berthe Morisot est le modèle préféré de Manet

Le Repos est une interruption dans la séance de pose

Elle n'est pas encore mariée ce qui est préoccupant pour une jeune femme de trente ans appartenant à la haute bourgeoisie

Sa rivalité avec Eva Gonzales, seule élève de Manet, qui commence à exposer trouble son parcours d'artiste qui tarde à s'affirmer

Les séances de pose sont exténuantes car elle doit conserver une attitude apparemment désinvolte

Manet lui reproche ce style "inachevé" qui la caractérise quelques années plus tard pendant sa bataille aux côtés des impressionnistes

La liaison amoureuse de Manet - très probable - avec Berthe Morisot n'a jamais été démontrée

Berthe épousa son frère cadet Eugène

Pendant les longues séances de pose elle ne pouvait déplacer sa jambe gauche repliée sous elle afin de ne pas déranger la disposition des plis de la robe

La figure de Berthe est en proie à ces "chimères qui ne la rendaient pas bien heureuse"

Fauteuil blanc sur la gauche laissé à l'état d'ébauche

L'oeuvre fut jugée "ni peinte, ni dessinée, ni debout, ni assise"

L'exécution qui se ressent des oeuvres impressionnistes fait de cette peinture un portrait moderne


48 - LA JETEE DE BOULOGNE - 1869


S'inspirant des japonais et de l'art de l'estampe, Monet réalise une composition étrange

Au centre se découpe derrière la jetée le mât et les haubans d'un bateau s'apprêtant hisser les voiles et à prendre le large

A Boulogne il s'est installé à l'hôtel du Folkestone. Il prospecte en Angleterre où il envisage de vendre ses oeuvres

"Ce que je veux aujourd'hui c'est gagner de l'argent; et comme je sais qu'il n'y a pas grand chose à faire dans notre stupide pays au milieu de cette population d'employés du gouvernement je veux tenter d'exposer à Londres l'année prochaine"

L'arrivée du Folkestone était un but de promenade à la veille de la guerre


49 - L'ENTERREMENT - 1870


Baudelaire, son ami est mort en 1867

"Il y avait environ cent personnes à l'église et moins au cimetière. La chaleur a empêché beaucoup de gens de suivre jusqu'au bout"

Baudelaire, de dix ans son aîné lui prodiguait conseils et réconfort "Il faut que je m'applique à vous démontrer ce que vous valez ... Croyez-vous que vous soyez le premier homme placé dans ce cas ? Avez-vous plus de génie que Chateaubriand et Wagner ? On s'est bien moqué cependant d'eux. Ils n'en sont pas morts"

"Les peintres veulent toujours des succès immédiats, mais vraiment Manet a des facultés si brillantes, si légères qu'il serait malheureux qu'il se décourageât"

Durant les mois qui précédèrent la mort de Baudelaire Madame Manet alla jouer pour lui à clinique hydrothérapique de Chaillot


50 - LE PORTRAIT D'EVA GONZALES - 1870


Eva Gonzales fut une élève fidèle de Manet

Elle épouse Henri Guerard (artiste graveur) en 1879 après trois ans de fiançailles

Une embolie l'emporte seize jours après la naissance de son fils et cinq jours après la mort de Manet

Elle a rencontré Manet en 1869

Rivalité artistique entre Eva Gonzales et Berthe Morisot. Manet prend plaisir à exciter leur jalousie

EDOUARD  MANET   1/2

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