1892 – SON NOM EST VAIRUMATI
Dans deux tableaux Gauguin s’est inspiré du récit de l’origine mythique des Aréois, secte autrefois dominante à Tahiti
Le Aréois étaient nés de l’union du dieu Horo et de Vairumati, très belle jeune fille
Le dieu Horo observe la jeune fille
En arrière plan les tiki
La légende dit qu’Horo après avoir fécondé la belle se changea en colonne de feu qui s’éleva majestueusement dans les airs. Il ne resta que la fumée
Par dérision Gauguin met une cigarette fumante dans les mains de la belle
1892 – TE OA NO AREVI
Dans ce tableau l’héroïne, Vairumati, épouse du dieu Horo, est dans un décor plus grandiose. Les tiki disparaissent et la vallée s’ouvre
Les couleurs sont partagées en grandes zones, palmiers jaune vif sur la montagne bleue, fleurs roses sur fond vert, sol et fruits en aplats jaunes et rouges
1892 – LA EST LE TEMPLE
Gauguin a écrit « Je ne suis pas un peintre d’après nature … chez moi, tout se passe en ma folle imagination »
Le sujet de cette toile où apparaît au fond une idole en forme de tiki des Marquises est un « endroit réservé aux cultes des dieux et aux sacrifices humains »
Jadis ces lieux sacrés abritaient d’antiques sites barbares, peut-
Clôture de crânes primitifs mêlés à des décorations asiatiques raffinées
Un Olympe baigné de lumière qui se situe quelque part hors de notre monde
Le peintre a mêlé l’aplat et les formes arrondies, les tons sombres et le clair-
1892 – PAROLES DU DIABLE, PASTE EVE
Ce pastel est une étude d’Eve pour le tableau « Paroles du diable »
1892 – PAROLES DU DIABLE
Ce tableau associe croyances tahitiennes et chrétiennes pour représenter la peur chez un esprit primitif
Le nu, dans une attitude pudique, tiré de dessins de Tehamana, représente une Eve polynésienne après la faute, personnification d’un léger remords
Personnification aussi de la crainte causée par la présence de deux figures négatives inventées par Gauguin
L’esprit malin ayant l’aspect d’un personnage encapuchonné de noir au regard phosphorescent
Le curieux masque rouge et vert du coin supérieur droit
L’atmosphère étrange semble se matérialiser dans les feuilles de pandanus allongées et sinueuses éparpillées sur le sol, éléments décoratifs d’un bel effet
Rose vif du sol ponctué de fleurs vermillon
1892 – L’ESPRIT DE MORTS VEILLE
Une nuit, rentrant tard, Gauguin découvre Tahamana couchée dans la pénombre, les yeux grands ouverts en proie à une terreur extrême
Gauguin a écrit « Tel quel c’est une étude de nu un peu indécente et j’en veux faire un tableau chaste. Le pareo étant lié à l’existence d’un canaque je m’en sers comme dessus de lit. Le drap doit être jaune car il suggère l’éclairage d’une lampe. Il me faut un fond terrible. Le violet est tout indiqué. Quel genre de peur ? Pas la peur d’une Suzanne surprise par des vieillards. Cela n’existe pas en Océanie. Le Tupapau (esprit des morts) est tout indiqué.
Pour un canaque qui ne connaît ni le théâtre ni les romans mon Tupapau ne peut être que quelqu’un qu’elle a déjà vu.
Mon revenant ne peut être qu’une petite bonne femme quelconque »
Lignes horizontales ondulantes
Accords d’orangés et de bleus
Alfred Jarry a écrit « L’Olympia couchée brune sur la jonchée des arabesques d’or et qui fane et profane de son corps diaphane, soleil enseveli, l’or pâli de son lit, rêve à de vieux mystères »
1893 – EAU MYSTERIEUSE
Gauguin affirme avoir aperçu lors d’une excursion dans les forêts de l’intérieur de l’île une femme nue en train de boire près d’une cataracte. Sentant une présence étrange elle avait plongé dans l’eau et disparu
La femme serait venue boire à la source pour accomplir le rite du retour à l’état sauvage, projection de la transformation nécessaire à l’artiste pour pénétrer la mentalité primitive
Le jet d’eau évoquerait le rayon de lumière qui dans la légende ranime la déesse de la lune, Hina
Mais la source du tableau est surtout la photographie prise par Charles Spitz d’un tahitien buvant à la source
Dans le tableau la scène devient mystérieuse, se chargeant de figures indistinctes
Gauguin « voyait » souvent des images surréelles dans les objets inanimés, notamment dans les nœuds du bois
1892 – PASTORALES TAHITIENNES
Le titre que Gauguin a donné à ce tableau voulait évoquer la musique, le son de la flûte de roseau dont joue le personnage de droite
Vision imaginaire de Tahiti, sobre et incisive, avec les figures et le décor traités en arabesques et en formes abstraites colorées
Le chien orangé du premier plan fit sensation à Paris. Gauguin répondra que cet arbitraire
était voulu car, écrit-
1893 – LA LUNE ET LA TERRE
Le jet d’eau, source de vie mystérieuse, est ici associé à un personnage féminin évoquant Hina, la déesse de la lune, opposée au sombre Fatou qui a refusé d’accorder l’immortalité aux hommes
Aspect étrange de cette toile dû aux immenses figures modelées, mêlées à une nature purement décorative de motifs abstraits
Il semble que pour Gauguin le produit de l’imagination soit plus réel que l’observation de la nature
1893 – TEHAMANA A DE NOMBREUX PARENTS
Le titre fait allusion à la coutume tahitienne qui consiste à se partager les enfants au sein de la famille étendue et à la croyance que tous les tahitiens sont issus de l’union entre les divinités Hina et Taaroa
Lors de ses fiançailles avec Tehamana Gauguin éprouva un certain désarroi car deux femmes se présentèrent comme la mère de Tehamana
Tehamana est vêtue de sa plus belle robe européenne, les cheveux parés avec beaucoup de recherche
Elle tient un éventail de palme tressée comme si c’était un spectre royal
Ce genre d’éventail est un symbole de noblesse et de beauté
Les deux mangues mûres symbolisent la luxuriance de Tahiti et la fécondité du ventre maternel
Gauguin n’a pas peint directement d’après le modèle : les bras sont courts
Une effigie en bois polychrome de la déesse Hina figure en arrière plan
Dans la partie supérieure deux lignes de chiffres indéchiffrables suggèrent que la mentalité tahitienne reste inaccessible aux européens
Cette œuvre de mystère confère à Tehaman une expression semblable à celle de la Joconde
1894 – AUTOPORTRAIT A LA PALETTE
De septembre 1893 à juillet 1895 Gauguin passe 22 mois en Europe
Dans ce tableau Gauguin apparaît très calme comme maître incontesté du symbolisme
Image sobre et imposante où son costume et son couvre-
Il a éliminé tous les accessoires sauf la palette pour afficher ses couleurs fétiches de Tahiti : jaune, rose et rouge
Avec ce bonnet d’astrakan et cette énorme houppelande il paraissait aux parisiens un magyar somptueux
La main est sans modelé comme enveloppée d’un gant
Regard en biais
Le pinceau horizontal souligne le visage
Le fond agressivement plat et rouge rappelle « La vision du sermon » qui était devenu le tableau manifeste du symbolisme
Après une longue absence Gauguin voulait sans doute rappeler qu’il était le maître
1894 – JOIE DE SE REPOSER, DOUCES RÊVERIES
Deux femmes perdues dans leurs rêveries
Les rares scènes exotiques que l’artiste à peintes ou achevées à son retour en France tendent à présenter Tahiti comme une terre promise
Combinaisons simplifiées et décoratives de motifs de son répertoire antérieur
Paysage, aux couleurs arbitraires, ramené à des formes abstraites
Au fond on aperçoit une danse rituelle devant une double idole
1894 – LE JOUR DE DIEU
La figure principale est Taaroa, le dieu maori créateur du monde
A gauche deux jeunes filles apportent des offrandes ; à droite elles accomplissent une danse rituelle
Les figures des jeunes filles en blanc sont inspirées par l’Egypte
Les trois figures nues du premier plan suggèrent la création
L’eau et pleine de formes étranges, libres et abstraites, qui sont avant tout des ornements décoratifs
1894 – SOUS L’EMPIRE DU REVENANT
L’AMUSEMENT DU MAUVAIS ESPRIT
Un tronc d’arbre divise diagonalement la scène, séparant les tahitiennes au repos de la vision sacrée avec la déesse Hina
Celle-
Reflet psychologique des pénibles évènements qui coïncidaient avec l’exécution de
ce tableau à Pont-
1894 – HANNAH LA JAVANAISE
Hannah fut à Paris la compagne de Gauguin de décembre 1893 à l’automne 1894
Hannah était une femme de chambre devenue modèle
Taoa était son singe apprivoisé
Les dimensions imposantes du fauteuil accentuent la petite taille d’Hannah (évocation du portrait d’Achille Emperaire de Cézanne)
Décor sobre et exotique loin de la réalité de l’atelier parisien de Gauguin
Hannah a bien conscience que nous sommes en train de l’étudier
A la fin de l’été 1894 Hannah était rentrée de Pont-
A Pont-
Sobriété et netteté de l’image
Oppositions de couleurs entre le fond rose uni, le bleu du fauteuil, l’orangé du singe, le jaune et le bleu violacé du sol
Motif décoratif sombre de la plinthe géométrique ajourée
1894 – PARIS SOUS LA NEIGE
A la fin de février 1894 de retour d’un voyage en Belgique, Gauguin peint les toits enneigés de Montparnasse du haut des fenêtres de son atelier
Ce tableau pourrait passer pour un retour à l’impressionnisme
Il s’agit d’un hommage à Gustave Caillebote mort le 21 février 1894
Note personnelle de rouge et d’ocre vif sur les murs et les personnages
Arabesques décoratives des branches d’arbres dénudées du premier plan
1894 – LE MOULIN DAVID A PONT-
Le paysage qui évoque ceux d’Arles a été réalisé à Pont-
Harmonie des trois blocs de couleur : bleu, vert et orangé
Gauguin retrouve le moral en peignant : « Oui, je marche avec une canne en boitant et c’est un désespoir pour moi de ne pouvoir aller loin peindre un paysage ; néanmoins depuis huit jours j’ai recommencé à prendre les pinceaux »
1894 – DEUX BRETONNES SUR LA ROUTE
Ce paysage breton est conventionnel et les deux grandes figures rappellent les tahitiennes
Sa fracture à la jambe a réduit Gauguin à une quasi immobilité
Il se sent désormais loin de l’univers breton
1894 – JEUNE CHRETIENNE
L’identité de cette jeune fille reste incertaine. Sans doute la maîtresse de son ami Monfreid.
Aucun monument religieux qui puisse expliquer son attitude
Merveilleuse robe jaune qui à elle seule constitue tout le sujet du tableau ; il s’agirait d’une robe de mission rapportée par Gauguin de Tahiti en Bretagne
Les cheveux tombent librement sur les épaules comme ceux d’une tahitienne
Loin de la femme bretonne en prière, portant coiffe et habillée en gris et noir
Affinité avec les peinture dévotes flamandes
En février 1894 Gauguin était allé à Bruges voir l’importante collection Memmling
Gauguin recherche des modèles dans l’art de la première Renaissance
Dans ses visions idéales de Tahiti Gauguin s’est affranchi des limites de l’espace et du temps : des lieux et des temps différents coexistent sur une même image formellement cohérente
Cette jeune fille impénétrable qui garde les yeux baissés possède une innocence universelle
1894 – NUIT DE NOËL
Ce tableau est le dernier tableau peint par Gauguin en France avant son départ définitif pour l’Océanie
Gauguin est désabusé. Il écrit « Tous ces malheurs successifs, la difficulté de gagner régulièrement ma vie malgré ma réputation … m’ont fait prendre une décision irrévocable. En décembre je travaillerai chaque jour à vendre tout ce que je possède. Je repars pour l’Océanie. Rien ne m’empêchera de partir et ce sera pour toujours »
1894 – OVIRI
« Oviri » signifie sauvage en tahitien. C’est l’épithète dont Gauguin se paraît avec le plus de complaisance « Je suis un sauvage et les civilisés le pressentent »
Il a modelé cette sculpture en grès au cours de son dernier séjour à Paris et la considérait comme une de ses créations les plus fortes.
« J’affirme orgueilleusement que personne n’a encore fait cela »
Etrange apparition pourvue d’une longue coiffure et d’une poitrine juvénile
Tête hallucinée, disproportionnée et monstrueuse
Elle serre contre elle un animal ensanglanté
Son primitivisme cruel tranche sur les images édéniques de son univers pictural océanien
Pour Gauguin elle incarnait sa propre sauvagerie, la mort et l’indifférence cruelle de la nature
Œuvre historique car au Salon d’Automne de 1906 elle frappe Picasso qui reprendra dans une figure centrale des « Demoiselles d’Avignon » le même mouvement des jambes pliées de côté et le mélange de monstruosité « primitiviste » et de grâce féminine
1897 -
En mai 1895 Gauguin écrit « Je vais faire paraître un livre où je raconte ma vie à Tahiti et mes impressions d’art »
Cela vous expliquera pourquoi j’y suis allé. Le titre de ce livre ? Noa Noa, ce qui veut dire en tahitien, odorant. Ce sera ce qu’exhale Tahiti. J’accompagne le livre d’illustrations et exécute une série de bois gravés. »
L’élaboration du projet, plus longue que prévue l’accompagnera jusqu’à sa mort
1896 – LA NAISSANCE DU CHRIST, LE FILS DE DIEU
En décembre 1896 Pahura, la nouvelle vahiné de Gauguin donna le jour à une fillette qui mourut peu après
La perspective de cet évènement peut avoir suggéré à Gauguin ce tableau autour du thème de la Nativité qui prolonge ses évocations antérieures de grands épisodes du christianisme
Le lit n’est pas un meuble utilisé par les tahitiens
Le motif qui décore le lit rappelle le décor géométrique de la plinthe du fauteuil de « Hannah la javanaise »
Le jaune lumineux du drap contraste avec le bleu du pareo
Au fond l’intérieur d’une étable reprend un tableau qui avait appartenu à son tuteur Arosa : les vaches sont des animaux inconnus à Tahiti
Gauguin était fasciné par la fête de Noël
Sa fille préférée Aline était née le jour de Noël 1877
En 1888 van Gogh s’était tragiquement mutilé la veille de Noël
Gauguin s’identifia lui-
1896 – POURQUOI ES-
Soit Gauguin emploie la courbe ondoyante et accentues l’arabesque des figures
Soit il se sert d’une composition en frise créée par un rythme d’horizontales et de verticales
Ici les maisons, les arbres et les figures forment des verticales répétées qui donnent de l’ampleur et de la largeur
La figure principale, les tâches vertes, le mur jaune, la petite maison dans le fond sont autant de plans dont les intervalles approfondissent l’espace
Opposition entre deux modes de vie : celui de la femme qui regarde avec tristesse la poule et ses poussins en regrettant sa liberté perdue et celui de la jeune fille qui se promène élégante et détendue
1896 – LA FEMME DU ROI
Originalité de cette image féminine : combinaison de reine indigène, de Diane chasseresse et d’Eve tentatrice
Gauguin a puisé dans son petit musée personnel de reproductions où figuraient notamment une « Diane au repos » de Cranach et l’ « Olympia » de Manet
Gauguin « Je crois qu’en couleur je n’ai jamais fait une chose d’une sonorité aussi grave »
Une reine nue couchée sur un tapis vert, magnifique éventail, mangues au premier plan, linge délicieusement trop petit
Les sombres harmonies chromatiques donnent au tableau une dimension intemporelle
La tête droite indique qu’elle est séductrice et non séduite
La présence d’un grand chien noir et deux femmes qui cueillent des fruits rendent impossible toute intimité du spectateur avec cette noble femme
1896 – JOUR DELICIEUX
Cette toile aux riches harmonies colorées et aux tonalités fondues rappelle une tapisserie
Les hautes figures, les arbres qui les dépassent ainsi que les bandes horizontales du sol et du ciel occupent toute la composition
Les surfaces colorées des corps nus ou des pareos, celles des troncs d’arbres ou de la terre sont larges et bien définies
Une atmosphère enveloppante crée un monde silencieux
La grâce des corps allège les formes répétées des figures
Les figures assises, plus petites, donnent l’échelle à l’ensemble
Gauguin nous rend tangible et chaude sa version des Tropiques
1896 – LA PIROGUE
Cette scène oscille entre la réalité et le rêve
Ce tableau a plusieurs significations : dignité de la vie simple ; triste situation
des maoris maltraités par le gouvernement colonial ; solitude et dénuement du peintre
lui-
Au milieu d’une nature luxuriante, la figure est tendue et mince, peu représentative
de la santé et du bien-
Contraste entre le premier plan aux lignes irrégulières et l’arrière plan vaste et calme, composé de larges espaces et de nettes horizontales
1896 – PORTRAIT DE VAÏTE, JEANNE GOUPIL
Auguste Goupil était un riche notaire, vivant près de Papeete et qui menait grand train
Le visage de Jeanne Goupil, âgée de neuf ans est d’un blanc laiteux et si lisse et raffiné qu’il indique que Gauguin travailla à ce tableau sur une période importante
Elle est assise immobile dans un fauteuil de style colonial
Elle est vêtue d’une simple robe de mission brun-
Elle tient un sac en paille indigène, brodé de fleurs de couleurs
Le mur rose et violet est peint de façon sommaire et joue un rôle décoratif
Gauguin a souvent juxtaposé les sujets de ses portraits avec un arrière plan sans rapport direct avec la réalité
Jeune fille parfaitement impénétrable assise sur sa chaise dans une éternelle attente
1894 – LE VIOLONCELLISTE
La position du corps et des mains s’inspire d’une photographie de Fritz Schneklud mais les traits évoquent ceux de Gauguin, musicien amateur notoire qui jouait de plusieurs instruments
Composition basée sur une succession de courbes amples s’accordant du premier plan jusqu’au fond
Harmonie des teintes chaudes de l’orangé vif au brun, contrastant avec le bleu du costume
1892 – TERRE DELICIEUSE
Ce tableau présente Eve en un provocant nu frontal, située dans un paradis terrestre où poussent des fleurs fantaisistes
Elle n’est pas tentée par un serpent, inconnu dans ces îles, mais par l’animal que les missionnaires ont choisi pour représenter le tentateur aux indigènes : le lézard
Ce lézard auquel des ailes d’une fantastique couleur rouge confèrent une dimension imaginaire apparaît juste à côté de la tête de la femme