Les éditos de Kerdonis…
Le sablier d’or de Ponce Pilate
Il était une fois un malin de la politique dont le silence a traversé deux mille ans d'Histoire. En se lavant les mains pour ne pas choisir entre le juste et l'injuste Ponce Pilate s'est acquis une gloire redoutable. Laissant faire en écoutant la voix des plus bruyants il s’est moqué de l'équité.
Le dossier des 35 heures sera-
L'affaire est importante et la profession s'inquiète. Le méchant vent de la rumeur prépare comme un mauvais orage.
Certains osent sourire en assurant que les boulangers ne sont pas contre la loi sur
les 35 heures. La preuve ? Ils les font deux fois par semaine. Mais ne fuyons pas
le problème. Il s'agit de la durée du travail de nos salariés et la loi de la République
s'applique à tous. Nous, boulangers, respectons la loi. Il y a de bonnes lois. Saluons
l'anniversaire de la loi du 25 mai 1998. Des responsables politiques, cohérents,
déterminés et courageux ont alors par cette loi défini loyalement ce qu'est une
boulangerie. Le choix était clair et les auteurs de cette loi ont gagné pour mille
ans un brevet d'anti Ponce Pilate. Mais ce même gouvernement qui hier clamait son
respect du temps de fabrication changerait-
L’écueil de la confusion menace. Si en mai dernier il fallait du temps pour faire
du bon pain, en faut-
Par la vertu d'un vote politique la réduction du temps de travail est devenue une
bonne chose. Certes la grande roue de la Loi ne peut se mouvoir sans écraser quelqu'un.
Mais les règles qu'aveuglément on applique à tous forment-
Ainsi les patrons boulangers qui ne peuvent au coup de sifflet du gouvernement appliquer
les 35 heures verront se vider loin d'eux le sablier de Ponce Pilate. Le gouvernement
pourra dire que ce n'est pas sa faute si, le temps passant, le coffre à subvention
est aussi vide qu'un sablier oublié. Ce n'est pas sa faute non plus si les petites
entreprises ne peuvent que progressivement passer de 42 heures à 35 heures. Ce n'est
pas sa faute encore s'il est impossible d'employer une petite fraction d'ouvrier
boulanger plus une petite fraction d'ouvrier pâtissier plus une petite fraction de
vendeuse. Bref ce n'est jamais sa faute. Il s'en lave les mains. Il faudrait se taire
si les responsables de la profession jouaient eux aussi les Ponce Pilate. Mais ils
ne jouent pas. Ils travaillent. Les réunions paritaires se succèdent pour bâtir un
accord. Nous ne savons pas encore quel sera le fruit de ces négociations. Mais ce
qui est acquis c'est le constat d'une injustice. Par les impôts qu'ils paient les
employeurs et les salariés des petites entreprises subventionnent les grandes entreprises.
Le dopage, immoral dans le sport, deviendrait-
Nous refusons de critiquer pour le seul plaisir de critiquer. L'an dernier le gouvernement
a clairement marqué sa volonté d'accompagner notre métier dans son combat pour la
qualité. Comment ose-
Il est tout à fait anormal que le seul temps qui passe prive les boulangers d'une
petite part de la manne publique. Le boulanger doit-
Le gouvernement aura-
L’Orgueil des Grands Manipulateurs
La mode est la reine de notre temps. Une reine souriante souvent, tyrannique toujours. Cette orgueilleuse ne veut que des approbations. Mais son royaume étendu ne dédaigne pas l'infiniment petit. L'actualité nous le rappelle en ouvrant le dossier des O. G.M.
Un Organisme Génétiquement Modifié (O. G.M) est un être vivant dont on a " bricolé" le patrimoine génétique. Ainsi cet organisme se trouve doté de propriétés que la nature n'avait pas prévu de lui attribuer. On construit un O. G.M en recombinant l'A.D.N. qui est le principal constituant des chromosomes porteurs de l'hérédité. La nature a écrit au cœur de chaque cellule vivante un code programmant son avenir. En modifiant quelques signes de ce code, on change pour l'éternité le programme de cette cellule.
Ainsi naît une nouvelle activité scientifique : le génie génétique dont l'application permettra dans l'avenir de soigner certaines maladies.
Les O. G.M deviennent donc à la mode. Ils sont au menu de nos journaux du matin et
du soir. Faut-
Le problème c'est l'erreur de manipulation. Une plante néfaste mal "bricolée" par un géniteur génétique peut disperser dans la nature ses mauvais gènes qui deviennent alors de mauvais génies. La mutation est irréversible. On ne peut convoquer au laboratoire la plante défectueuse pour refaire la manipulation. La prudence dans les essais doit donc être la première des règles.
Les risques alimentaires sont encore peu connus. On découvre chaque jour de nouvelles allergies à de nouveaux produits.
Alors pourquoi par des manipulations mal maîtrisées augmenter inutilement les risques ?
Il ne faudrait pas qu'en quelques années une mauvaise manœuvre du génie génétique détruise ce que la nature a mis des milliards d'années à construire. Essayer et voir ensuite est une attitude bien bizarre.
C'est pourquoi, se fiant à son bon sens, le consommateur peu savant mais fort sage se demande si cette mode vaut d'être applaudie comme les autres.
Il a du mérite à s'interroger car les faiseurs d'opinions ont doctement mais hâtivement gratifié les O. G.M. du label de la modernité. Les rentables applications commerciales s'avancent batailleuses mais hypocrites au point de refuser les étiquettes mentionnant l'origine O.G.M.
Mais la mode varie et le doute est venu. Le journal "Le Monde" de ce mercredi 26
mai titre : " Les doutes s'accumulent sur l'innocuité du maïs transgénique " Aujourd'hui
le maïs, demain le blé de notre pain ? Le problème est sérieux. Aux Etats-
L’Union Européenne a rendu obligatoire depuis septembre 1998 l'étiquetage des ingrédients issus de plantes génétiquement modifiées. Mais on attend toujours les modalités d'application.
Et le consommateur s'inquiète. Au fond si la mode est reine le consommateur est roi. Il faut donc bien l'écouter et lui parler juste. Après le ton hautain de la mode médiatique on entend le ton gentil des grands groupes industriels. Ils multiplient les déclarations endormantes.
Nestlé : " Dans la mesure du possible nous modifions les recettes de nos produits. Et lorsque nous ne sommes pas certains de l'absence d'O. G.M. nous étiquetons le produit ". Le doute toujours.
Danone : " Le but de Danone est de fournir des produits qui font plaisir. Notre objectif n'est pas de créer des inquiétudes ". On ne peut mieux avouer que quand il y a trop de gènes il n’y a plus de plaisir.
Unilever : " Nous essayons d'éviter les produits contenant des O. G.M." Comme si les O.G.M. étaient inévitables.
Et nous boulangers ? Depuis le début la profession refuse l'utilisation de produits à base d'O.G.M. et demande un étiquetage très clair. Nos choix en matière de qualité répondent à l'attente du consommateur.
Nous avons forgé ensemble les armes du bon combat : celui de la transparence et de la vente.
13 septembre 1993 : Le décret pain définit le pain de tradition française : ni additifs, ni surgélation. Après la grogne attentiste du démarrage, le pain de tradition française est reconnu par tous les boulangers pour ce qu'il est : un label de qualité et un dopeur de rentabilité.
25 mai 1998 : La loi précise qu'une boulangerie est le lieu où le pain vendu est fabriqué sur place et sans surgélation.
La profession a ainsi consolidé le pacte de confiance la liant à ses clients. Oui, le pain c'est vraiment la santé et la sécurité. Il faut partout faire connaître ces deux textes qui sont la base de notre stratégie.
Il faut affirmer aussi à tous les offreurs de matières premières et d'additifs que nous sommes déterminés à garder cette image de sécurité. Nous les remercions de nous garantir que les produits qu'ils nous vendent sont purs d'O.G.M. Nous ne pouvons laisser manipuler les valeurs de la boulangerie. S'il le faut nous examinerons comment ne pas subir l'Orgueil des Grands Manipulateurs.
Lettre Persane sur la fermeture hebdomadaire
Usbek à son ami boulanger resté à Ispahan
Paris, le 15 Juin 2010
Tu as su mon cher Mirza comment les boulangers de ce pays ont failli périr par leur aveuglement, victimes de leur propre avidité. Le pain de France était si célèbre que nos vizirs offraient à notre roi cette merveille croustillante pour en gagner la faveur.
Les boulangers de jadis écoutaient leurs magistrats syndicaux qui leur faisaient
sentir que l'intérêt des particuliers se trouve toujours dans l'intérêt commun et
que vouloir s'en séparer c'est vouloir se perdre. Il ne faut point, disaient-
Mais l'audace d'un homme en des jours ténébreux a changé ces beaux jours. L’obscurité
d'une éclipse de soleil en août 1999 aurait troublé son esprit. Il s'appelait Terminocui.
Il affirma avoir découvert un dieu nouveau : l'argent. « Pour en gagner plus, disait-
Ils allèrent se plaindre auprès du syndicat des boulangers et réclamer leur bon pain d'antan. Remué sans douceur par quelques artisans nostalgiques du travail bien fait le syndicat organisa des réunions, imagina des stratégies, déclara son plan et rencontra des notables.
Dans chaque petite principauté de ce pays il y a un prince titré préfet qui peut par arrêté ordonner la fermeture un jour par semaine. Les sages du passé avaient dicté cette mesure pour empêcher le fort d'écraser le faible. Mais c'était l'époque d'une autre religion. Le prince d'aujourd'hui est un homme prudent et pour faire respecter la règle il préfère attendre qu'il soit inutile de l'imposer. Le syndicat approcha le roi et avec déférence sollicita l'envoi d'une lettre auprès des princes locaux pour leur rappeler leur devoir. Cette lettre devrait bientôt circuler. On l'appellera d'ailleurs circulaire. Elle est prête depuis six mois. Mais elle doit être signée par trois ministres et Paris est une grande ville, beaucoup plus grande qu'Ispahan. Il y a au moins un kilomètre entre chaque ministère.
Certains idéalistes ne croient qu'en la justice. Ils ont porté leurs larmes et leurs alarmes devant le procureur du roi. Mais un magistrat, s'il est majestueux, se souvient que tout jeune, en 1968, il a entendu dire : ''Il est interdit d'interdire".
Les clients renâclent à manger du pain trop moderne. Ils savent que pour ouvrir 7 jours sur 7 le boulanger cédera aux Offres des Grands Manipulateurs. Dans une province voisine les poulets endioxinés n'ont plus droit de citer et la police les chasse de tous les étals. L'âme du pays est touchée. Leurs joueurs de balle qui étaient les meilleurs du monde commencent à perdre. Et les jeunes, malgré la tenaille du chômage, ne veulent plus d'un métier dépourvu d'amitié. L'exemple de Terminocui fait bien des ravages au cœur des fournils.
Mais c'est du cœur que viendrait le salut. Les épouses des boulangers tendrement aimées jusqu'à maintenant se désolent dans la solitude. Leurs maris harassés de fatigue n'ont plus de force pour leur faire une aimable conversation. Certaines vexées abandonnent un foyer où ne brûle plus la flamme du cœur. Et dans ce pays la femme du boulanger c'est important. Ils en font même des films.
Les ouvriers licenciés par des patrons qui ne veulent plus que des machines tournant 7 jours sur 7 ont lancé une grande grève. Par solidarité les conducteurs de métro vont bloquer Paris. C'est un usage ici. Mais c'est efficace.
Le gouvernement, préposé au bonheur du peuple, s'inquiète. Il craint qu'après la grève des musées les touristes fuient la France si le bon pain n'est plus qu'un objet de musée. Un comité de crise a été créé.
On attend une délégation du Québec. C'est une province lointaine nommée "Douce France" où travaillent d'irréductibles artisans boulangers résistant à l'empire de la productivité.
Les meuniers ont rappelé de sa retraite leur ancien président. C'est un grand vizir très sage qui réfléchit. Il ne pense pas qu'au jour présent. Il saura inviter les plus jeunes meuniers à respecter l'organisation de la profession.
Mais surtout quelques boulangers de caractère se révèlent. Ils veulent garder leur
savoir-
Pour recevoir les boulangers les préfets ont sorti les beaux tapis qu'ils ont achetés chez nous. Jusqu'à maintenant ils n'avaient pas reçu les boulangers. Ce n'est pas leur faute : dans ce pays les gens qui font des choses utiles ont souvent moins de prestige que ceux qui font de beaux discours.
Je crois qu'une douce égalité va bientôt régner. La vérité du métier renaît. Tous les vendeurs de pain vont respecter le jour de fermeture. Une honnête harmonie va rendre à l'artisan la paix si utile au bonheur de la gourmandise. Tu devrais me rejoindre. Le bon pain de France vaut tous les ennuis d'un long voyage.
Lettre d’un boulanger à son ami coureur cycliste
Cher ami,
Depuis toujours mon rêve de gamin est de gagner le Tour.
Voir les coureurs mêler l'effort et la souffrance pour signer l'exploit est spectacle magique. En juillet plus que du projet de vacances j'ai vécu du plaisir de victoires impossibles. J'ai cru voir la vérité en suivant les sprints fulgurants et les escalades incroyables. Aujourd'hui les repères se disloquent et le passé se perd dans des brouillards confus. Mais d'été en été le Tour de France ramène fidèlement le rappel chaleureux d'évidences rassurantes.
Toujours la victoire se donne au plus méritant et celui qui gagne ne vole pas l'image de gloire glanée dans un immense effort. Même si des civilisations meurent aussi, le Tour, lui, ne peut périr car les rêves de victoire portent chacun vers un infini progrès.
La télé, brièvement infidèle, peut bien nous attrister de débats sur l'exclusion ou sur la solitude. Mais « celui qui croyait au ciel et celui qui n’y croyait pas » se mêlent dans le peuple immense qui applaudit sur le bord des routes. Blotties dans le cieI les caméras de l'hélico illustrent l'amitié complice de nos petits villages secrets et de notre somptueuse capitale accueillant le triomphe final.
Mais le miroir s'est brisé. Offusqués, nous avons appris avec rage qu'un modèle peut s'abîmer dans la médiocrité.
Comment tous ces gens importants qui prévoient et décident pour vous ont-
Dans la grisaille du quotidien le film de l'étape était fenêtre de liberté. Je veux
encore y croire. Tout est possible à qui ose d'abord gagner sur soi-
Je t'ai dit tout cela parce qu'au fond je garde confiance et je compte sur ta volonté pour me rendre la joie de mes rêves d'enfant.
Réponse du coureur cycliste à son ami boulanger
Cher ami,
Depuis toujours mon rêve d'enfant est de devenir boulanger.
Voir au fournil l'effort et l'attention se mêler pour signer un beau pain est un moment d'émotion. Enfant j'ai découvert chez un oncle boulanger le bonheur de pétrir et de cuire. J'ai cru voir la vérité le jour où j'ai sorti du four mon premier pain croustillant. La chaleur fulgurante me comblait d'un plaisir incroyable. Aujourd'hui, les repères se perdent et les souvenirs se disloquent. Mais d'été en été, je reviens fidèlement dans la boulangerie de mon enfance évoquer mes souvenirs heureux.
Mon métier de coureur m'a promené de région en région. J'ai appris que le bon pain n'est jamais le fruit du hasard mais le résultat d'un travail exigeant. Le matin avant l'étape il est la source de mon énergie. Le soir après l'étape il est l'aliment de ma récupération. Même si le Tour de France un jour s'arrête, ma quête du bon pain toujours me fera prendre la route. Je sais qu'un bon boulanger jamais ne renonce et que la nostalgie d'un plaisir gourmand porte chacun vers un rêve infini.
La télé longuement désespérante peut bien nous ennuyer de débats sur l'exclusion ou sur la solitude. Mais je sais que le riche et le pauvre se mêlent devant la boulangerie dans la file impatiente distraite par l'odeur du pain frais. Des journalistes blottis dans leur étrange lucarne peuvent bien opposer le peuple des campagnes aux messieurs de la ville car je sais qu'au coeur de chacun règne le souvenir du pain partagé.
Mais le miroir s'est brisé. Choqué, j'ai appris avec colère qu'un exemple peut se casser dans la banalité.
Comment tous ces responsables qui prévoient et qui parlent pour vous ont-
Le lion et l’autruche
Le 12 août, à midi, Messire Lion, roi des animaux, réunit sa Cour et lui tint à peu près ce discours :
«Moi, roi dont vous admirez la prudence, j'ai dans ma jeunesse lancé un défi au soleil.
Je lui ai dit : tu te crois tout puissant car tu excites les moustiques contre nous mais tu n'es pas capable, un jour en plein midi, de faire de l'ombre à ma fière crinière. Si tu relèves ce défi, jamais plus ma griffe ne saisira le moindre animal pour en faire mon repas et je ne mangerai plus que du pain. Parole de lion, parole de roi.
Hélas, hier le soleil a relevé ce défi d'éblouissante manière. Pendant trois minutes une nuit offensante a terni ma crinière. Manger du pain ne me déplaît pas mais comment ne pas déchoir en cette affaire ?
Mes amis je vous ai souvent dit qu'avoir des idées était de votre part une provocation et que seul votre roi pouvait manier ces outils de l'avenir que sont les idées. Mais si aujourd'hui je perds la face, la honte sera aussi sur vous. J'attends de vous des conseils dignes de mon rang. »
Dans un long brouhaha, la Cour longtemps délibéra. Sire Renard prit la parole :
« Seigneur, l'intelligence que chacun me reconnaît me fait un devoir de t'indiquer le chemin. Pour garder ton rang, tu ne peux frayer avec les petits. Un lion digne de ce nom ne peut manger que le pain des gros industriels. Ainsi restant de pair à compagnon avec les rois de l'argent tu resteras un puissant parmi les puissants ».
Le roi grimaça un peu car il aimait le bon pain.
« Ami Renard, tu parles bien mais qui me dira comment réduire l'empire des artisans qui vont comme nos soeurs fourmis toujours travaillants et toujours agissants ? Ils ont même obtenu une loi pour défendre leur métier. Frère Renard, tu es un peu flatteur. Je veux bien pour notre salut à tous écraser les petits artisans comme je gifle les moustiques, mais comment faire ? A qui me donnera une idée concrète, je donne mon fils en mariage. »
Un grand silence tomba sur la forêt et le soleil, narquois, réchauffa ses rayons. Alors la frêle autruche, rose de désarroi, murmura d'une petite voix timide :
« Sire Lion, je t'offre quatre idées pour bannir les artisans boulangers du royaume des agissants ».
« Petite autruche, sourit le roi, te voilà bien hardie d'oser penser, mais par grâce je t'écoute ».
« Ma première idée, dit l'autruche, c'est de ne pas déranger les boulangers dans leur illusion millénaire qu'ils sont les meilleurs. Surtout ne leur dites pas que leur part de marché n'est plus ce qu'elle était : ils pourraient se réveiller et réagir. Que rossignols et pinsons sifflent que tout va bien et qu'ils peuvent se laisser bercer par la douce musique des situations acquises. Nos amis pigeons pourraient roucouler à leurs oreilles que leur pain est si parfait que les stages de formation sont tout à fait superflus. Sire, tout serait perdu pour vous si devenus lucides, ils découvraient que les bons stages de leur Institut sont la garantie de leur avenir ».
« Ma deuxième idée, dit l'autruche, c'est que tourterelles et hirondelles chantent partout la perfection de leur accueil. Il faut leur faire croire que comme jadis les clients sont dépourvus de choix et qu'ils viendront toujours chez eux. Notre frère serpent a prouvé jadis qu'il savait séduire. Il pourrait jurer à la boulangère que l'amabilité de l'accueil, l'élégance sobre du magasin et la parfaite propreté n'ont aucune importance. Sire, tout serait perdu pour vous si toutes les boulangères considéraient le client comme un ami à conquérir ».
« Ma troisième idée, dit l'autruche, c'est que nos amis coqs chantent haut et fort que le syndicat ne sert à rien. Je les aime bien les boulangers car ils sont un peu comme moi, petite autruche, ils refusent de voir que seule une action solide et bien coordonnée au plan national peut empêcher l'effritement de leur influence passée. Sire, tout serait perdu pour vous si les boulangers se rendaient compte que seul un syndicat national fort peut regrouper l'élan de leurs bonnes volontés pour une action vraiment efficace. »
« Ma quatrième idée, dit l'autruche, est je crois la plus prometteuse. Il faut que nos amis les petits chiens aboient près de tous les fournils et disent aux boulangers qu'il ne faut discuter ni les prix, ni les conseils de leurs fidèles meuniers. Nos petits chiens qui aiment les belles chaînes dorées sauront bien vanter les mérites des chaînes et franchises qui attachent le boulanger au meunier. Il faut leur répéter que leur travail est dur et que tout serait plus facile s'ils confiaient à leurs amis meuniers leur communication, leur comptabilité, leur formation, leur succession. Il faut surtout décorer ce merveilleux meunier, digne de votre amitié Sire Lion pour avoir conquis le droit de dire qui peut s'installer boulanger. Oui Sire, tout sera gagné pour vous si l'indépendance des boulangers se brise au profit des meuniers. Grâce à vous, les boulangers industriels deviendront les rois du pain. Vous pourrez alors tenir votre parole, sans perdre votre rang et vous aurez mis dans la confusion ce flamboyant soleil que vous avez hardiment défié ».
Après un joyeux rugissement, le roi Lion embrassa sans lui faire de mal la petite autruche. Il tint aussi parole et lui donna son fils en mariage.
La flânerie du seigneur Flanine
Le seigneur Flanine flânait au milieu des riches terres à blé de Touraine. Il marchait, solitaire, parmi les épis mûrs. Il allait seul, songeant au beau blé dont il emplirait ses silos. Car le seigneur Flanine était meunier. Une ombre d'inquiétude assombrissait son humeur naturellement conquérante. Depuis quelque temps les rapports de ses vendeurs l'inquiétaient.
Ce n'était encore qu'un murmure mais la rumeur prenait forme : ses clients boulangers redécouvraient l'utilité de leur syndicat. On disait même qu'un coupable esprit de liberté polluait les fournils. Depuis des années le seigneur Flanine régnait tranquillement. Il savait se montrer humain. Il se flattait d'aider financièrement tout jeune boulanger assez travailleur pour lui acheter beaucoup de farine. Mais un air mauvais de libre critique perturbait le climat.
Tout avait commencé par la sotte initiative d'un collègue meunier créant un diplôme pour décider qui pouvait devenir boulanger. Avec les autres le seigneur Flanine avait pensé qu'après quelques geignardes réclamations tout rentrerait dans l'ordre. Mais certains boulangers se mettaient à réfléchir. Et pire, à réfléchir sur le prix de la farine. Le seigneur Flanine voulait reprendre les choses en main. Subtil, il savait qu'aujourd'hui pour défendre ses intérêts il faut les habiller de principes à la mode.
La mode c'est la sécurité alimentaire. Le public refuse qu'un aliment lui fasse prendre le moindre risque. Certes, deux textes arment le pain d'une défense imparable : 1er le décret pain bannit additifs et surgélation; 2ème la loi définissant la boulangerie atteste la rigueur d'un homme de métier. Mais au diable la vérité quand commande la mode.
Au coeur de chacun veille la nostalgie d'un conte enchanteur. En semant, pas à pas, ses mies de pain le Petit Poucet a inventé la traçabilité. Le mot est un peu brinquebalant de lourdeur quand pour se faire comprendre il faut limiter son vocabulaire. Mais c'est un mot à la mode, un mot porteur qu'il faut exploiter. Transporté par l'excellence de son jugement le seigneur Flanine poursuivit sa promenade en précisant son plan de bataille.
Pour gagner, c'est tout simple : il allait créer un pain. Il l'appellerait Flanine, comme sa farine. Il n'imaginait pas meilleure marque que son propre nom. Certes il n'était pas du métier et en créant un pain il mangeait un peu le pain de ses clients boulangers. Tant pis, il enveloppera le tout en disant qu'il propose un service et le mot magique de traçabilité endormira les puristes. D'ailleurs plutôt que d'adhérer à des syndicats les boulangers devraient se placer sous sa protection. Et le seigneur Flanine se dit que le pain Flanine était un drapeau auquel tous ses clients devaient se rallier. Pour éviter que des boulangers osent dirent leur mot il édictera deux règles : la discrétion et la fidélité.
La discrétion d'abord. L’accord commercial qu'il imposera précisera : " Utilisation exclusive de la communication habilitée par la minoterie Flanine*". Pour empêcher les boulangers de parler de leur pain rien ne vaut une bonne censure. Un boulanger est si brave que même bâillonné il saura fabriquer du bon pain pour le seigneur Flanine.
La fidélité ensuite. Le seigneur Flanine aimait trop la fidélité pour imaginer qu'un
de ses boulangers ose écouter les aimables causeries d'un autre meunier et lui acheter
trois grammes de farine. Au nom de la sainte traçabilité, je peux bien se dit-
Tout semblait bouclé. Il avait bien craint quelques secondes l'interrogation indiscrète d'une Administration jadis sensible à la défense des petits artisans. Mais le mot traçabilité est vraiment à la mode et jouer sur la peur est toujours le meilleur moyen de s'imposer.
Il avait un point faible. Il évitait d'y penser. Il priait le ciel pour que les boulangers continuent à sommeiller dans une amitié qu'il entretenait savamment. Tout serait compromis si l'un d'entre eux se mettait à rêver d'une unité affirmant un pouvoir.
Mais il souriait d'une telle menace comme du vieil adage flattant le client d'être un roi. Il veillait au grain et ne doutait pas qu'en devenant boulanger il saurait étendre son influence. Dans cette douce espérance s'achevait la flânerie du seigneur Flanine.
* Ce texte entre guillemets est extrait d'une demande d'avis communiquée officiellement à la profession suite à la demande de la minoterie Flanine de créer un pain Flanine
Quelques lignes de Monsieur Maginot
à son boulanger
Mon cher ami,
Un siècle s'en va et le cœur se serre. Même pour les plus braves le sentiment du temps qui passe est une méchante morsure. On voudrait faire barrage. Moi aussi j'ai cru que les lois et les règles pouvaient bloquer l'invasion de l'ennemi. Plein d'ardeur je suis entré à 23 ans dans ce siècle qui finit. A 53 ans, en 1930, j'ai fait voter une loi pour édifier à la frontière de l'Est une ligne qui porte mon nom. Cette ligne, chacun le sait, a donné à tous un sentiment de sécurité illusoire. Pendant que nous renoncions à l'ombre de cette stratégie défensive l'ennemi se préparait. Pour l'ennemi pas de loi protectrice mais l'élan du mouvement. Une mobilité fulgurante pour nous clouer dans une bien triste défaite.
Depuis 70 ans que je suis au Paradis j'ai retrouvé des milliers de soldats qui comme
moi ont été blessés au front de 1914. Ils me disent tous que pour eux la vie est
revenue quand ils ont retrouvé le bon goût du pain. Comme moi ils entendent chaque
jour monter de la terre que j'ai griffée d'infinies tranchées cette simple demande
: "Donnez-
Au début du siècle vous étiez les rois. Dans chaque village le boulanger était un
grand personnage. Il avait l'amitié de tous et la solidité d'une institution. La
part du pain dans le budget d'un ménage dotait votre métier d'un réel pouvoir politique.
Hélas deux guerres ont fait de vous les gérants jalousés de la rareté. Croyez-
De 1945 à 1978 vous avez âprement discuté, avec une cascade de gouvernements, centime après centime, un prix de pain qui vous semblait toujours insuffisant. Mais en face aucun ennemi ne bougeait et à cette époque tout pain fabriqué était un pain vendu. Vous avez voulu casser ce bonheur ignoré en réclamant la liberté des prix. Votre victoire a ouvert une guerre de mouvement. Vos ennemis, industriels et grandes surfaces, ont pris acte de votre crispation sur le passé. Ils sont sortis des tranchées protectrices de la taxation pour conquérir vos clients. La nouvelle place forte à gagner ce n'est plus le notable de l'Etat c'est le client. Comme moi j'ai multiplié bunkers et tranchées, vous avez redoublé de discours sur votre métier. Les autres ont occupé le terrain : un rayon de pain par ici, un terminal de cuisson par là. Et tous ces terrains minés ferment votre progression. La loi, c'est bien comme règle du jeu mais les lois de la guerre s'appliquent plus dans les livres que dans le combat de la vie.
J'ai trouvé très sympathique votre bataille pour obtenir un décret qui magnifie le "Pain de tradition française" et une loi qui définit la Boulangerie. Vous êtes comme un arsenal qui forge de bons canons mais qui ne s'en sert pas. Vous vous retranchez derrière les mots de la loi pendant que vos amis se moquent de vous. Vous avez arraché plein de textes pour faire respecter un jour de fermeture par semaine. Mais votre ami le gouvernement attendra le prochain millénaire pour sortir la circulaire qu'il vous a promis. Vous faites toujours confiance à vos meuniers mais eux ils sont mobiles et font mouvement pour vous désarmer : Banette a obtenu le droit de dire qui pouvait être boulanger; vos syndicats et vos services de comptabilité perdent des adhérents car les chaînes de meuniers les enchaînent. Vous avez des milliers de soldats mais beaucoup se terrent dans la tranchée de leurs souvenirs et vos forces dispersées ne peuvent tenir une ligne de front. Un fournil ne peut être un fortin efficace pour un boulanger isolé et immobile.
Il ne faut jamais sous-
Les jeunes créent la mode et font bouger la vie. Tous vos succès que vous cachez pour ne pas faire de jaloux sont les réussites de vos jeunes boulangers. Ils sont comme ces soldats que j'ai vu sortir des tranchées protectrices pour se battre et goûter la victoire.
Vous êtes des petits et par vos cris de détresse vous glanez des succès de presse qui souvent restent sans lendemain. J'ai organisé la défense du pays en le figeant dans le malheur des tranchées. Un de mes successeurs en 1940 a appelé au combat heureux en organisant l'armée de mouvement. Renoncez s'il le faut à l'illusion d'être par votre nombre une grande armée. Napoléon a enseveli son armée au retour de Russie sous les coups des francs tireurs. Donnez la parole à vos jeunes, à ceux qui créent, à ceux qui bougent pour que le spectacle de leurs succès donne des forces à ceux qui résignés s'inclinent devant l'habitude.
Je suis un peu dur avec vous. Mais vous êtes si vaillants. Votre pain a donné sa saveur au siècle qui s'en va. J'ai souffert de voir le drame où a conduit ma stratégie d'immobilité. Donnez leur chance aux idées neuves ! La liberté sera votre élan. Mais pas dans le désordre. Face à l'ennemi il faut être mobile sans être dispersés.
Le siècle nouveau ne sera pas l'avenir de celui qui s'accroche aux branches de sa légende.
Les vœux des Rois Mages
Dans le silence du désert la longue caravane des Rois Mages avançait lentement. Depuis
la nuit des temps les trois amis Gaspard, Melchior et Balthazar se réunissaient
tous les mille ans pour deviner l'avenir. Ils se donnaient rendez-
Mais à la veille du 1er Janvier 2000 ils scrutaient les étoiles pour y lire l'avenir du nouveau millénaire. Le protocole des Rois voulait qu'ils déposent leurs cadeaux devant celui dont l'avenir comblerait tous les vœux. Le silence autour d'eux trahissait une attente. Un ange passa. Puis il revint, vêtu en porte parole et déclara : "Leurs majestés m'ont prié d'informer la ville et le monde, les grands et les petits, les riches et les pauvres qu'après avoir salué un Enfant Dieu et un Roi de France le millénaire nouveau sourira au Boulanger de France. On crut à une erreur. La peur du bogue troublait tous les esprits. Mais chacun des trois rois tint à honneur de confirmer son choix en offrant son traditionnel cadeau.
Se levant de son trône en or massif Gaspard parla le premier. "J'offre pour mille ans au Boulanger de France l'or qu'il mérite. La croûte dorée de son pain est plus brillante que l'éclat des étoiles. Nous scrutons toute la surface de la terre et n'avons pas trouvé d'engagement plus pur dans un métier aussi noble. Nous souhaitons que pour l'avenir notre ami boulanger soit fier de son travail et n'ait point honte à fixer le juste prix qui le fasse vivre dignement. Nos amies les étoiles observent le boulanger dans le silence complice de la nuit et nous disent que son travail est source de plaisir pour beaucoup. Que ce bonheur du travail bien fait dure mille ans !
Je ne souhaite pas la fin de la concurrence car par son talent le boulanger peut relever tous les défis. Mais je souhaite la fin d'une injustice et j'inviterai le gouvernement à faire loyalement appliquer la fermeture hebdomadaire. Il n'y a que lénifiante attitude et malveillance coupable à différer toujours la claire application d'une juste mesure. Depuis deux mille ans que nous guettons les étoiles le jour de repos est la loi de tous. Le Boulanger de France ne doit être exploité abusivement comme une machine. L’or que chacun veut honnêtement gagner ne peut l'être au prix de la cassure de l'autre. "
Emergeant doucement d'un nuage d'encens Melchior prit alors la parole: "L’encens que j'offre au boulanger est signe de gloire et de confiance. Qu'en l'an 2000 il prenne conscience de sa force et repousse les idées noires comme le vent dissipe l'encens. Il y a quelques jours j'ai médité du haut des étoiles sur les événements de Seattle. On voit mieux la vérité avec un peu de recul. L’échec spectaculaire est dû à la volonté totalitaire des grands fournisseurs d'imposer partout et à tous les règles des grandes surfaces et des industriels. Les gens refusent de vivre en consommateurs connus des seuls fichiers informatisés. L’artisan boulanger mène le bon combat : celui d'un homme de métier qui offre à tous un pain vérité et qui ne veut pas se laisser enchaîner par les financiers et les fournisseurs. Nous, mages, avions lu dans les étoiles que le succès de la loi définissant la Boulangerie annonçait l'échec de Seattle.
Je forme le vœu que cet encens fasse un peu tourner la tête à notre ami boulanger en lui inspirant la confiance en soi. Etre modeste quand on est le meilleur c'est laisser le champ libre aux médiocres. Que le désir joyeux d'afficher son image le rende fier de son enseigne, cette silhouette de boulanger qui tutoie les étoiles. Je souhaite que cette enseigne éclaire nos rues comme les étoiles notre ciel d’hiver. "
C'est alors que Balthazar s'avança plein de vitalité, les bras chargés de myrrhe. "J'offre au Boulanger de France cette plante magique qui, chacun le sait, donne le tonus qu'il faut pour se jouer des difficultés. Les problèmes ne manqueront pas mais je vous souhaite la force de les affronter. Le dossier des 35 heures est pour vous un piège redoutable. Vous avez été tenté par le refus catégorique et la contestation totale. Bien que roi détestant la contestation j'avoue que je vous comprends. Il faudrait jouir de pouvoirs magiques pour faire un pain de qualité en temps concentré. Dieu merci, nous Rois Mages gardons notre monopole de la magie. Mais pour déjouer ce piège de votre gouvernement vous avez un fil conducteur : l'accord cadre que vous propose votre Confédération. C'est un outil souple pour gérer la réalité. Je vous souhaite tonus et bonne humeur pour suivre ce fil comme nous suivons notre bonne étoile dans la nuit.
Le tonus qu'offre la myrrhe vous sera bien utile pour ranimer votre esprit syndical. Votre syndicat est d'abord un lien entre vous, un lien d'amitié, un lien d'intérêt, un lien d'ambition partagée. Ce lien je vous souhaite de lui donner vie chaque jour par une confiance renforcée dans l'action commune. Vous vivrez un millénaire de bonheur si vous aidez votre syndicat à regrouper les forces dispersées de votre métier. "
Les trois Rois Mages, confiant en l'avenir de ce beau métier, décidèrent de faire graver sur le livre d'or de Gaspard :
"A l'aube de l'an 2000 souhaitons Santé, Bonheur et Prospérité aux boulangères et
aux boulangers. Merci de donner le meilleur de vous-
L’arbre, la violence et l’école
Ces millions d'arbres blessés, brisés, couchés nous font encore mal. Cette colère de la nature nous marquera pour longtemps. La tempête a donné une bien sévère leçon à notre époque qui veut tout et tout de suite. Nous avions oublié que construire un arbre demande des années et que la violence peut tout casser en dix minutes. Eduquer un homme exige aussi des années d'attention et la violence peut tout détruire.
C’était un jour calme pour emploi du temps banal dans une école de Mantes la Jolie. Dans une classe de troisième deux élèves de 18 ans se sont fâchés car un plus jeune ne voulait plus faire leur devoir d'espagnol. Ils l'ont donc basculé par dessus la rampe de l'escalier du troisième étage. Et soudain la France a basculé dans l'inquiétude.
Dans le passé tout était clair. La fonction de l'école était de transmettre le savoir. On ne discutait pas le principe. On était d'autant plus homme, d'autant plus responsable qu'on était plus instruit, plus cultivé, plus éduqué. Cette vérité était aussi un moteur : elle poussait les parents à pousser leurs enfants pour qu'ils fassent de bonnes études. L'école était le juge de paix de la promotion sociale. Mais il y avait aussi, tacitement admise, l'idée que l'école sélectionnait les meilleurs. Chemin de beaucoup de possibles l'école n'était pas le chemin de la facilité.
Depuis mai 1968 le vent de la liberté et de l'égalité est si violent qu'il a cassé
l'école comme la tempête a brisé nos arbres. La règle est désormais : " Il est interdit
d'interdire ". Nos repères ont été brisés comme nos arbres ont été détruits. Tous
les jeunes ont maintenant droit aux mêmes diplômes quelles que soient leurs aptitudes
personnelles. Cet objectif est même devenu un slogan politique. " Le bac pour 80%
des jeunes ". La promesse politique sera tenue car il faut bien être réélu, le bac
dût-
Tocqueville disait que la démocratie pour vivre a besoin de beaucoup de vertu. L'égalité et la liberté sont les piliers de la démocratie. Ils en seront demain les ennemis si chacun peut faire librement n'importe quoi. L'autorité a peur de son ombre. Le gouvernement nous a promis une juste circulaire qu'il n'ose diffuser par peur de déplaire à nos concurrents.
Le gouvernement préfère plaire aux enseignants en finançant des chercheurs en sciences sociales dont nous avons sélectionné trois perles :
1°-
2°-
3°-
Il ne viendrait à l'idée de personne de respecter assez les jeunes pour leur dire d'une voix forte que s'ils ne travaillent pas à l'école ils vont droit vers l'exclusion et le chômage. Le gouvernement, qui ne prend pas le risque d'envoyer la police dans les quartiers difficiles, prend le risque de garder des jeunes de 18 ans dans une classe garage. C’est le meilleur endroit pour faire mûrir l'amertume d'être inutile. C’est parce qu'ils ont le sentiment que rien n'a de sens que des jeunes mettent tout sens dessus dessous. Mais comment donner du sens quand défendre des valeurs apparaît dépassé, conservateur, ringard ?
Certes loin du tohu-
Au nom de la sacro-
Renan avait raison de dire : "Une école où les écoliers feraient la loi serait une
triste école". Certains jeunes gênés par ce qui subsiste de règle à l'école préfèrent
le conseil de Marat : " C’est par la violence qu'on doit établir la liberté ". Que
ferons-
Depuis des années la tendance est de parquer les jeunes à problème dans des zones où n'habitent pas les journalistes et les gens qui font l'opinion. Mais que la loi du plus fort comme une mauvaise gangrène se glisse dans les beaux quartiers et l'urgence sera forte de redécouvrir les vraies valeurs qui fondent la démocratie. Respect de l'égalité, mais l'égalité dans l'effort comme l'a toujours fait l'école de la République. Respect de la liberté, mais la liberté qui se grandit par le respect de la loi.
L'amour du travail bien fait est une vraie valeur. Avant de vouloir tout régir dans la pagaille l'Education Nationale pourrait s'inspirer de la sagesse de nos maîtres d'apprentissage. Plutôt que de former et réformer par des règlements, ils forment avec patience, d'homme à homme, laissant au temps le soin de mûrir l'exemple qu'ils donnent. Je connais un boulanger qui a eu le bonheur de former deux années de suite un "meilleur jeune boulanger". J'ai lu sur son visage sa fierté d'avoir su transmettre son métier et former un homme.
L'apprentissage a toujours su faire vivre les notions d'exemple, de patience, de discipline et de respect de l'autre. Tout simplement parce qu'il ne se vit pas dans les mots de la politique mais dans la réalité.
L'art de faire du bon pain est l'honneur de tous les boulangers et ne peut faire l'objet d'un brevet
Cinq boulangers sont réunis dans un lieu tenu secret. Ils se taisent et leur silence révèle la gravité du moment. A eux cinq ils résument le talent légendaire du métier. Ils sont les artistes du pain. Ils créent les saveurs les plus envoûtantes. Leur pain fait courir la fine fleur des gourmands. Ils sont les meilleurs. Ils le savent. Ils se réunissent car une menace pèse sur leur suprématie. Le danger est ancien mais ils l'avaient dédaigné. Les meilleurs parfois sont tentés par le dédain. Mais venons au fait. Le 13 septembre 1993 la Confédération a obtenu un décret qui définit le "Pain de Tradition Française". Une définition claire et simple : ni additifs, ni surgélation. Ces deux conditions imposent une méthode qui, honnêtement respectée, garantit à tout boulanger un bon pain. C'est pourquoi nos cinq artistes du pain décident d'intervenir.
Et chacun à son tour de donner son avis.
Le premier se nomme Grignain. Blanchi dans les fournils il a conquis une notoriété
justifiée. Personne ne résiste à l'émotion qu'il instaure en évoquant son apprentissage
chez un maître vénérable qui lui a enseigné l'art de la grigne unique. Sa devise
est : "Respect de la fermentation". Il a longtemps marché seul sous sa bannière.
Du pays du soleil levant au pays du soleil couchant son nom est un drapeau de qualité.
Il veut bien partager le talent dont le ciel l'a doté. Il s'est d'ailleurs découvert
un don de formateur. Partager, oui, mais il ne faut pas exagérer. De quoi se mêle
la Confédération en voulant faire de tous les boulangers de bons boulangers ? Ce
décret "Pain de Tradition Française" risque de démocratiser la qualité. Dieu merci,
il a trouvé une parade. "Je serai seul, dit-
Le second prit alors la parole :" Mon nom est " Honoré de Grigne " et j'ai l'honneur d'avoir reçu de mes aïeux l'art d'introduire dans l'élaboration du pain le respect de l'authentique. Le pain est le symbole de la vie. La vie qui est diversité et non monotonie. La vie est double et le chiffre deux la symbolise. La vérité débusque l'erreur. L’ombre sculpte la lumière. L’homme hésite entre le oui et le non. Même aujourd'hui il faut encore un couple pour faire un enfant. Il faut aussi un couple pour faire vivre une boulangerie. J'ai besoin de mes deux mains pour façonner mon pain. Je le proclame donc : mon pain sera signé par une double grigne. Deux traits marqueront sur toute la Iongueur de mon pain qu'il est l'œuvre du boulanger "de Grigne". Comme mon excellence sert l'intérêt général je demanderai aux tribunaux d'interdire à tout autre boulanger de signer d'une double grigne."
Le troisième prit ensuite la parole : "Mon nom est Trigrigne et je suis boulanger à Troyes dans l'Aube. De l'aurore au crépuscule dans le creuset de mon fournil je crois créer le mystère du pain. C'est une religion qui a sa trinité : pétrissage, fermentation, cuisson. Trois est le signe de la perfection dont le triangle est l'image. Le trisaïeul de mon maître d'apprentissage m'a révélé le secret de la qualité : trois grignes donnent au pain la saveur du bonheur. Je le proclame donc : mon pain sera signé par une triple grigne. Chacun saura qu'il n'y a de bon pain que celui de Trigrigne. Que les magistrats se le disent : tolérer un autre pain serait une offense à l'intérêt général."
Le quatrième se leva : "On m'appelle Quatgrigne car avec quatre sous j'ai créé quatre
boulangeries. Le secret de ma fortune est dans le respect de la nature. Au début
de chacune des quatre saisons je change ma recette de pain. Pour moi il n'y a pas
de règle et il faut accepter de prendre des risques dans la vie comme on doit choisir
entre les quatre chemins d'un carrefour. Le carré est le seul label de qualité et
de vérité. Ne dit-
En hésitant le cinquième prit la parole : "Vous êtes si fiers de votre force chers confrères en boulange que je n'ose pas vous avouer mon forfait. Mon crime est si peu banal que je crains d'être banni des bannetons si je brandis ma bannière. Depuis des lustres j'entends les artisans répéter que la main est la preuve de la grandeur de l'homme. J'ai donc décidé de demander au Ministre de la Qualité d'homologuer officiellement ma décision d'apposer cinq grignes sur mon pain. Je pense obtenir que dans l'avenir pour avoir le droit de s'installer boulanger il faudra soit être de mes amis, de mes clients comme disaient les romains, soit me payer une taxe pour avoir le droit d'apposer cinq grignes sur son pain. Car enfin je fais de la formation et il est bien normal que je demande une lourde redevance pour user de mon brevet. Si vous êtes intelligents vous comprenez bien qu'on ne peut faire du bon pain qu'avec cinq grignes. Votre intérêt est de me suivre car ma bannière est double. J'ai en effet découvert que les deux extrémités d'une baguette n'étaient pas aussi plates que le cul d'une bouteille ou le fond d'un yaourt. J'ai donc décidé de dire que les deux bouts de ma baguette sont pointus. Je défendrai en justice mon droit de taxer tous les boulangers qui prétendraient faire du pain si leurs bouts ne sont pas plats. Je pourrai ainsi m'offrir beaucoup de publicité à la télévision. Ah j'oubliais de me présenter. Mais tout le monde me connaît : je m'appelle Saint Grigne."
Un grand silence s'établit. L’ange de la discorde passa. L’ombre d'une guerre générale menaça. Mais on entendit tinter dans le lointain le bruit ami d'un tiroir caisse. Chacun songea aux beaux écus qu'allait coûter une guerre générale. Et des murmures d'armistice grignotèrent le silence des cinq boulangers majeurs.
Quelques jours plus tard on lut dans la presse le communiqué suivant : "Les cinq meilleurs boulangers de France ont décidé de s'échanger mutuellement des attestations reconnaissant le caractère original de la signature de leur pain. Ce caractère original se prouve par le nombre de grignes du pain. Tout prétendu boulanger qui sans droit prétendrait faire du pain en signant son produit par une ou deux ou trois ou quatre ou cinq grignes sera déchu à vie du droit d'exercer le métier. La peine sera doublée pour tout boulanger qui prétendrait que son pain a des bouts pointus. L’indulgence pourra être accordée à qui saura s'incliner pour payer les droits de brevet."
Vous avez dit bizarre ?...
Il était une fois des boulangers dynamiques. Ils étaient même un peu bizarre : lors de leurs réunions syndicales personne ne criait contre les collègues, contre la Confédération ou contre le gouvernement. Pour eux les problèmes ne résultaient pas de la faute des autres. Ils ignoraient même l'expression magique "y a qua". Ces boulangers toniques eurent une idée pour développer leur activité. Ils créèrent un groupement pour livrer du pain aux collectivités. Chaque boulanger assumant fidèlement sa part de fabrication cela donnait à leur union puissance et efficacité. Bien sûr que le pain soit livré par Pierre, Paul ou Jacques son prix était le même pour la collectivité cliente. Les pouvoirs publics furent attristés par cette sage innovation décidée en dehors de leur contrôle. Pensez donc, que des petits boulangers s'organisent pour jouer dans la cour des grands ! La Commission de la Concurrence fut saisie. Ils décidèrent de casser ce zèle en utilisant la loi contre les ententes. Un procès fut instruit. Le prix identique pratiqué par les boulangers groupés fut considéré comme une entente quasi criminelle. La loi était mauvaise mais elle était la loi et il fallut céder. Les boulangers n'allèrent pas en prison mais ils durent cesser de s'unir pour servir.
Danone-
Ainsi pour se bâtir une image forte la première règle est d'être politiquement correct.
La seconde est de cultiver sa capacité de nuisance. Prenons l'exemple des cheminots.
Il est politiquement correct de respecter la légende d'un métier héroïque. Mais est-
A mon humble avis, le travail des ouvriers boulangers est aussi dur que celui de
beaucoup de cheminots. Mais leur capacité de nuisance est beaucoup plus faible et
le Premier Ministre ne se précipite pas pour lâcher du lest. Normal, parmi les grévistes
il espère beaucoup d'électeurs. Les jeunes vont trouver ça bizarre que pour réussir
dans la vie demain il faille peaufiner sa capacité de nuisance plutôt que sa compétence.
En donnant avec nos impôts raison aux cheminots bloqueurs le gouvernement se donne
une belle couleur sociale. Si être social c'est céder, pourquoi le gouvernement ne
reprend-
Mais cette semaine la palme de la bizarrerie revient au Président de l'UPA. Vous savez que la Confédération de la Boulangerie a quitté la Cgad parce que depuis des années elle réclamait en vain une représentation proportionnelle au nombre d'entreprises. Cela lui a été bien brutalement refusé. Vous avez dû trouver drôle de lire dans toute la presse le discours du Président de l'UPA qui coiffe la Cgad. Il réclame avec force au Medef une représentation proportionnelle au nombre d'entreprises et de salariés qu'il croit représenter. Voilà une nouvelle illustration du proverbe : "Faites ce que je dis, pas ce que je fais ", ou plus égoïstement "Ce qui vaut pour moi ne vaut pas pour les autres ". Vous avez dit bizarre ?...
" Loft story "
La France ne parle que de ça. Les propos des reclus de l'Elysée font toutes les conversations. Un accident technique est devenu un événement médiatique, plus : un fait de société. Rappelons que ce drame national s'est noué mercredi dernier à l'issue du Conseil des Ministres. Selon le plus récent communiqué c'est un mouvement social à l'Edf qui a provoqué le blocage des portes électroniques qui assurent à l'Elysée la sécurité des maîtres de l'Etat. Depuis huit jours une femme et quatre hommes ne peuvent plus sortir et sont coupés du monde. Jacques, Bernard, Elisabeth, François et Laurent vivent entre eux 24 heures sur 24. Nous avons pu capter leurs propos libérés des contraintes du vedettariat politique.
Jacques : "Notre destin de responsables politiques est d'être malmenés par les grèves des services publics. Ma longue carrière m'a appris la patience pour rebondir. Mais, vraiment, huit jours sans pain frais cela devient insupportable. Le pain industriel stocké dans ce bunker de crise peut permettre de survivre. Mais je l'ai déjà dit : ce n'est pas un aliment pour les chrétiens. Tous les cinq nous n'étions pas amis mais on savait sauver les apparences. Cohabitation oblige. Sans bon pain d'artisan je crains une baisse de notre moral et donc une tension au sommet de l'Etat. Nous sommes comme tous les Français : pour avoir confiance en l'avenir il nous faut notre bon pain croustillant. L'Elysée, c'est bien, mais sans pain frais je ne rempile pas et je retourne en Corrèze."
Bernard : "Je vous approuve Monsieur le Président. En tant que Ministre de la Santé je confirme que le boulanger est un élément essentiel de l'harmonie sociale. Je suis très inquiet des dérives technocratiques qui étouffent cet honnête artisan. Toutes les études médicales prouvent que le pain ne fait pas grossir et que sa consommation conviviale apaise les conflits. Au Kosovo le retour du boulanger a ouvert un chemin vers un semblant de paix. Ce confinement monacal doit nous faire réfléchir. La disparition programmée de l'artisan boulanger peut ouvrir un mauvais chemin vers un trouble social."
Jacques : "Vous parlez toujours vite Bernard. Personne ici ne veut nuire à l'artisan boulanger ."
Bernard : "Personne ne l'avoue mais l'obligation des 35 heures va casser du boulanger."
Elisabeth : "C'est exact mais c'est le prix à payer pour appliquer une réforme sociale
qui marquera l'histoire de la gauche. En tant que Ministre du Travail je ne veux
pas la mort du boulanger mais comment imposer un tel changement sans faire passer
toutes les entreprises sous la même toise ? Je veux être juste et pour moi une entreprise
de 3 salariés doit respecter les mêmes règles qu'une entreprise de 1 000 salariés.
En travaillant plus que les autres les boulangers maintiennent cette valeur archaïque
du respect du travail. Ils veulent progresser socialement ce qui est une injure à
la notion d'égalité. J'ai confiance car en privant d'aides financières les boulangers
qui font faire des heures supplémentaires je les obligerai à s'aligner. Je ne fais
d'ailleurs qu'appliquer la politique définie par Martine qui m'a légué un dossier
difficile. Toi, Laurent, tu serres dur les cordons de la bourse. J'ai plus de coeur
que vous croyez et si j'avais de l'argent je ferai peut-
François : "Enfin, Elisabeth, si on veut être élu il faut faire un peu de politique. Ne laissons pas à Jacques le monopole du coeur pour défendre les boulangers. Moi je suis leur ministre et je rencontre les artisans. Les boulangers n'ont pas de capacité de nuisance. C'est heureux pour nous. Mais ils rassemblent, ils animent, ils agissent. J'ai vécu avec eux la Fête du Pain. Avec un budget de misère ils font vivre l'image de leur métier. Moi qui suis chasseur, j'ai flairé à Angers comme à Paris les traces d'une très vive passion pour leur métier. Il ne faut pas trop leur tirer dessus. Les 35 heures ajoutées à l'Euro ça fait beaucoup. Je m'étonne que Laurent, sensible aux humeurs du temps, n'adapte pas son discours."
Laurent : "Je n'ai rien à changer. Ma ligne politique fut toujours droite. Le boulanger et le Ministre des Finances ne font pas le même métier. Lui, c'est lui, moi, c'est moi. Mais mon amitié pour ce métier n'a plus à être prouvée. En 1998, président de l'Assemblée Nationale, j'ai fait prestement et unanimement voter une loi protégeant l'appellation « boulangerie ». Cette loi est la source d'un renouveau de qualité dans ce métier. Je veux bien encore faire un effort. J'ai quelque honte, je l'avoue, à verser aux grandes surfaces de grandes subventions et à refuser des petites aux boulangers. C'est vrai, avec trois salariés, ils ne peuvent du jour au lendemain passer de 45 à 35 heures. Sinon c'est le boulevard du travail au noir car ils ont de la peine à trouver des ouvriers. Je défends la politique d'égalité pure et dure mais, comme on dit depuis quelque temps, « sous bénéfice d'inventaire ». Je proposerai donc à Lionel que dans l'intérêt national et électoral un budget spécial aide les boulangers à passer ce cap difficile."
Elisabeth : "Laurent, tu ne lâches pas du lest pour me faire plaisir. Tu t'adaptes parce que le 1er janvier les boulangers seront en première ligne pour appliquer l'Euro et leur désarroi peut troubler ton image. Ne refusons pas ce que la prudence politique peut nous faire gagner. J'avais en douce préparé une exception pour les routiers dont les barrages peuvent nous barrer la victoire électorale. Je vais essayer de faire glisser les boulangers dans ma case " Dossiers sensibles à régler d'urgence".
Jacques : "Mieux vaut tard que jamais. Faut-
Lettre d'Usbek à son ami persan resté au pays
Les "raves parties"
Une poudre inconnue en Perse est ici fort à la mode. Cette poudre blanche est une des choses qui a le plus exercé ma curiosité en arrivant en France. Ignorant les usages je regardais cette poudre comme une chose banale. Des amis m'ont affranchi. Ils m'ont expliqué que les ministres de ce pays avaient formé le dessein d'utiliser cette poudre pour distinguer entre les bons et les mauvais citoyens. Car il existe deux poudres semblables au toucher mais fort différentes au goût.
L'une s'appelle la drogue. Elle ne vient ni de Bretagne ni de Provence où la nature
si pure offre gratuitement la santé et le bonheur. Elle vient de pays plus lointains
encore que notre Perse tant aimée. C'est un produit rare et très cher. Toutes les
polices de ce pays-
Le gouvernement a voulu agir. Le ministre de l'Intérieur a reconnu que "chaque semaine
des risques sont pris pour la vie des jeunes". Mais la nation a sursauté d'effroi.
Oserait-
"Le gouvernement crée le délit d'entrave à "rave partie". (C'est ainsi qu'on appelle ces cérémonies musicales de distribution de poudre blanche). Le gouvernement reconnaît que vouloir prévenir des risques c'est porter atteinte à la liberté de la jeunesse. La rave partie est l'expression d'une culture et ne peut être brimée. Brimer serait ultrasécuritaire et la sécurité n'est pas la priorité du gouvernement. Le gouvernement constate que le succès de la "rave partie" justifie sa volonté de privilégier le loisir par rapport au travail. Les "raveurs" sont aussi des électeurs."
Une déclaration aussi nette a mis au pas ceux qui selon le chef des polices écoutaient avec sympathie les propos critiques des populations qui " subissent les nuisances de ces rassemblements non maîtrisés."
Mais le gouvernement inquiet a cherché où porter la vengeance d'un pouvoir surpris.
Il a trouvé sur qui lever le bras inflexible de la Loi. Toute la faute venait de
la poudre blanche. Il a donc créé l'obligation d'entrave au travail de la farine.
C'est une poudre blanche merveilleuse que des artistes d'ici -
"La poudre blanche dénommée farine fait à la drogue distribuée dans les raves parties
une concurrence malhonnête et déloyale. Tout bon citoyen fera entrave à son usage.
Le gouvernement frappera les boulangers par le tiroir-
Le gouvernement décide sans état d'âme d'exclure des aides publiques les boulangers
obligés de faire faire des heures supplémentaires à leurs salariés. Ne pouvant payer
de bons salaires ils perdront ainsi l'appui de leurs bons ouvriers. Contraints de
faire du pain à la va-
" Comme l'a dit le Ministre de l'Education Nationale, toute autre politique serait "démagogique et ultrasécuritaire".
Elections présidentielles au printemps.
JEAN FOURCHAUD CANDIDAT ?
La nouvelle a cassé dans les salles de rédaction la torpeur de l'été. Un boulanger candidat à l'Elysée, cela ne fait pas sérieux. L'usage veut que les postes importants soient réservés aux gens estampillés supérieurement intelligents et capables de définir et de servir l'intérêt général. Tous les notables que nous avons rencontrés nous ont unanimement déclaré : " Nous aimons notre boulanger. C'est un dieu dans son fournil. Mais qu'il y reste ! ". Pour que nos lecteurs puissent se faire une opinion nous avons demandé à notre ami Jean Fourchaud le pourquoi de son étrange démarche. Voici le texte de sa déclaration exclusive :
" En France pour être écouté, il faut être capable de choquer ou de nuire. Un boulanger ne sait pas nuire mais en déclarant ma candidature je suis conscient de choquer. Lors de la campagne en expliquant mon programme j'espère gagner la confiance de ceux qui veulent faire respecter la justice et le bon sens. Ma politique est simple. Elle se résume en trois mots : Liberté, Egalité, Fraternité.
LIBERTE. Nous sommes plusieurs à ne pas comprendre. Le gouvernement se bat pour qu'aucune
ombre ne gêne les organisateurs de " rave parties ". Ils ont le droit absolu d'envahir
par milliers une propriété privée pour y distribuer librement de la drogue en laissant
à leur départ des victimes que la société doit soigner et des saletés que la société
doit nettoyer. Nous les boulangers nous n'avons pas le droit d'organiser librement
le travail de nos salariés. Le 1er janvier prochain il nous faudra bouleverser brutalement
notre façon de panifier pour travailler quatre heures de moins. Sinon la sanction
financière sera une grave menace pour l'avenir de nos entreprises. Certains d'entre
nous pourront appliquer les 35 heures. C'est bien et je souhaite qu'ils soient de
plus en plus nombreux. Mais pourquoi refuser la liberté de travailler à ceux qui,
actuellement, ne peuvent réduire brutalement le temps de travail ? Je constate que
la volonté de l'Etat de vouloir régenter la totalité de notre vie est une atteinte
au principe de liberté. Le gouvernement tolère-
EGALITE. Si je suis candidat c'est pour défendre l'idée d'égalité. Actuellement cette
idée est utilisée par le gouvernement comme alibi pour multiplier sans cesse les
réglementations et textes qui nous privent du droit de conduire notre vie. Par exemple
puisque les 35 heures conviennent aux grandes entreprises le gouvernement décide
au nom de l'égalité de les imposer aux petites selon sa devise " Tout le monde sous
la même toise ". Au cours de la campagne électorale je développerai l'idée qu'une
honnête politique doit respecter EGALEMENT toutes les personnes et toutes les structures
sociales. Pourquoi par exemple, avec un acharnement évident, le gouvernement défend-
FRATERNITE. Il faut vivre avec son temps et défendre des principes ne signifie pas ignorer les évolutions sociales. Je reconnais donc que la fraternité aujourd'hui prend le visage de la PROXIMITE. En tout cas je pense que sur ce point personne ne peut nier le vécu quotidien du boulanger pour comprendre et faire vivre la proximité entre personnes différentes qui se rencontrent dans un lieu de respect mutuel. Le pouvoir ne doit pas rester le jouet valorisant de notables coupés du peuple qui se protègent dans une tour d'ivoire loin des problèmes réels. Déléguer la pratique des responsabilités à des techniciens européens, nationaux ou régionaux n'est pas non plus la solution. Le temps d'une élection est l'occasion de regarder au delà des murailles de règlements. Pour que ne soient pas laminées les petites entreprises et les hommes qui les font vivre. C'est tout le sens de mon combat ".
Notre journal laisse bien sûr à Jean Fourchaud l'entière responsabilité de sa déclaration.
La raison du plus fort...
La raison du plus fort est toujours la meilleure. L'actualité nous le prouve à toute heure. Un boulanger se rémunérait honnêtement en panifiant une farine toute pure. Un lion survient de Bercy qui cherchait devanture et qu'une faim de gloire en ce fournil attirait. Qui te rend si hardi de troubler mon image ? dit ce lion plein de rage. L'Euro pour moi doit être source de gloire et toute hausse du pain à mon prestige est attentatoire. Je te le dis en amitié : que le peuple doute de ma sévérité et mon avenir de Président par tous sera déchiré. J'ai donc inventé en ma lionne fureur un mal qui répand la terreur : la Fausse Rumeur (puisqu'il faut l'appeler par son nom), capable d'appauvrir en un jour les boulangers de renom. Ils ne mourront pas tous mais tous seront frappés.
Je veux bien donner l'illusion d'un sage démocrate dissimulant son zèle autocrate et j'admets que du pouvoir la conquête vaut bien que mes bureaux offrent l'illusion d'une hypocrite enquête. Conduire le passage à l'Euro est pour moi la marque d'un fabuleux destin. Mais avant de sortir les griffes de ma rigueur je veux bien de chacun prendre les avis pour ne punir de tous que le plus odieux profiteur. Pour rester ambitieux aujourd'hui il faut paraître juste. Voyons donc sans indulgence l'Etat de notre conscience. Pour moi satisfaisant de l'Etat l'appétit glouton j'ai pour créer l'Euro dévoré force contribuables et jamais je l'avoue l'impôt ne fut si épouvantable. Mais je pense qu'il est bon que chacun s'accuse ainsi que moi.
Sire de Bercy, dit la gazelle, vous êtes trop bon roi. Vos scrupules font voir trop de délicatesse. En croquant ces contribuables vous leur faites trop d'honneur car ils se font chimère de croire toutes vos promesses. Quant à moi, présidant le Gaz de France, j'ai le bonheur, toute gazelle que je suis, de battre le record d'inflation en augmentant sur un an le prix du gaz de plus de vingt pour cent. Ce n'est rien dit la Très Grande Vipère car du gaz ne peut émaner une lourde douleur. Quant à moi pour faire filer de Paris à Marseille le TGV de vos wagons bleutés j'ai augmenté sérieusement le 1er septembre. Nul ne m'a critiquée. Mon initiative a été reconnue comme une courageuse décision d'entreprise. Une sonnerie retentit et Auchan s'avança sur le tapis des juges. Ce n'est rien Très Grande Vipère car tu es en dehors des règles communes. N'oublie pas qu'en vérité tu vis plus de l'impôt que de tes clients. En augmentant le prix du train avant l'application de l'Euro en aucun cas tu ne dérailles. Et si quelqu'un te siffle, ô Très Grande Vipère, tu pourras toujours faire grève et laisser tes clients sur le quai.
Soudain, devenant de plus en plus blanc, Auchan avoua une augmentation de lessive de trente pour cent. Le silence lui aussi devenait blanc. Mais un petit lézard vert sorti de la nature sonna la défense d'Auchan. Toute cette lessive permettra de blanchir beaucoup d'argent et grâce à vous nous aurons des Euros bien propres. Six mois avant les élections il serait bien sot de noircir une grande surface. Et tous opinèrent pour acquitter Auchan. Parmi les feuilles mortes on perçut alors un frisson. Trente feuilles grises prirent la parole dans un même onctueux froissement. Nous sommes le journal Le Monde et sommes fières de vous annoncer une hausse de 40 centimes. Sommes nous coupables ? Mais non, glissaient en souriant les juges prudemment indulgents. Chacun sait que vous êtes feuille politiquement correcte. La loi commune ne peut concerner le pain quotidien des purs intellectuels. Soyons sérieux, 40 centimes c'est une misère. Vous méritez plus pour répandre la bonne parole de la majorité plurielle.
Enfin le boulanger timidement s'avança. Je l'avoue, dit-
Un homme, quelque peu clerc, parlant dans une étrange lucarne, prouva par sa harangue qu'il fallait condamner ce petit boulanger dont venait tout le mal. Sa peccadille fut jugée un cas pendable. Vendre son travail au juste prix, quel crime abominable ! Rien que mille amendes n'étaient capables d'expier son forfait. On le lui fit bien voir. Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de Bercy vous rendront blanc ou noir.
La dictature de l’horloge
Les 35 heures
L'Avare de Molière rasait les murs de sa maison en criant : "Ma cassette, ma cassette". Cette crispation en a fait pour des siècles un triste sire. Aujourd'hui, l'objet fétiche est l'horloge. Elle est devenue le tabou de la société. S'affranchir de la loi de l'horloge c'est se mettre hors la loi. Le pouvoir veille. Il n'a plus ni cagnotte, ni cassette mais il se crispe sur l'horloge pour faire sentir la rigueur de sa puissance.
Artiste de nos ridicules, Molière faisait sourire la cour de Versailles. Jaloux de nos libertés minuscules le pouvoir fait pleurer les honnêtes gens de Versailles et d'ailleurs. Même Molière n'aurait pas osé inventer cette histoire symbolique. A Versailles des policiers accrocheurs poursuivent un méchant malfaiteur. Le dossier est solide. Le trafic de drogue évident. Les défenseurs de la loi arrêtent le suspect préservant ainsi des innocents de l'horreur de la drogue. Mais le policier ne tient pas la clé de la prison. C'est Monsieur le Juge. Et après 19 heures on n'enferme plus. Notre drogueur résigné fut donc condamné à ...reprendre sa liberté ce qu'il fit de surprise mais de bon gré. Il ne savait pas que la loi c'est la loi et qu'après l'heure ce n'est plus l'heure.
Le nouvel art de gouverner est ainsi. La lettre de la loi dédaigne l'esprit de la
loi. La démocratie c'est peut-
Ne voyez-
Au fond de milliers de fournils quelques irréductibles s'acharnent autour du pétrin pour faire du bon pain. Ils oublient leur montre un peu détraquée par la farine. Ce qu'ils aiment c'est le travail bien fait qui permet à la boulangère d'engranger des euros. Mais un jour un envoyé de Monsieur Jospin a rompu l'harmonie de ce monde tout blanc. Il ne comprenait pas que l'horloge n'ait pas encore gangrené ce paisible univers de travail. Il a décrété que la dictature de l'horloge devait aussi faire le bonheur du peuple farineux.
Les boulangers d'abord abattus se sont réunis. Ils ont respectueusement sollicité que Monsieur Jospin pose son regard sur la réalité de leur métier. Honnêtement ils reconnurent qu'ils faisaient beaucoup d'heures. Sérieusement ils proposèrent de réduire fortement leur temps de travail. Mais ils ne pouvaient du jour au lendemain travailler aussi peu que la plupart des autres. Ils ne revendiquaient rien, seulement du temps pour faire du bon pain et pour bien servir leurs clients. Ils défilèrent même à plus de 4.000 dans la grande ville de Paris pour réclamer du temps pour travailler librement. Le ministre leur donna de bonnes paroles. Ils connurent un grand espoir : le lendemain de leur manif le gouvernement publiait au journal officiel un texte leur accordant un supplément d'heures supplémentaires. Hélas ce cadeau n'était que du vent. Le gouvernement avait failli se montrer humain mais il se souvint à temps que la lettre de la loi devait en étouffer l'esprit. Il refusa donc les aides financières aux boulangers. La loi c’est 35 heures et pas une minute de plus.
Le problème c'est que l'heure tourne et qu'une solution devient urgente. Les boulangers
ne demandent qu'un peu de souplesse. Le gouvernement qui est près de changer la Constitution
pour donner beaucoup de souplesse à la Corse ne peut-
Les mots des candidats
Un jour un boulanger rencontra un gentil martien qui n'avait pour tout bagage qu'un
petit dictionnaire. Attiré par l'odeur merveilleuse du pain frais il supplia notre
ami boulanger : "Votre pain est si bon que j'ai confiance en vous. Je pensais qu'un
dictionnaire me suffirait pour découvrir votre pays. Mais je ne comprends pas tous
les mots de vos discours électoraux. Les mêmes mots semblent changer de sens selon
les candidats. Pouvez-
-
Le mot "autorité" est actuellement très à la mode. Chez nous depuis 1968 il est interdit d'interdire. Dans votre dictionnaire l'autorité c'est le pouvoir de se faire obéir. Mais dans la rue personne n'ose plus s'opposer franchement aux mauvaises actions. Jadis on parlait de vol ou de violence. Ces mots sont devenus des provocations. Il faut dire "incivilité". La douceur du mot diffuse un parfum désuet qui cache le mal que l'on refuse de combattre. L'autorité n'est souvent que l'antichambre de l'ambiguïté. Par exemple, nous boulangers, vivons sous le règne d'une loi qui dans quasiment tous les départements organise la fermeture un jour par semaine. Chaque salarié mérite bien un jour de repos par semaine. La fermeture obligatoire est le seul moyen efficace de servir la justice. Pourtant il nous faut batailler sans cesse pour que l'autorité fasse vivre la règle. Derrière le mot autorité il faut souvent lire "peur de heurter le bon plaisir de chacun".
Depuis 1789 le mot "liberté" connaît une grande carrière. Nos anciens l'ont forgé comme l'outil permettant à chacun de construire sa vie. Ne plus être sous la dépendance étouffante de l'Etat était le rêve de tous. On a même inventé des mots comme " société libérale ". Mais l'Etat a pleuré de ne plus régenter la vie de chacun. Et peu à peu les filets de l'Etat ont gentiment paralysé les braves citoyens. La médecine libérale devient peu à peu une médecine gérée par des fonctionnaires. Chez nous l'estimable plombier gagne plus que le médecin dont la science longuement construite garantit notre santé. Si le boulanger veut se servir de la liberté des prix pour compenser ses charges qu'il fasse bien attention ! S'il n'est pas condamné il sera ruiné dans l'opinion. La poigne de fer de l'Etat vient de s'abattre sur le droit de travailler. A moins de dépenser des fortunes en heures supplémentaires il nous est interdit de travailler plus de 35 heures par semaine. Nos salariés n'ont plus guère la liberté de travailler plus pour devenir plus libres.
Le mot "sécurité" est utilisé chaque semaine quand un voyou est relâché par la justice. La sécurité de la procédure passe avant la sécurité de l'honnête citoyen. Ce mot est un dissolvant diffusé partout pour empêcher de penser au mot sanction.
Le mot "respect" vient d'être sorti de la naphtaline. Il n'a pas servi depuis longtemps et son usage est délicat. Il s'agit d'un sentiment qui porte à traiter quelqu'un avec de grands égards. Mais respecter quelqu'un serait lui reconnaître d'être plus sage et plus travailleur que les autres. Le mot "égalité" a donc culpabilisé le mot "respect" qui n'ose plus nourrir la moindre conversation. Nous boulangers, sommes un peu à part. Nous mettons notre fierté dans le respect de notre client et de notre travail. Parfois on nous regarde d'un drôle d'air à cause de notre fidélité à ces mots de respect et de liberté.
Le mot "partage" hésite à prendre son élan. Il vient d'un passé trouble. Il est parfait quand il évoque Saint Martin partageant son manteau ou le partage de notre délicieuse galette des rois. Mais il s'éloigne de la justice si l'on songe à l'Etat partageant les aides pour la réduction du temps de travail : presque rien pour les boulangers, presque tout pour les grandes surfaces !
Ainsi chez nous, cher martien, les mots sont des habits étranges. Mais c'est aussi
un chemin pour dire nos passions. Le temps finit toujours par révéler la vérité des
mots. Je regrette seulement que le mot "entreprise" soit si peu employé dans le débat
actuel. Ce mot magnifique exprime le mouvement de la vie. Il veut dire qu'un homme
décide librement d'exercer sa responsabilité pour construire un chemin de solidarité
par le travail et l'échange. Nos candidats qui battent la campagne s'en souviendront
peut-
Monéo = J'avertis du danger !
Lettre d'un banquier de quartier à son boulanger.
Mon cher boulanger,
Surtout, ne dites pas que je vous écris. Moi qui suis tout près de votre argent, je connais le coeur de votre métier. Depuis des années, chaque jour, votre pain est mon bonheur. Je ne savais comment vous remercier. Vous avertir du danger qui vous menace est pour moi remplir une dette d'honneur.
Dans notre société, vous êtes un cas bien à part. Pas seulement pour avoir contesté les 35 heures en criant tout haut ce que les électeurs de Martine Aubry ont rappelé tout bas dans le secret des urnes. Pas seulement pour avoir jusqu'ici échappé au rouleau compresseur des produits surgelés. Chaque jour en créant votre pain vous nous offrez une dose d'humanité chaleureuse. Vous êtes le métier qui a tenu tête à l'autoritaire entêtement des banquiers. Depuis toujours ils veulent tout commander. Moi, petit banquier de quartier, je suis l'alibi à visage humain de ce pouvoir froid dont la tête s'échauffe quand un naïf refuse de plier devant leur ambition. Le naïf, c'est vous cher ami boulanger. Je vais essayer de vous expliquer.
Leur plan pour vous réduire c'est Monéo. Le banquier veut tout connaître de chacun.
Il y arrive. Aucune action ne peut s'accomplir sans se traduire par une opération
bancaire. Chèques et cartes bleues sont les petits cailloux qui permettent à votre
banquier de vous suivre à la trace. Même si vous prenez " les ailes de l'aurore pour
vous poser au-
Mais, vous les boulangers, sans aucune malice, vous jouissez d'un privilège unique qui prive la banque du contentement d'encercler tous nos espaces de liberté : presque toutes vos recettes se font en petite monnaie. Ce liquide ne vous noie pas de plaisir car il faut compter ces lourdes pièces dédaignées par les banques. Mais c'est un espace de liberté.
Pendant des mois l'Etat et les banques vous ont fait travailler dur pour vous faire
accoucher de l'Euro. Vous avez été à la peine. Vous avez aussi été cité à l'ordre
de la nation pour service rendu au public. Tout cela pour rien ? Quand des milliards
ont été dépensés pour créer une nouvelle monnaie les banquiers veulent-
Monéo est une carte de paiement électronique pour régler les dépenses inférieures
à 30 Euros. C'est surtout une mine d'or et d'information pour le banquier. Monéo
relègue la petite monnaie au rang d'accessoire inutile. Chaque utilisateur devra
acheter la carte. Pour l'utiliser il devra la " charger " c'est-
Comme si avec les 35 heures vous aviez le temps d'expliquer à vos clients le fonctionnement d'une nouvelle machine ! Comme si vous étiez content d'accroître la file d'attente quand la machine se bloque ! Comme s'il vous était agréable de subir de longs délais de paiement !
La boulangère n'aura plus d'écus. Mais elle aura la joie de travailler pour sa banque. Une banque qui pourrait être polie avec elle. Il y a en France 30 milliards de transactions en espèces par an. Les seuls boulangers réalisent un sixième du total de ces transactions. Et les banquiers vous ignorent dans la mise en place de Monéo !
Amis boulangers vous devriez comprendre que seule votre union empêchera les banquiers de faire leur bonheur sur votre dos. Déjà que vous n'osez pas contrer l'emprise subreptice des meuniers ! Moi, petit banquier de quartier, si je prends le risque de vous écrire c'est parce que depuis toujours je craque pour votre pain frais. Contre Monéo il eût été lâche de ne pas vous avertir.
La peur qui fait gagner à tout coup
Monéo
Jouer sur la peur est intelligent car c'est très efficace. A notre époque une seule
chose compte : le résultat. Ce n'est pas toujours facile d'agir sur les autres. Mais
pour faire plier un troupeau un peu rétif connaissez-
Monéo est le porte-
Toute l'affaire a été conduite en douce. Jamais les boulangers n'ont demandé la suppression
de la monnaie. Les tabacs non plus. Mais les banquiers qui savent gérer ont découvert
une vérité : leur rentabilité serait plus grande si le coût de la gestion des pièces
était transféré aux commerçants. On aurait pu élargir l'usage de la Carte Bleue.
Qui d'entre vous n'a pas payé de petites sommes aux péages d'autoroute ? Mais c'était
trop simple. C'est mieux de faire acheter par les clients la monnaie qu'ils utiliseront
plus tard. Le coup le plus hardi c'est de transformer le boulanger en distributeur
bénévole de monnaie électronique. C'est à la mode : la monnaie d'en-
En théorie chacun peut refuser dans sa boutique le piège Monéo. Donc pourquoi contester ? Parce que l'habileté propagandiste des banques les conduira à décerner aux récalcitrants des étoiles de ringardise. Elles sauront inciter le client à faire valoir sa royauté et à exiger de tous les commerçants qu'ils arborent avec Monéo le drapeau de la modernité.
Les boulangers représentent 25% des dépenses en petite monnaie. Les tabacs, 28%. Ainsi ces deux modestes professions pèsent 53% du marché convoité par les banques. Et, miracle, les banques viennent seulement de découvrir qu'il serait convenable d'ouvrir le dialogue avec les représentants de ces deux métiers.
Enfin, si nous sommes trop petits pour avoir la parole il faudra bien souffrir d'offrir
un service qu'on nous impose sans la moindre démocratie. Jadis la monnaie était une
affaire d'Etat. Aujourd'hui c'est une marchandise que les banquiers peuvent négocier
avec les plus offrants. En tolérant ce chantage à la modernité l'Etat veut-
Les métiers de proximité sont bien gentils mais ils sont dispersés. Les banquiers
ont peut-
Mais la riposte est prête. Dans les coffres des banques s'entassent des étiquettes "Ringard" à coller sur tous les magasins hésitants. C'est vrai, pour gagner à tout coup, il faut jouer sur la peur de n'être pas moderne.
Dans une vie antérieure (de 1999 à 2003) j’ai eu le plaisir d’écrire les éditoriaux du journal « Les Nouvelles de la Boulangerie »
Ils ne sont plus d’actualité mais il m’a été agréable d’en relire