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Texte de Giono


Manosque des Plateaux

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Au-delà de la Durance, le plateau de Valensole, bleu et toujours pareil, ferme la plaine comme une barre de vieux bronze.

Il est le mauvais compagnon. Entendons-nous : il est pour moi l'ami magnifique, mais il est le mauvais compagnon de ce paysan des plaines. Il est le jeteur de grêle, le porteur d'éclairs, le grand artisan des orages.

Il est là, tout vêtu de chênes verts et de genévriers, couvert de cicatrices; il vit à la sauvage avec une large bâfrée de fleurs d'amandiers au printemps et du soleil qu'il mange sec tout le durant de l'été.

S'il est courtois, c'est en brutal : vous lui demandez une  fleur, il vous jette à la figure toute une touffe de thym avec les racines et la motte de terre.

Ce qui inquiète c'est son silence. Il est là-bas, il ne dit rien. Vous, par exemple vous êtes là, si c'est le temps à piloter l'araire à coups de poignet ou à passer l'inspection aux vignes. Et lui, il est là-bas toujours pareil, toujours muet; il rêve, pensez-vous à regarder à plein visage la belle lune de jour qui vole avec ses deux cornes au-dessus de lui.

Puis, d'un seul coup, il vous écrase avec trois grandes roches de nuages pleines de foudre. La grêle déchire les oreilles du mulet; vous en avez tant que vous pouvez pour le tenir au bridon et le mener au hangar.

Pendant ce temps, le ruisseau déborde, votre sillon s'emplit de boue et d'herbe et ça vous promet belle récolte de chiendent; ou bien alors il piétine votre vendange à moitié mûre.
Il est quand même, pour moi, l'ami magnifique. Qui n'a pas son caractère ?

Mais, par les beaux dimanches d'août, quand on lui a rasé sa chevelure de blé, quand il est crâne nu sous le poids de feu qui fait craquer l'argile du ciel, alors il sait, d'un enseignement sûr, vous mener jusqu'au fond sensible de la vie, dans l'ombre rousse où les arbres, les bêtes, les rochers, les herbes et les hommes sont pétris comme une pâte de pain.