Extraits des Plaideurs de Racine
LES PLAIDEURS -
Ma foi ! sur l'avenir bien fou qui se fiera :
Tel qui rit vendredi, dimanche pleurera.
Un
juge, l'an passé, me prit à son service ;
Il m'avait fait venir d'Amiens pour être
suisse.
Tous ces Normands voulaient se divertir de nous.
On apprend à hurler, dit l'autre,
avec les loups :
Tout Picard que j'étais, j'étais un bon apôtre,
Et je faisais claquer
mon fouet tout comme un autre.
Tous les plus gros monsieurs me parlaient chapeau bas :
"Monsieur
de Petit−Jean", ah ! gros comme le bras !
Mais sans argent l'honneur n'est qu'une
maladie.
Ma foi, j'étais un franc portier de comédie :
On avait beau heurter et m'ôter
son chapeau,
On n'entrait pas chez nous sans graisser le marteau.
Point d'argent, point
de Suisse, et ma porte était close.
Il est vrai qu'à Monsieur j'en rendais quelque
chose ;
Nous comptions quelquefois. On me donnait le soin
De fournir la maison de chandelle
et de foin ;
Mais je n'y perdais rien. Enfin, vaille que vaille,
J'aurais sur le marché
fort bien fourni la paille.
C'est dommage : il avait le coeur trop au métier ;
Tous
les jours le premier aux plaids, et le dernier,
Et bien souvent tout seul ; si l'on
l'eût voulu croire,
Il y serait couché sans manger et sans boire. Je lui disais parfois :
"Monsieur Perrin Dandin,
Tout franc, vous vous levez tous les jours trop matin :
Qui
veut voyager loin ménage sa monture ;
Buvez, mangez, dormez, et faisons feu qui dure".
Il
n'en a tenu compte. Il a si bien veillé
Et si bien fait, qu'on dit que son timbre
est brouillé.
Il nous veut tous juger les uns après les autres.
Il marmotte toujours
certaines patenôtres
Où je ne comprends rien. Il veut, bon gré mal gré,
Ne se coucher
qu'en robe et qu'en bonnet carré.
Il fit couper la tête à son coq, de colère,
Pour
l'avoir éveillé plus tard qu'à l'ordinaire :
Il disait qu'un plaideur dont l'affaire
allait mal
Avait graissé la patte à ce pauvre animal.
Depuis ce bel arrêt, le pauvre
homme a beau faire,
Son fils ne souffre plus qu'on lui parle d'affaire.
Il nous le
fait garder jour et nuit, et de près :
Autrement, serviteur, et mon homme est aux
plaids.
Pour s'échapper de nous, Dieu sait s'il est allègre.
Pour moi, je ne dors plus :
aussi je deviens maigre,
C'est pitié. Je m'étends, et ne fais que bâiller.
Mais veille
qui voudra, voici mon oreiller.
Ma foi, pour cette nuit il faut que je m'en donne !
Pour
dormir dans la rue on n'offense personne :
Dorrmons.