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Extraits d’Iphigénie de Racine

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IPHIGENIE


III.6


Achille


Madame, je me tais, et demeure immobile.
Est−ce à moi que l'on parle, et connaît−on Achille ?
Une mère pour vous croit devoir me prier !
Une reine à mes pieds se vient humilier !
Et me déshonorant par d'injustes alarmes,
Pour attendrir mon coeur on a recours aux larmes !
Qui doit prendre à vos jours plus d'intérêt que moi ?
Ah ! sans doute on s'en peut reposer sur ma foi.
L'outrage me regarde ; et quoi qu'on entreprenne,
Je réponds d'une vie où j'attache la mienne.
Mais ma juste douleur va plus loin m'engager :
C'est peu de vous défendre, et je cours vous venger,
Et punir à la fois le cruel stratagème
Qui s'ose de mon nom armer contre vous−même.

Iphigénie


Ah ! demeurez, Seigneur, et daignez m'écouter.

Achille


Quoi, Madame ? Un barbare osera m'insulter ?
Il voit que de sa soeur je cours venger l'outrage ;
Il sait que le premier lui donnant mon suffrage,
Je le fis nommer chef de vingt rois ses rivaux ;

Et pour fruit de mes soins, pour fruit de mes travaux,
Pour tout le prix enfin d'une illustre victoire
Qui le doit enrichir, venger, combler de gloire,
Content et glorieux du nom de votre époux,
Je ne lui demandais que l'honneur d'être à vous.
Cependant aujourd'hui, sanguinaire, parjure,
C'est peu de violer l'amitié, la nature,
C'est peu que de vouloir, sous un couteau mortel,
Me montrer votre coeur fumant sur un autel :
D'un appareil d'hymen couvrant ce sacrifice,
Il veut que ce soit moi qui vous mène au supplice ?
Que ma crédule main conduise le couteau,
Qu'au lieu de votre époux je sois votre bourreau ?
Et quel était pour vous ce sanglant hyménée,
Si je fusse arrivé plus tard d'une journée ?
Quoi donc ! à leur fureur livrée en ce moment,
Vous iriez à l'autel me chercher vainement,
Et d'un fer imprévu vous tomberiez frappée,
En accusant mon nom qui vous aurait trompée ?
Il faut de ce péril, de cette trahison,
Aux yeux de tous les Grecs lui demander raison.
A l'honneur d'un époux vous−même intéressée,
Madame, vous devez approuver ma pensée.
Il faut que le cruel qui m'a pu mépriser
Apprenne de quel nom il osait abuser.


Iphigénie


Hélas ! si vous m'aimez, si pour grâce dernière,
Vous daignez d'une amante écouter la prière,
C'est maintenant, Seigneur, qu'il faut me le prouver.
Car enfin, ce cruel que vous allez braver,
Cet ennemi barbare, injuste, sanguinaire,
Songez, quoi qu'il ait fait, songez qu'il est mon père.

Achille
Lui ! Votre père ? Après son horrible dessein,
Je ne le connais plus que pour votre assassin.

Iphigénie
C'est mon père, Seigneur, je vous le dis encore ;
Mais un père que j'aime, un père que j'adore,
Qui me chérit lui−même, et dont jusqu'à ce jour,
Je n'ai jamais reçu que des marques d'amour.
Mon coeur, dans ce respect élevé dès l'enfance,
Ne peut que s'affliger de tout ce qui l'offense,
Et loin d'oser ici, par un prompt changement,
Approuver la fureur de votre emportement,
Loin que par mes discours je l'attise moi−même,
Croyez qu'il faut aimer autant que je vous aime,
Pour avoir pu souffrir tous les noms odieux
Dont votre amour le vient d'outrager à mes yeux.
Et pourquoi voulez−vous qu'inhumain et barbare
Il ne gémisse pas du coup qu'on me prépare ?
Quel père de son sang se plaît à se priver ?

Pourquoi me perdrait−il s'il pouvait me sauver ?
J'ai vu, n'en doutez point, ses larmes se répandre.
Faut−il le condamner avant que de l'entendre ?
Hélas ! de tant d'horreurs son coeur déjà troublé
Doit−il de votre haine être encore accablé ?

Achille


Quoi, Madame ! parmi tant de sujets de crainte,
Ce sont là les frayeurs dont vous êtes atteinte ?
Un cruel (comment puis−je autrement l'appeler ? )
Par la main de Calchas s'en va vous immoler ;
Et lorsqu'à sa fureur j'oppose ma tendresse,
Le soin de son repos est le seul qui vous presse ?
On me ferme la bouche ! on l'excuse ! on le plaint !
C'est pour lui que l'on tremble, et c'est moi que l'on craint !
Triste effet de mes soins ! Est−ce donc là, Madame,
Tout le progrès qu'Achille avait fait dans votre âme ?

Iphigénie


Ah cruel ! cet amour, dont vous voulez douter,
Ai−je attendu si tard pour le faire éclater ?
Vous voyez de quel oeil, et comme indifférente,
J'ai reçu de ma mort la nouvelle sanglante.
Je n'en ai point pâli. Que n'avez−vous pu voir
A quel excès tantôt allait mon désespoir,
Quand, presque en arrivant, un récit peu fidèle
M'a de votre inconstance annoncé la nouvelle !
Qui sait même, qui sait si le ciel irrité
A pu souffrir l'excès de ma félicité ?
Hélas ! il me semblait qu'une flamme si belle
M'élevait au−dessus du sort d'une mortelle.


IV.4


Iphigénie


Mon père,
Cessez de vous troubler, vous n'êtes point trahi.
Quand vous commanderez, vous serez obéi.
Ma vie est votre bien ; vous voulez le reprendre :
Vos ordres sans détour pouvaient se faire entendre.
D'un oeil aussi content, d'un coeur aussi soumis
Que j'acceptais l'époux que vous m'aviez promis,
Je saurai, s'il le faut, victime obéissante,
Tendre au fer de Calchas une tête innocente,
Et respectant le coup par vous−même ordonné,
Vous rendre tout le sang que vous m'avez donné.

Si pourtant ce respect, si cette obéissance
Paraît digne à vos yeux d'une autre récompense,
Si d'une mère en pleurs vous plaignez les ennuis,
J'ose vous dire ici qu'en l'état où je suis
Peut−être assez d'honneurs environnaient ma vie
Pour ne pas souhaiter qu'elle me fût ravie,
Ni qu'en me l'arrachant, un sévère destin,
Si près de ma naissance, en eût marqué la fin.
Fille d'Agamemnon, c'est moi qui la première,
Seigneur, vous appelai de ce doux nom de père ;
C'est moi qui, si longtemps le plaisir de vos yeux,
Vous ai fait de ce nom remercier les dieux,
Et pour qui tant de fois prodiguant vos caresses,
Vous n'avez point du sang dédaigné les faiblesses.
Hélas ! avec plaisir je me faisais conter
Tous les noms des pays que vous allez dompter ;
Et déjà, d'Ilion présageant la conquête,
D'un triomphe si beau je préparais la fête.
Je ne m'attendais pas que pour le commencer,
Mon sang fût le premier que vous dussiez verser.
Non que la peur du coup dont je suis menacée
Me fasse rappeler votre bonté passée.
Ne craignez rien. Mon coeur, de votre honneur jaloux,
Ne fera point rougir un père tel que vous ;
Et si je n'avais eu que ma vie à défendre,
J'aurais su renfermer un souvenir si tendre.
Mais à mon triste sort, vous le savez, Seigneur,
Une mère, un amant, attachaient leur bonheur.

Un roi digne de vous a cru voir la journée
Qui devait éclairer notre illustre hyménée ;
Déjà, sûr de mon coeur à sa flamme promis,
Il s'estimait heureux ; vous me l'aviez permis.
Il sait votre dessein ; jugez de ses alarmes.
Ma mère est devant vous, et vous voyez ses larmes.
Pardonnez aux efforts que je viens de tenter
Pour prévenir les pleurs que je leur vais coûter.

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Clytemnestre


Vous ne démentez point une race funeste :
Oui, vous êtes le sang d'Atrée et de Thyeste.
Bourreau de votre fille, il ne vous reste enfin
Que d'en faire à sa mère un horrible festin.
Barbare ! c'est donc là cet heureux sacrifice
Que vos soins préparaient avec tant d'artifice ?
Quoi ! l'horreur de souscrire à cet ordre inhumain
N'a pas, en le traçant, arrêté votre main ?
Pourquoi feindre à nos yeux une fausse tristesse ?
Pensez−vous par des pleurs prouver votre tendresse ?
Où sont−ils ces combats que vous avez rendus ?
Quels flots de sang pour elle avez−vous répandus ?
Quel débris parle ici de votre résistance ?
Quel champ couvert de morts me condamne au silence ?
Voilà par quels témoins il fallait me prouver,
Cruel, que votre amour a voulu la sauver.

Un oracle fatal ordonne qu'elle expire :
Un oracle dit−il tout ce qu'il semble dire ?
Le ciel, le juste ciel, par le meurtre honoré,
Du sang de l'innocence est−il donc altéré ?
Si du crime d'Hélène on punit sa famille,
Faites chercher à Sparte Hermione sa fille ;
Laissez à Ménélas racheter d'un tel prix
Sa coupable moitié, dont il est trop épris.
Mais vous, quelles fureurs vous rendent sa victime ?
Pourquoi vous imposer la peine de son crime ?
Pourquoi, moi−même enfin me déchirant le flanc,
Payer sa folle amour du plus pur de mon sang ?
Que dis−je ? Cet objet de tant de jalousie,
Cette Hélène qui trouble et l'Europe et l'Asie,
Vous semble−t−elle un prix digne de vos exploits ?
Combien nos fronts pour elle ont−ils rougi de fois !
Avant qu'un noeud fatal l'unît à votre frère,
Thésée avait osé l'enlever à son père.
Vous savez, et Calchas mille fois vous l'a dit,
Qu'un hymen clandestin mit ce prince en son lit,
Et qu'il en eut pour gage une jeune princesse
Que sa mère a cachée au reste de la Grèce.
Mais non ; l'amour d'un frère et son honneur blessé
Sont les moindres des soins dont vous êtes pressé :
Cette soif de régner, que rien ne peut éteindre,
L'orgueil de voir vingt rois vous servir et vous craindre,
Tous les droits de l'empire en vos mains confiés,
Cruel, c'est à ces dieux que vous sacrifiez ;

Et, loin de repousser le coup qu'on vous prépare,
Vous voulez vous en faire un mérite barbare.
Trop jaloux d'un pouvoir qu'on peut vous envier,
De votre propre sang vous courez le payer,
Et voulez par ce prix épouvanter l'audace
De quiconque vous peut disputer votre place.
Est−ce donc être père ? Ah ! toute ma raison
Cède à la cruauté de cette trahison.
Un prêtre, environné d'une foule cruelle,
Portera sur ma fille une main criminelle,
Déchirera son sein, et d'un oeil curieux,
Dans son coeur palpitant consultera les dieux ?
Et moi, qui l'amenai triomphante, adorée,
Je m'en retournerai seule et désespérée ?
Je verrai les chemins encor tout parfumés
Des fleurs dont sous ses pas on les avait semés ?
Non, je ne l'aurai point amenée au supplice,
Ou vous ferez aux Grecs un double sacrifice.
Ni crainte ni respect ne m'en peut détacher ;
De mes bras tout sanglants il faudra l'arracher.
Aussi barbare époux qu'impitoyable père,
Venez, si vous l'osez, la ravir à sa mère.