Extraits de Mithridate de Racine
MITHRIDATE
I.1
Xipharès
Je l'aime, et ne veux plus m'en taire,
Puisqu'enfin pour rival je n'ai plus que mon
frère.
Tu ne t'attendais pas, sans doute, à ce discours,
Mais ce n'est point, Arbate,
un secret de deux jours.
Cet amour s'est longtemps accru dans le silence.
Que n'en
puis−je à tes yeux marquer la violence,
Et mes premiers soupirs, et mes derniers ennuis ?
Mais
en l'état funeste où nous sommes réduits,
Ce n'est guère le temps d'occuper ma mémoire
A
rappeler le cours d'une amoureuse histoire.
Qu'il te suffise donc, pour me justifier,
Que
je vis, que j'aimai la reine le premier ;
Que mon père ignorait jusqu'au nom de Monime
Quand
je conçus pour elle un amour légitime.
Il la vit. Mais au lieu d'offrir à ses beautés
Un
hymen, et des voeux dignes d'être écoutés,
Il crut que sans prétendre une plus haute
gloire
Elle lui céderait une indigne victoire.
Tu sais par quels efforts il tenta sa
vertu,
Et que lassé d'avoir vainement combattu,
Absent, mais toujours plein de son
amour extrême,
Il lui fit par tes mains porter son diadème.
Juge de mes douleurs, quand
des bruits trop certains
M'annoncèrent du roi l'amour et les desseins,
Quand je sus
qu'à son lit Monime réservée
Avait pris avec toi le chemin de Nymphée.
Hélas ! ce fut encor dans ce temps odieux
Qu'aux offres des Romains ma mère ouvrit
les yeux :
Ou pour venger sa foi par cet hymen trompée,
Ou ménageant pour moi la faveur
de Pompée,
Elle trahit mon père, et rendit aux Romains
La place et les trésors confiés
en ses mains.
Quel devins−je au récit du crime de ma mère !
Je ne regardais plus mon
rival dans mon père ;
J'oubliai mon amour par le sien traversé :
Je n'eus devant les
yeux que mon père offensé.
J'attaquai les Romains, et ma mère éperdue
Me vit, en reprenant
cette place rendue,
A mille coups mortels contre eux me dévouer,
Et chercher en mourant
à la désavouer.
L'Euxin, depuis ce temps, fut libre, et l'est encore,
Et des rives
de Pont aux rives du Bosphore,
Tout reconnut mon père, et ses heureux vaisseaux
N'eurent
plus d'ennemis que les vents et les eaux.
Je voulais faire plus : je prétendais, Arbate,
Moi−même,
à son secours m'avancer vers l'Euphrate.
Je fus soudain frappé du bruit de son trépas.
Au
milieu de mes pleurs, je ne le cèle pas,
Monime, qu'en tes mains mon père avait laissée,
Avec
tous ses attraits revint en ma pensée.
Que dis−je ? en ce malheur je tremblai pour
ses jours,
Je redoutai du roi les cruelles amours.
Tu sais combien de fois ses jalouses
tendresses
Ont pris soin d'assurer la mort de ses maîtresses.
Je volai vers Nymphée ; et mes tristes regards
Rencontrèrent Pharnace au pied de ses
remparts.
J'en conçus, je l'avoue, un présage funeste.
Tu nous reçus tous deux, et
tu sais tout le reste.
Pharnace, en ses desseins toujours impétueux,
Ne dissimula point
ses voeux présomptueux.
De mon père à la reine il conta la disgrâce,
L'assura de sa
mort, et s'offrit en sa place.
Comme il le dit, Arbate, il veut l'exécuter.
Mais enfin,
à mon tour, je prétends éclater :
Autant que mon amour respecta la puissance
D'un père
à qui je fus dévoué dès l'enfance,
Autant ce même amour, maintenant révolté,
De ce
nouveau rival brave l'autorité.
Ou Monime, à ma flamme elle−même contraire,
Condamnera
l'aveu que je prétends lui faire ;
Ou bien, quelques malheurs qu'il en puisse avenir,
Ce
n'est que par ma mort qu'on la peut obtenir
I.2
Monime
Seigneur, je viens à vous, car enfin aujourd'hui
Si vous m'abandonnez, quel sera mon
appui ?
Sans parents, sans amis, désolée et craintive,
Reine longtemps de nom, mais
en effet captive,
Et veuve maintenant sans avoir eu d'époux,
Seigneur, de mes malheurs
ce sont là les plus doux.
Je tremble à vous nommer l'ennemi qui m'opprime.
J'espère
toutefois qu'un coeur si magnanime
Ne sacrifiera point les pleurs des malheureux
Aux
intérêts du sang qui vous unit tous deux.
Vous devez à ces mots reconnaître Pharnace :
C'est
lui, Seigneur, c'est lui dont la coupable audace
Veut, la force à la main, m'attacher
à son sort
Par un hymen pour moi plus cruel que la mort.
Sous quel astre ennemi faut−il
que je sois née ?
Au joug d'un autre hymen sans amour destinée,
A peine je suis libre
et goûte quelque paix,
Qu'il faut que je me livre à tout ce que je hais.
Peut−être
je devrais, plus humble en ma misère,
Me souvenir du moins que je parle à son frère ;
Mais,
soit raison, destin, soit que ma haine en lui
Confonde les Romains dont il cherche
l'appui,
Jamais hymen formé sous le plus noir auspice
De l'hymen que je crains n'égala le supplice.
Et
si Monime en pleurs ne vous peut émouvoir,
Si je n'ai plus pour moi que mon seul désespoir,
Au
pied du même autel où je suis attendue,
Seigneur, vous me verrez, à moi−même rendue,
Percer
ce triste coeur qu'on veut tyranniser,
Et dont jamais encor je n'ai pu disposer.
II.6
Monime
Oui, Prince. Il n'est plus temps de le dissimuler ;
Ma douleur pour se taire a trop
de violence.
Un rigoureux devoir me condamne au silence,
Mais il faut bien enfin, malgré
ses dures lois,
Parler pour la première et la dernière fois.
Vous m'aimez dès longtemps.
Une égale tendresse
Pour vous depuis longtemps m'afflige et m'intéresse.
Songez depuis
quel jour ces funestes appas
Firent naître un amour qu'ils ne méritaient pas,
Rappelez
un espoir qui ne vous dura guère,
Le trouble où vous jeta l'amour de votre père,
Le
tourment de me perdre et de le voir heureux,
Les rigueurs d'un devoir contraire à
tous vos voeux :
Vous n'en sauriez, Seigneur, retracer la mémoire,
Ni conter vos malheurs,
sans conter mon histoire,
Et lorsque ce matin j'en écoutais le cours,
Mon coeur vous
répondait tous vos mêmes discours.
Inutile, ou plutôt funeste sympathie !
Trop parfaite
union par le sort démentie !
Ah ! par quel soin cruel le ciel avait−il joint
Deux coeurs
que l'un pour l'autre il ne destinait point ?
Car quel que soit vers vous le penchant
qui m'attire,
Je vous le dis, Seigneur, pour ne plus vous le dire,
Ma gloire me rappelle
et m'entraîne à l'autel,
Où je vais vous jurer un silence éternel.
J'entends, vous
gémissez ; mais telle est ma misère ;
Je ne suis point à vous, je suis à votre père.
Dans ce dessein vous−même, il faut me soutenir,
Et de mon faible coeur m'aider à vous
bannir.
J'attends du moins, j'attends de votre complaisance
Que désormais partout vous
fuirez ma présence.
J'en viens de dire assez pour vous persuader
Que j'ai trop de raisons
de vous le commander.
Mais après ce moment, si ce coeur magnanime
D'un véritable amour
a brûlé pour Monime,
Je ne reconnais plus la foi de vos discours,
Qu'au soin que vous
prendrez de m'éviter toujours.
III.1
Mithridate
Approchez, mes enfants. Enfin l'heure est venue
Qu'il faut que mon secret éclate à
votre vue.
A mes nobles projets je vois tout conspirer ;
Il ne me reste plus qu'à vous
les déclarer.
Je fuis, ainsi le veut la fortune ennemie.
Mais vous savez trop bien
l'histoire de ma vie
Pour croire que longtemps soigneux de me cacher
J'attende en ces
déserts qu'on me vienne chercher.
La guerre a ses faveurs, ainsi que ses disgrâces ;
Déjà
plus d'une fois, retournant sur mes traces,
Tandis que l'ennemi, par ma fuite trompé,
Tenait
après son char un vain peuple occupé,
Et gravant en airain ses frêles avantages,
De
mes Etats conquis enchaînait les images,
Le Bosphore m'a vu, par de nouveaux apprêts,
Ramener
la terreur du fond de ses marais,
Et chassant les Romains de l'Asie étonnée,
Renverser
en un jour l'ouvrage d'une année.
D'autres temps, d'autres soins. L'Orient accablé
Ne
peut plus soutenir leur effort redoublé.
Il voit plus que jamais ses campagnes couvertes
De
Romains que la guerre enrichit de nos pertes.
Des biens des nations ravisseurs altérés,
Le bruit de nos trésors les a tous attirés :
Ils
y courent en foule, et jaloux l'un de l'autre
Désertent leur pays pour inonder le
nôtre.
Moi seul je leur résiste. Ou lassés, ou soumis,
Ma funeste amitié pèse à tous
mes amis ;
Chacun à ce fardeau veut dérober sa tête.
Le grand nom de Pompée assure
sa conquête ;
C'est l'effroi de l'Asie, et loin de l'y chercher,
C'est à Rome, mes
fils, que je prétends marcher.
Ce dessein vous surprend, et vous croyez peut−être
Que
le seul désespoir aujourd'hui le fait naître.
J'excuse votre erreur ; et pour être
approuvés
De semblables projets veulent être achevés.
Ne vous figurez point que de
cette contrée,
Par d'éternels remparts Rome soit séparée.
Je sais tous les chemins
par où je dois passer,
Et si la mort bientôt ne me vient traverser,
Sans reculer plus
loin l'effet de ma parole,
Je vous rends dans trois mois au pied du Capitole.
Doutez−vous
que l'Euxin ne me porte en deux jours
Aux lieux où le Danube y vient finir son cours ?
Que
du Scythe avec moi l'alliance jurée
De l'Europe en ces lieux ne me livre l'entrée ?
Recueilli
dans leurs ports, accru de leurs soldats,
Nous verrons notre camp grossir à chaque
pas.
Daces, Pannoniens, la fière Germanie,
Tous n'attendent qu'un chef contre la tyrannie.
Vous avez vu l'Espagne, et surtout les Gaulois,
Contre ces mêmes murs qu'ils ont pris
autrefois,
Exciter ma vengeance, et jusque dans la Grèce,
Par des ambassadeurs accuser
ma paresse.
Ils savent que, sur eux prêt à se déborder,
Ce torrent, s'il m'entraîne,
ira tout inonder,
Et vous les verrez tous, prévenant son ravage,
Guider dans l'Italie
et suivre mon passage.
C'est là qu'en arrivant, plus qu'en tout le chemin,
Vous trouverez
partout l'horreur du nom romain,
Et la triste Italie encor toute fumante
Des feux qu'a
rallumés sa liberté mourante.
Non, Princes, ce n'est point au bout de l'univers
Que
Rome fait sentir tout le poids de ses fers ;
Et de près inspirant les haines les plus
fortes,
Tes plus grands ennemis, Rome, sont à tes portes.
Ah ! s'ils ont pu choisir
pour leur libérateur
Spartacus, un esclave, un vil gladiateur,
S'ils suivent au combat
des brigands qui les vengent,
De quelle noble ardeur pensez−vous qu'ils se rangent
Sous
les drapeaux d'un roi longtemps victorieux,
Qui voit jusqu'à Cyrus remonter ses aïeux ?
Que
dis−je ? En quel état croyez−vous la surprendre ?
Vide de légions qui la puissent
défendre,
Tandis que tout s'occupe à me persécuter,
Leurs femmes, leurs enfants, pourront−ils
m'arrêter ?
Marchons, et dans son sein rejetons cette guerre
Que sa fureur envoie aux
deux bouts de la terre.
Attaquons dans leurs murs ces conquérants si fiers ;
Qu'ils tremblent, à leur tour,
pour leurs propres foyers.
Annibal l'a prédit, croyons−en ce grand homme :
Jamais on
ne vaincra les Romains que dans Rome.
Noyons−la dans son sang justement répandu,
Brûlons
ce Capitole où j'étais attendu,
Détruisons ses honneurs, et faisons disparaître
La
honte de cent rois, et la mienne peut−être ;
Et la flamme à la main, effaçons tous
ces noms
Que Rome y consacrait à d'éternels affronts.
Voilà l'ambition dont mon âme
est saisie.
Ne croyez point pourtant qu'éloigné de l'Asie
J'en laisse les Romains tranquilles
possesseurs.
Je sais où je lui dois trouver des défenseurs.
Je veux que d'ennemis partout
enveloppée,
Rome rappelle en vain le secours de Pompée.
Le Parthe, des Romains comme
moi la terreur,
Consent de succéder à ma juste fureur,
Prêt d'unir avec moi sa haine
et sa famille,
Il me demande un fils pour époux à sa fille.
Cet honneur vous regarde,
et j'ai fait choix de vous,
Pharnace. Allez, soyez ce bienheureux époux.
Demain, sans
différer, je prétends que l'Aurore
Découvre mes vaisseaux déjà loin du Bosphore.
Vous
que rien n'y retient, partez dès ce moment,
Et méritez mon choix par votre empressement :
Achevez
cet hymen ; et repassant l'Euphrate,
Faites voir à l'Asie un autre Mithridate.
Que nos tyrans communs en pâlissent d'effroi,
Et que le bruit à Rome en vienne jusqu'à
moi.
Pharnace
Seigneur, je ne vous puis déguiser ma surprise.
J'écoute avec transport cette grande
entreprise ;
Je l'admire, et jamais un plus hardi dessein
Ne mit à des vaincus les
armes à la main.
Surtout j'admire en vous ce coeur infatigable
Qui semble s'affermir
sous le faix qui l'accable.
Mais si j'ose parler avec sincérité :
En êtes−vous réduit
à cette extrémité ?
Pourquoi tenter si loin des courses inutiles,
Quand vos Etats encor
vous offrent tant d'asiles
Et vouloir affronter des travaux infinis,
Dignes plutôt
d'un chef de malheureux bannis,
Que d'un roi qui naguère avec quelque apparence
De
l'aurore au couchant portait son espérance,
Fondait sur trente Etats son trône florissant,
Dont
le débris est même un empire puissant ?
Vous seul, Seigneur, vous seul, après quarante
années
Pouvez encor lutter contre les destinées.
Implacable ennemi de Rome et du repos,
Comptez−vous
vos soldats pour autant de héros ?
Pensez−vous que ces coeurs, tremblants de leur
défaite,
Fatigués d'une longue et pénible retraite,
Cherchent avidement sous un ciel
étranger
La mort, et le travail pire que le danger ?
Vaincus plus d'une fois aux yeux de la patrie,
Soutiendront−ils ailleurs un vainqueur
en furie ?
Sera−t−il moins terrible, et le vaincront−ils mieux
Dans le sein de sa ville,
à l'aspect de ses dieux ?
Le Parthe vous recherche et vous demande un gendre ;
Mais
ce Parthe, Seigneur, ardent à vous défendre
Lorsque tout l'univers semblait nous protéger,
D'un
gendre sans appui voudra−t−il se charger ?
M'en irai−je moi seul, rebut de la fortune,
Essuyer
l'inconstance au Parthe si commune ?
Et peut−être, pour fruit d'un téméraire amour,
Exposer
votre nom au mépris de sa cour ?
Du moins, s'il faut céder, si contre notre usage,
Il
faut d'un suppliant emprunter le visage,
Sans m'envoyer du Parthe embrasser les genoux,
Sans
vous−même implorer des rois moindres que vous,
Ne pourrions−nous pas prendre une plus
sûre voie ?
Jetons−nous dans les bras qu'on nous tend avec joie.
Rome en votre faveur
facile à s'apaiser...
Xipharès
Rome, mon frère ! O ciel ! qu'osez−vous proposer ?
Vous voulez que le roi s'abaisse
et s'humilie ?
Qu'il démente en un jour tout le cours de sa vie ?
Qu'il se fie aux
Romains et subisse des lois
Dont il a quarante ans défendu tous les rois ?
Continuez,
Seigneur. Tout vaincu que vous êtes,
La guerre, les périls sont vos seules retraites.
Rome poursuit en vous un ennemi fatal,
Plus conjuré contre elle et plus craint qu'Annibal.
Tout
couvert de son sang, quoi que vous puissiez faire,
N'en attendez jamais qu'une paix
sanguinaire,
Telle qu'en un seul jour un ordre de vos mains
La donna dans l'Asie à
cent mille Romains.
Toutefois épargnez votre tête sacrée.
Vous−même n'allez point de
contrée en contrée
Montrer aux nations Mithridate détruit,
Et de votre grand nom diminuer
le bruit.
Votre vengeance est juste ; il la faut entreprendre :
Brûlez le Capitole
et mettez Rome en cendre.
Mais c'est assez pour vous d'en ouvrir les chemins :
Faites
porter ce feu par de plus jeunes mains,
Et tandis que l'Asie occupera Pharnace,
De
cette autre entreprise honorez mon audace.
Commandez. Laissez−nous, de votre nom suivis,
Justifier
partout que nous sommes vos fils.
Embrasez par vos mains le couchant et l'aurore ;
Remplissez
l'univers, sans sortir du Bosphore ;
Que les Romains, pressés de l'un à l'autre bout,
Doutent
où vous serez, et vous trouvent partout.
Dès ce même moment ordonnez que je parte.
Ici
tout vous retient ; et moi, tout m'en écarte.
Et si ce grand dessein surpasse ma valeur,
Du
moins ce désespoir convient à mon malheur.
Trop heureux d'avancer la fin de ma misère,
J'irai... J'effacerai le crime de ma mère,
Seigneur ;
vous m'en voyez rougir à vos genoux ;
J'ai honte de me voir si peu digne de vous ;
Tout
mon sang doit laver une tache si noire.
Mais je cherche un trépas utile à votre gloire,
Et
Rome, unique objet d'un désespoir si beau,
Du fils de Mithridate est le digne tombeau.
IV.4
Monime
Je n'ai point oublié quelle reconnaissance,
Seigneur, m'a dû ranger sous votre obéissance.
Quelque
rang où jadis soient montés mes aïeux,
Leur gloire de si loin n'éblouit point mes
yeux.
Je songe avec respect de combien je suis née
Au−dessous des grandeurs d'un si
noble hyménée,
Et malgré mon penchant et mes premiers desseins
Pour un fils, après vous le plus grand
des humains,
Du jour que sur mon front on mit ce diadème,
Je renonçai, Seigneur, à
ce prince, à moi−même.
Tous deux d'intelligence à nous sacrifier,
Loin de moi, par
mon ordre, il courait m'oublier.
Dans l'ombre du secret ce feu s'allait éteindre ;
Et
même de mon sort je ne pouvais me plaindre,
Puisque enfin, aux dépens de mes voeux
les plus doux,
Je faisais le bonheur d'un héros tel que vous.
Vous seul, Seigneur,
vous seul, vous m'avez arrachée
A cette obéissance où j'étais attachée ;
Et ce fatal
amour dont j'avais triomphé,
Ce feu que dans l'oubli je croyais étouffé,
Dont la cause
à jamais s'éloignait de ma vue,
Vos détours l'ont surpris, et m'en ont convaincue.
Je
vous l'ai confessé, je le dois soutenir.
En vain vous en pourriez perdre le souvenir,
Et
cet aveu honteux, où vous m'avez forcée,
Demeurera toujours présent à ma pensée.
Toujours
je vous croirais incertain de ma foi,
Et le tombeau, Seigneur, est moins triste pour
moi
Que le lit d'un époux qui m'a fait cet outrage,
Qui s'est acquis sur moi ce cruel
avantage,
Et qui me préparant un éternel ennui,
M'a fait rougir d'un feu qui n'était
pas pour lui.